Et mourir... de plaisir - Joe d'Amato (1978)

L'histoire a été mainte fois répétée en ces lieux. La courte mais prolifique période caribéenne du réalisateur bis Joe d'Amato marqua durablement l'inconscient du cinéma d'exploitation. Sesso nero, Hard Sensation, Exotic Love, Porno Holocaust, La nuit fantastique des morts-vivants, Orgasmo nero, etc., chacun de ces longs métrages a démontré, à des degrés divers, combien le cadre idyllique de Saint-Domingue offrait à Aristide Massaccesi, de son vrai nom, l'acmé de son art déviant.

Premier film officiel de la série de dizaine de productions tournées en République Dominicaine, Papaya dei Caraibi poursuivait ainsi la démarche entreprise par Joe D'Amato depuis Voluptueuse Laura, en cultivant son attirance pour le genre mondo. Egalement première incursion du réalisateur dans le culte vaudou, religion dont les rites imprégneront durablement les prochains films, le Romain trouvait finalement en cette île paradisiaque, les éléments déterminants pour parfaire sa réputation de spécialiste du cinéma exotique bis italien, qui le feront passer, deux ans plus tard, de l'érotisme soft à la pornographie avec Sesso Nero, premier film hard italien [1] avec Mark Shannon, Annj Goren et Lucia Ramirez.

De cette boîte de Pandore caribéenne éveillant faussement les fantasmes du mâle occidental venu se repaître de clichés, supposés émoustillants, Et mourir... de plaisir, dans sa version française, s'inscrit, on l'aura compris, enfin dans la continuité du cycle Black Emanuelle [2] qui permit à Joe D'Amato de parfaire à la fois sa popularité auprès d'un cercle d'initié.e.s déviant.e.s, et auprès d'une censure goûtant peu à ses excès formels. Mais n'allons pas trop vite.
 
 

Sur une île des Caraïbes, dans une cabane située sur une plage, une jeune et belle créole, Papaya (Melissa Chimenti), fait l'amour avec un homme blanc. Proche de l'orgasme, ce dernier se fait arracher la verge avec les dents, puis, est laissé pour mort dans une mare de sang, avant que deux complices, qui attendaient dehors, ne brûlent la case. Quelque temps plus tard, Sara (Sirpa Lane), journaliste en vacances, rencontre son ami Vincent (Maurice Poli), géologue qui travaille pour la centrale nucléaire en construction non loin de là. Les deux anciens amants se retrouvent dans la chambre de Vincent, et y découvrent le cadavre calciné de Dean, un ingénieur qui avait disparu une vingtaine de jours auparavant. Le lendemain, Sara et Vincent prennent en stop la dénommée Papaya...

D'un titre originel faisant autant référence au fruit qu'au sexe féminin, le film lors de sa sortie avait de quoi surprendre, comme évoqué en préambule, celui (voire celle) qui pensait n'y découvrir qu'un énième film érotique soft exotique. D'une première scène choc, en guise d'avertissement, Papaya dei Caraibi n'est pas le produit auquel le public érotomane lambda pouvait s'attendre, pire, le titre anglophone [3] brouillait encore un peu plus les pistes, tant le long métrage n'est pas, non plus, le film de cannibales attendu. 

 

Entre film d'exploitation et fable écologique, le long métrage narre en toile de fond la résistance des insulaires menée par Ruiz, frère de Papaya. Bras armé de cette lutte inégale sur le papier, Papaya, incarnation de la déesse de l'amour, séduit les hommes en charge de la construction de ladite centrale, avant d'être assassinés. Passé maître dans la subversion du cinéma de genre, son plus grand coup d'éclat étant sans conteste le malaisant et mortifère Black Emanuelle autour du monde sorti l'année précédente, Joe D'Amato poursuivait son entreprise de démolition en sous-main en livrant un nouveau film érotique biaisé, s'amusant à pervertir les clichés du genre et la vision occidentale néo-colonialiste.

Sur fond de spiritisme, Et mourir... de plaisir se démarque par son atmosphère lente, voire irréelle, à l'instar des deux amants perdus dans les rues d'un village désert à la recherche de Papaya. Climax du long métrage, la séquence de la "Célébration de la pierre rouge" se situe comme un des sommets de l'esthétique mondo made in D'Amato. Dans un style proche du documentaire, le film plonge l'assistance dans une imagerie fantasmatique et sacrificielle, au son de la musique merengue, entre gore, avec éventrement de deux porcs et rituel anthropophage, et sexe, la cérémonie se concluant par une orgie où les deux personnages principaux deviennent le centre d'attention des protagonistes en transe.  

 

Sans remettre en cause toutefois le cahier des charges, le film décline tous les classiques du genre dans sa seconde partie : triolisme, voyeurisme, lesbianisme et masturbation féminine. De quoi en somme satisfaire (celles ?!) et ceux frustrés par ces supposés atermoiements. En grande partie. Joe D'Amato enclenche le pilotage automatique, et filme la romance saphique entre Papaya et Sara, désormais convertie à sa cause, tel un roman-photo animé. Qu'importe. L'essentiel est ailleurs. Non content de nous dresser un nouveau portait misandre du mâle occidental libidineux incarné par le personnage de Vincent, Et mourir... de plaisir confirme au besoin la place unique du cinéma bis d'Aristide Massaccesi, cinéaste hybride, de quoi faire oublier les ternes interprétations de Sirpa Lane (La Bête de Walerian Borowczyk) et du français Maurice Poli [4].

A découvrir, en attendant le déferlement caribéen à venir.

Le long métrage est disponible en import édité en DVD zone 2 par Shameless. 


 
Papaya dei Caraibi (Et mourir... de plaisir) | 1978 | 86 min | 1.85 : 1 | Couleurs
Réalisation : Joe D'Amato
Production : Carlo Maietto
Scénario : Renzo Maietto d'après une idée de Roberto Gandus
Avec : Sirpa Lane, Maurice Poli, Melissa Chimenti
Musique : Stelvio Cipriani
Directeur de la photographie : Aristide Massaccesi
Montage : Vincenzo Tomassi
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[1] Après plusieurs essais concluants sous la forme d'inserts.
 
[2] Soit dans l'ordre, Black Emanuelle en OrientBlack Emanuelle en AmériqueBlack Emanuelle autour du mondeEmanuelle chez les cannibales et Emanuelle et les filles de Madame Claude

[3] Le film fut édité en DVD par Severin Films. 

[4] Connu dans l'hexagone pour sa participation au feuilleton Belle et Sébastien, Maurice Poli a principalement fait carrière en Italie à partir du mitan des années 60, au début sous le pseudonyme de Monty Greenwood, comme dans le western Le due facce del dollaro, retitré en français Poker d'as pour Django (1967) (les distributeurs voulant évidemment capitaliser après le succès l'année précédente du classique de Sergio Corbucci). 

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