Cronico Ristretto : Anouar Brahem - Conte de l'incroyable amour (1992)

C'est en 1990, au sortir d'une tournée transatlantique parcourant les États-Unis et le Canada, que le musicien Anouar Brahem rencontra Manfred Eicher, propriétaire du label munichois ECM. De cette première collaboration naquit l'album Barzakh, où Anouar s'adjoignit les services de deux compatriotes, Béchir Selmir au violon et Lassad Hosni aux percussions. Et un premier album qui permit à son auteur de se faire connaitre du public jazz avant de faire plus amples connaissances.

L'année suivante, en octobre 1991, Anouar Brahem enregistra son deuxième opus pour ECM, Conte de l'incroyable amour. A l'instar de son prédécesseur, le disque pourrait apparaitre de prime abord dans la même continuité, or on y voit déjà poindre par touches plusieurs élans émancipatoires.

Premier point qui mérite d'être souligné, Anouar Brahem ne se limita pas dans sa jeunesse à l'écoute de la seule musique arabe, ce dernier n'hésitant pas à explorer d'autres versants des musiques traditionnelles provenant du pourtour méditerranéen, jusqu'à celles plus éloignées, aux confins de l'Iran de l'Inde. De ce fait, après s'être entouré de musiciens tunisiens, Anouar Brahem invita le musicien turc Kudsi Erguner, maître soufi de la confrérie Mevlevi et joueur émérite de naï, flute utilisée traditionnellement lors des cérémonies transes des derviches tourneurs. Autre compatriote d'Erguner, le clarinettiste Barbaros Erköse et de nouveau le tunisien Lassad Hosni aux percussions (bendir et darbouka) complétèrent ce quatuor (on retrouvera ces deux musiciens en trio avec Anouar Brahem en 2000 sur Astrakan Café).

Il est important de souligner le souffle nouveau que va apporter l'apport des deux musiciens turcs, leur approche orientale, et en particulier l'influence de la musique soufi, se mariant divinement bien avec le toucher contemplatif de notre joueur d'oud. De même, dans le prolongement de Barzakh, l'improvisation devient plus encore une pièce maîtresse de cette œuvre, soulignant au besoin le lien universel qui peut lier le jazz et les musiques dites traditionnelles (il suffit de constater par exemple l'influence qu'a pu avoir la musique indienne sur le jazz modal d'un Miles Davis ou d'un John Coltrane).

Un des albums de 1992, rien de moins.

 

Free - Tons of Sons: il était libre Paul

Petit avertissement : ce qui va suivre est la stricte vérité (enfin le deuxième paragraphe, pour le reste…), j’en veux pour preuve que j’en suis l’auteur et qu’il s’agit de mon blog (alors hein bon… parfois je suis moi-même ébloui par la maestria de ma rhétorique).

Après une légère pause (plus ou moins) indépendante de ma volonté (qui inclut un passage au Pré St Gervais où en plus de devoir boire une célèbre bière hollandaise (un coup de poignard dans le dos, cela faisait à peine 24h que j’étais en France qu’on me rappelait déjà d’où je venais… mais je n’étais pas à ma première déconvenue…), j’eus (enfin nous eûmes…) l’obligation de subir les premières notes de Death Magnetic à croire que mon précédent post n’était pas suffisamment clair (quota égocentrique ON)… prouvant que notre hôte sous ses airs débonnaires et hautement sympathiques cachait bien son jeu, l’âme d’un tortionnaire je vous dis (bon ok vous pourriez me rétorquer à juste titre que d’habitude je ne crache pas sur cette qualité humaine… mais quitte à punir le vilain garçon que j’entends être, étonnamment mon hétérosexualité penche pour UNE tortionnaire…), ou seconde option, mon hôte n’était qu’une autre victime de cette soirée, se voyant dans l’obligation de faire plaisir à ses autres invités, une bande de masochistes qui s’ignorent (ceux sont les pires !), implorant silencieusement Death Magnetic en guise de punition… (et moi au milieu de tout ça !). N’empêche, il serait dommageable de penser que notre hôte allait lâcher le morceau aussi facilement (vous pensiez le contraire, non ?), dès lors ce dernier changea de stratégie et se fit le chantre de la frustration (ce qui, avouons le, était un coup très bas et injuste, puisque le premier (et seul ?) à souffrir de ce plan machiavélique ne fut autre que moi, infliger un tel revers à quelqu’un d’aussi innocent, quelle honte… (bref on appâte le client avec le mot « soubrette »… et pis rien… quitte à noyer mon chagrin en sirotant un mix incroyable à base d’orange, de cactus et de citron vert ?)). Ceci dit, ne nous plaignons pas trop (quoi ? non ce résumé des faits est parfaitement objectif, je ne fais aucunement mon Caliméro), l’auteur de ces lignes n’étant pas atteint d’une acédécéphobie aigue, l’attaque vile des frères Young eut très peu d’effets sur moi (tout le monde ne peut pas en dire autant… néanmoins je n’ai pu constater de filet de bave sur la dite personne, effet secondaire bien connu de cette allergie auditive). Du coup, notre hôte, le cœur sur la main (ouais enfin disons cherchant surtout à se faire pardonner!), proposa à la demoiselle encore sous le choc le choix de la playlist. Et c’était parti pour presque une heure de Watershed...

Après une introduction toujours aussi à l’ouest (si vous trouvez un quelconque point commun entre cette intro et le reste du post, faites moi signe… moi, j’ai décroché), intéressons nous quelques instants à un groupe qui sur le papier m’avait toujours laissé dubitatif, du fait des futurs errements de son leader, mais pas seulement. En effet, en lisant que Brian May, Roger Taylor et Paul Rodgers nous remettaient le couvert (pourtant il me semble qu’on ne leur avait rien demandé à ces trois là), je me suis souvenu des débuts du groupe du Rodgers, Free. Il serait en effet dommage de réduire cette jeune formation à son tube All Right Now (certains pourront taxer ce hit d’efficace (c’est l’une des définitions d’un hit me direz vous) mais personnellement, je le considère surtout comme vite soûlant…).

C’est en novembre 1968 qu’apparaît le premier album de Free, une époque où les jeunes britanniques férus de rock’n’roll s’ingéniaient encore à croiser le fer avec le blues. Et c’est vrai que ce disque, Tons of Sobs, tombe à point nommé, entre un groupe pionnier qui vit ses dernières heures (Cream) et un autre en phase de mutation en passe de devenir prochainement LE groupe (Led Zeppelin).

Cette jeune formation (tous les membres n’ayant pas encore 20 ans lors de l’enregistrement) nous propose ainsi de suivre les traces d’un Fresh Cream avec toutefois quelques différences notables. Premier point, qui peut paraître trivial ou stéréotypé du fait de leur âge, sur ce premier disque Free donne un rendu plus frais que le premier LP du trio Bruce/Clapton/Baker (je concède, en 1966, à la sortie de Fresh Cream, notre trio était loin d’être des vieux brisquards, Ginger Baker, l’aîné, n’atteignant que 26 ans…). Second point, la voix de Paul Rodgers qui du haut de ses 19 ans a de quoi bluffer par sa maturité et ses accents soul (remarquez que par la suite il était de bon ton pour pas mal d’artistes/groupes de blues rock blanc d’être/avoir un chanteur typé soul… Free n’étant peut-être pas les premiers mais soulignant bien ce cas de figure).

Au rayon des nouveautés, l’album s’ouvre et se clôt par le morceau Over the Green Hills (fait suffisamment rare à l’époque), qui en guise d’introduction tout comme rampe de lancement à l’excellent Worry joue parfaitement son rôle. On notera aussi la présence de deux reprises blues (étonnant, non ?) dont un Goin’ Down Slow s’étalant sur plus de 8 minutes. Il convient aussi de souligner le talent certain de la paire Paul Rodgers/Paul Kossoff, le premier étant le principal compositeur du LP, et le second à la guitare étant loin d’être ridicule (18 ans lors de l’enregistrement !). Ensuite forcément on pourra regretter le manque de prise de risque de la plupart des chansons (le canevas est tout sauf aussi aventureux ou tranchant que le I du quartette Page/Plant/Jones/Bonham par exemple), mais compte tenu de la qualité générale et de l’âge des protagonistes, on ne peut qu’apprécier ce premier album (secondé par la production sobre de Guy Stevens (futur producteur de London Calling)).

Au final, bien que ce premier album fasse pâle figure comparé aux monstres que sont Fresh Cream ou le I de Led Zeppelin, Tons of Sobs reste néanmoins un LP attachant (contenant le classique I’m a Mover) et un parfait instantané de la musique blues rock de l’époque (un classique du genre même).

Death Magnetic - Metallica ou les équations de Maxwell résolues par deux yankees, un danois et un mexicain

Résumé des épisodes précédents. Nous avions laissé Metallica en studio avec le controversé St Anger en 2003, album qui à défaut d'être parfait, gardait un capital sympathie plutôt satisfaisant. Produit par l'inamovible (du moins ce que l'on pensait) Bob Rock, l'album se distinguait par un flamboyant (?!) son clair de batterie évoquant, rien de moins, la jurisprudence ...And Justice for All ; et en conséquence la non reconduction pour le prochain disque de leur fameux producteur, le duo Hetfield / Ulrich ne souhaitant pas être tenu responsable de cette gabegie au coût exorbitant.

Les griefs contre St Anger se résumaient ainsi à sa mauvaise production [1], à une certaine monotonie et linéarité, et à sa durée (plusieurs chansons auraient mérité à être écourtées voire tout simplement retirées). Quant à l'absence de solo, ce choix original n'était pas fondamentalement un problème, et avait le mérite, une fois de plus, de souligner la transparence de Kirk Hammett. Bref, au-delà de la formule facile, l'album avait les défauts de ses qualités, et transcrivait plutôt bien une formation au bord de la crise de nerf (cf. le documentaire Some Kind of Monster).

Glassworks: heart of Philip Glass

Dans la série : lançons une réflexion faussement pertinente, peut-on décemment rendre son "art" plus populaire sans compromission ? Et dans le cas qui nous intéresse, comment présenter sa musique à un public plus vaste sans artifice ou grosses ficelles ? Bref, tout ceci s'apparente à une fumeuse quadrature du cercle.

Réflexion d'autant plus fumeuse puisque l'album présenté aujourd'hui et qui me sert d'exemple, Glassworks de Philip Glass, n'est pas issu d'un genre hautement populaire (officiellement comme Death Magnetic sort dans trois jours, j'eusse pu illustrer cette thématique avec l'album éponyme de Metallica...)

En 1981, Philip Glass signe sur le label CBS (Columbia) et pour reprendre ses mots "Glassworks was intended to introduce my music to a more general audience than had been familiar with it upto then". Et ma foi, il n'a pas tort le Philip. Glassworks comprenant en tout six mouvements fait selon moi parti des œuvres maîtresses du compositeur, et généralement de la musique minimaliste.

Glass réussit en effet à rendre accessible une musique qui sur le papier ne l'est pas vraiment (tout du moins sur cette oeuvre... et comparée à celles de Steve Reich, excellentes mais ô combien plus difficile pour un néophyte). L'héritage d'un Erik Satie sur certaines parties telle que Opening (ce qui explique sans doute mon attachement à cette oeuvre aussi) est évidente. Glass compose ainsi à partir de deux flûtes, deux saxophones sopranos, deux saxophones ténors, deux cors, piano/synthétiseur et finalement d'altos, violoncelles, six pièces de durée homogène (aux alentours de six minutes) favorisant ainsi l'aspect accessible.

Et puis même si l'ambiance générale proposée par Glassworks ne donne pas forcément envie de faire du vent dans les couettes (c'est bête je sais, mais c'est bon pour la tête...), on notera tout de même la diversité des thèmes proposés, allant du lumineux au sombre et tortueux Island (si je vous dis que c'est mon préféré, ça vous étonne ?).

Au final, un de mes classiques.