Nocturama - Nick Cave and the Bad Seeds (2003)

En 2003 sort le nouvel opus du King of Crows, Nocturama, album qui divisa la critique. Cette dernière était globalement unanime pour le noter  comme un disque plus ou moins raté, symbole d'un artiste en bout de course. Pourtant à défaut de vouloir le défendre bec et ongle, il faut reconnaitre qu'il est certes loin d'être une réussite, mais davantage le résultat d'un processus commencé quelques années plus tôt (à force de tirer sur la corde, on épuise le filon et on s'autocaricature, non ?).

Même si les albums précédents de Nick Cave avaient déjà montré la voie, parmi la discographie du ténébreux australien, il y a eu un avant et un après The Boatman's Call. Cave s'y présentait définitivement comme le dark crooner des 90's. Position que Cave remis justement en cause lors de la sortie du récent Dig, Lazarus, Dig!!!, ce choix artistique lui apparaissant finalement plus ou moins judicieux avec le recul. De quoi alimenter les arguments des personnes fatiguées par cette nouvelle posture de nouveau Leonard Cohen ? Avouons, du moins le préposé, malgré toutes les qualités de The Boatman's Call et de sa redite No More Shall We Part, leur durée pouvait laissé quelque peu dubitatif (l'album de 2001 apportant peu).

En février 2003 arrive donc Nocturama. Premier point, la pochette va à l'encontre du titre de l'album. Adieu les thèmes lugubres chers à son auditoire? Pas totalement, il suffit d'écouter justement la première chanson (Wonderful Life), ou de lire les titres de certaines chansons (She Passed by My Window par exemple). Pourtant dès l'écoute de ce préambule, quelque chose marque l'oreille. Cet album se veut plus lumineux que ces prédécesseurs, moins chargé (certains diront plus pop...), du moins plus épuré dans ses parties acoustiques, et plus empreint de sérénité (comme celle du mourant qui sait désormais sa fin prochaine ?). Les titres Wonderful Life, There is a Town et She Passed by My Window (avec une mention spéciale pour le violon de Warren Elis) apparaissent comme des réussites. Les chansons acoustiques restantes sont d'ailleurs loin d'être mauvaises (disons plaisantes voire simplement bonnes comme Right Out of Your Hand), mais souffre plutôt du syndrome de « l'anecdotisme » (et pourtant l'introduction de Still in Love augurait du meilleur...).

L'autre point à relever est le réveil de la bête qui était en sommeil depuis quelques temps chez notre australien. Si la charge se fait crescendo, avec pour commencer le boiteux Bring It On, la première véritable salve débute avec Dead Man in My Bed, annonçant le dantesque Babe, I'm on Fire et son orgue Hammond fou. Pendant un quart d'heure Cave se lance tel un prédicateur fanatique les yeux révulsés dans un maelstrom répétitif se rappelant au bon souvenir de ses plus vieux admirateurs. Une chose est sûre, ce morceau final annonce que Cave n'est pas mort et qu'il faudra compter sur lui pour le prochain disque.

A l'heure du bilan, Nocturama ne peut pas être considéré comme une réussite mais eut au moins le mérite à Nick Cave de régler ses comptes. Une transition, un passage obligé pour mieux renaître sur son prochain disque (le double Abattoir Blues/The Lyre of Orpheus sortant tout juste une année après ledit disque). A noter qu'il s'agit du dernier disque de Blixa Bargeld avec les Bads Seeds, ce dernier préférant se consacrer à son groupe Einstürzende Neubauten.




Samsara - Yakuza (2006) : Zen fuckin' attitude

Comme son nom l’indique, Yakuza nous vient de Chicago. Pouf pouf. A l’origine trio hardcore, la formation va, au gré du temps, en plus d’étoffer le nombre de ses musiciens, ouvrir un peu plus son éventail d’influences et tourner parallèlement avec quelques « poids lourds » de la musique extrême (au sens large) : Opeth, The Dillinger Escape Plan ou Mastodon.

Quand bien même les groupes cités précédemment n’ont sur le papier que peu de points communs, le groupe a su tirer parti de ces diverses expériences, et prendre certains traits de caractère propre à ces formations, en premier lieu, l’ouverture. Ce qui frappe à l’écoute de leur troisième album, Samsara, est justement cette propension à digérer toutes sortes influences, parfois contradictoires, qui vont du hardcore, au jazz, du progressif au grindcore. A ce titre, la chanson qui introduit cet album, Cancer Industry, offre un rapide aperçu de l'appétence du groupe. En trois minutes montre en main, nous dégustons une rythmique tribale, accompagnée par un saxophone en guise d’introduction, des riffs cataclysmiques bien cassants aux structures déconstruites, un chant hurlé, et enfin une dernière partie proche d’un grindcore des familles. Ce qui pouvait ressembler à une entreprise indigeste, maladroite ou tout simplement ratée, se voit rayé d’un seul trait dès ce premier jet concluant. Dont acte.

The Addiction - Abel Ferrara (1995) : This Vampire Wanna Get High

Quand le réalisateur et le scénariste de King of New-York ou de Ms. 45 décidèrent de revisiter le mythe du vampire au mitan des années 90, pouvait-on décemment s'attendre à un résultat autre qu'iconoclaste ? En connaissant un tant soit peu la filmographie du marginal (mais ô combien sympathique et déjanté) Abel Ferrara, la réponse parait des plus évidentes. Ni tueur sanguinaire, ni personnage romantique atteint d'une terrible malédiction, Abel Ferrara et Nicholas St John livraient avec The Addiction une version moderne, urbaine et riche de références philosophiques et théologiques du vampirisme. Dont acte.
 
En faisant table rase du passé, à savoir rayer les différents aspects « folkloriques » qui définissent le vampire, le duo Ferrara/St John inscrit son récit au plus près de la réalité. Sans déflorer l'intrigue, l'un des points les plus originaux survient dès le début du film, lorsque l'héroïne, l'étudiante Kathy Conklin (Lilly Taylor), croise le chemin d'une dame vampire (Annabella Sciorra). Cette dernière lui laisse le choix d'accepter, ou non, la morsure qui fera d'elle un futur membre du club privé des croqueurs de jugulaires. De cette proposition, le film ouvre la voie à divers questionnements, la place libre arbitre ou celle du déterminisme, sans oublier le rapport à la religion, ou l'un des thèmes récurrents de la filmographie du cinéaste new-yorkais.
 

South of Heaven - Slayer (1988) : Au Sud, rien de nouveau ?

1986, le jeune thrash metal étasunien accouche de trois monstres, Peace Sells… But Who’s Buying de Megadeth, Master of Puppets de Metallica et enfin celui qui nous intéresse le terrible Reign in Blood de Slayer [1]. Album culte, Reign in Blood s'inscrit comme un des rares albums de metal de cette décennie, tous genres confondus, ayant su éviter autant les outrages du temps que les fautes de goût.

Deux ans après ce coup de tonnerre, Araya, Hanneman, King et Lombardo revenaient avec le dénommé South of Heaven. Première remarque, Larry Carroll signait de nouveau la pochette (comme celle du prochain disque, Seasons In The Abyss, clôturant ainsi la trilogie). Deux choix s'offraient à Slayer lors de l'enregistrement de l'attendu successeur de Reign in Blood : la redite ou aller de l'avant. Loin de répondre par la facilité, qui voudrait proposer un disque encore plus rapide ou heavy (gimmick délicieux que la plupart des groupes de metal nous servent en interview à chaque fois avant la sortie d'un nouvel album), les quatre californiens choisirent une autre alternative, la contre allée : ralentir le tempo (une première pour le groupe), y incorporer quelques (vicieuses) mélodies (Tom Araya se mettant à véritablement chanter sur quelques chansons - sacrilège) et, mieux, amplifier les atmosphères malsaines.

Cookin': Miles le cuistot

Un leader charismatique, une formation légendaire, un disque qui ouvre une quadrilogie historique : Cookin' du Miles Davis quintet.

Détail amusant, tout du moins révélateur et intéressant, quand Miles Davis signa pour l’un des plus gros labels US de l’époque à savoir la Columbia Records au milieu des 50’s, ce dernier devait par obligation pas moins de quatre albums à la maison de disque Prestige. En attendant de recevoir les émoluments de Columbia (costume ultra chic, voiture de luxe italienne et tutti quanti), notre Prince of Darkness s’attèle à enregistrer de suite quatre disques. Anecdote qui rappelle les mésaventures du Clash de Joe Strummer. Pour rappel, l’histoire voudrait (gardons le conditionnel, nous ne voudrions pas recevoir l’opprobre de la part d’un gardien du Temple punk) que le Clash ait enregistré le gargantuesque (et indigeste ?) triple album Sandinista ! en espérant pouvoir se dégager du contrat qui les rattachait à l’époque à CBS. Mais l'histoire aura retenu qu'un triple album ne vaut pas trois albums, ils leur restaient dès lors encore deux albums à produire. Fin de l'aparté.

Ce qui sur le papier aurait pu passer pour une gageure ou pire un projet rimant avec dilettantisme, va au final devenir l’un des actes fondateurs d’une des plus belles et influentes formations jazz de l’histoire. Miles Davis après avoir été l’instigateur du cool jazz, du hard bop, trouve enfin la formule magique, à savoir une formation stable, quatre musiciens exceptionnels (John Coltrane au saxophone, Red Garland au piano, Paul Chambers à la contrebasse et Philly Joe Jones à la batterie), un quintet dont la cohésion étonne encore cinquante ans après. Un quintet si marquant que ce dernier fut considérer comme LE premier quintet de Miles Davis (en attendant LE second quintet de Miles dans les 60’s avec la jeune garde Tony Williams, Herbie Hancock et consorts), faisant fi des anciennes formations du trompettiste.

Parallèlement aux sessions d’enregistrement pour Columbia qui donneront le classique ‘Round About Midnight, Miles et son quintet graveront en deux séances marathons (comme il est usage de les définir) le 11 mai et le 26 octobre 1956 suffisamment de « matériels » pour quatre albums : Cookin’, Relaxin’, Steamin’ et Workin’. Quatre LP qui furent enregistrés dans les conditions du live, où divers standards croisent des compositions écrites par des actuels ou passés sidemen de Miles.

Cookin’ ouvre ainsi donc le bal en étant le premier à paraître (à noter que cet album n’est pas le premier gravé par ce quintet mais le second, le premier étant The New Miles Davis Quintet). Au menu, Miles et son quintet nous proposent en hors d’œuvre la relecture du standard d’Hart et Rodgers, My Funny Valentine, repris quelques années plus tôt par Chet Baker en 1952. De prime abord, si l’envie grotesque vous poussait à vouloir comparer ces deux versions, hormis le fait que celle de Chet était chantée, il convient avant tout de souligner que les reprises de ces deux messieurs sont différentes et difficilement comparables. Leur approche musicale est diamétralement opposée, Miles Davis reprenant ce standard sous l’angle du hard bop, où le dialogue trompette/piano tient une place primordiale. Blues by Five contrairement au titre précédent permet de mettre en lumière la dualité entre Miles Davis et son nouveau souffleur John Coltrane (ce dernier ne jouant pas sur My Funny Valentine). Autre point important à signaler de nouveau, la session fut enregistrée dans les conditions du direct, ne manque en effet que le public (rien ne vous interdit de ne pas applaudir entre deux solos). La chaleur se dégageant de ce disque ne trahit aucunement l’ambiance embrumée d’un club de jazz. Quant à la cohésion des membres, elle est parfaite. Airegin (anagramme de Nigeria) met en exergue la fougue du jeune Coltrane, confirmant le potentiel entre aperçu précédemment. Composé à l’origine par l’ancien souffleur de Miles, Sonny Rollins, Airegin prend la forme d'une évidente « passation de pouvoir ». Cookin’ se clôt par l’un des classiques du swing, la suite Tune Up/When Lights Are Low, avec mention particulière pour les duos Davis/Coltrane et Davis/Garland.

Au final, un album important dans l’histoire du jazz tant par la qualité des improvisations que par la présence de ce All Star band.