La Bête - Walerian Borowczyk (1975)

Dans le cadre de la rétrospective Walerian Borowczyk qui se tiendra au Centre Pompidou du 24 février au 19 mars 2017, Carlotta édite le 22 février prochain un coffret collector [1] 8 DVD & 3 Blu-Ray consacré au cinéaste polonais incluant sept longs métrages en version restaurée 2K, réalisés entre 1967 et 1981 : Théâtre de Monsieur & Madame Kabal (avec en sus douze de ses courts métrages, Goto, l'île d’amour, Blanche, Contes Immoraux, Histoire d'un péché, Docteur Jekyll et les femmes et celui qui nous intéresse, La Bête

Sans aucun doute son film le plus scandaleux (il faudra attendre 2001 pour que la censure britannique autorise finalement l'exploitation en salles de la version intégrale) et le plus populaire (ce fut tant un succès critique que commercial en France), La bête faisait suite au virage explicitement érotique de Walerian Borowczyk initié l'année suivante avec le déjà subversif Contes immoraux. Initialement conçu comme cinquième épisode des dits contes sous le nom "La véritable histoire de la Bête du Gévaudan" [2], le volet fut intégré à La Bête sous la forme d'une séquence onirique désormais passée à la postérité. Mais n'allons pas trop vite.

Pierre de l'Espérance (Guy Tréjan) veut redorer le blason de sa famille en mariant son fils Mathurin (Pierre Benedetti) à la jeune et belle Lucy Broadhurst (Lisbeth Hummel), riche héritière américaine. Seule condition exigée par le défunt père de Lucy notifiée dans son testament, l'union doit être célébrée par l'oncle de Pierre, le cardinal Joseph do Balo. Mais les rêves érotiques et bestiaux de la jeune femme inspirée par l'histoire de Romilda de l'Espérance (Sirpa Lane), aïeul de la famille qui aurait eu une relation sexuelle avec une bête deux siècles auparavant, vont ébranler ce mariage arrangé en révélant un terrible secret de famille…
   
 
Inspiré par la nouvelle de Prosper Mérimée, Lokis, ou l'histoire d'un comte qui lacère mortellement sa jeune épouse lors de leur nuit de noces (nouvelle qui fut adaptée par le réalisateur polonais Janusz Majewski en 1971), La Bête trouve avant tout son origine dans l'influence surréaliste buñuelienne. Détournement subversif du conte La Belle et la Bête en comédie noire irrévérencieuse, Walerian Borowczyk se joue des convenances et du « bon goût » dès les premières minutes du film par l'accouplement de deux chevaux, avec gros plans sur les parties génitales de la jument et de l'étalon. Un premier coït bestial dont Lucy sera la témoin involontaire, et qui déclenchera en elle son éveil au désir et sa quête du plaisir. Shocking !

Satire sociale anticléricale tournant en dérision à la fois les conventions de l'aristocratie et de la grande bourgeoisie [3], des préparatifs du mariage avec en point d'orgue l'absurde dîner de fiançailles, au curé vénal (Roland Armontel) accompagné de ses deux très chers et charmants enfants de chœur, La Bête est à prendre avant tout sous l'angle de la parodie, Borowczyk jouant également avec malice avec les clichés communs de la pornographie et de l'horreur (château isolé, plans de pénétrations) ; l'incapacité du couple formé par le majordome noir (Hassane Fall) et la sœur de Mathurin (Pascale Rivault) à faire l'amour, ces derniers étant toujours dérangés par les appels de Pierre de l'Espérance, allant également dans le même sens. Provocante, l'apparition de cette bête mi-loup mi-ours dans le rêve de l'innocente Lucy, le sexe dressé éjaculant des décilitres de semence, avant de violer la belle Romilda, s'inscrit enfin dans le même registre grotesque, la musique de Scarlatti au clavecin offrant un judicieux contrepoint.


Tourné en juin 1973 dans le parc de Noisiel pour sa séquence onirique, puis d'avril à mai 1975 au Château de Nandy situé également en région parisienne, le long métrage cultive une atmosphère étrange et décalée qui toutefois dépasse le simple cadre de sa controverse. Film louant le désir féminin en opposition aux traditions patriarcales, La Bête n'est donc pas (seulement) un exercice de style déviant réussi ; ce qui n'empêcha, on s'en doute, quelques petits malins italiens (au hasard) de s'en inspirer pour produire une relecture science-fictionnelle La bestia nello spazio par Alfonso Brescia avec l'actrice finlandaise Sirpa 'Romilda' Lane.

En guise de suppléments, le DVD/Blu-Ray propose en sus de la bande-annonce originelle et l'introduction du critique Peter Bradshaw [4], un document rare : des extraits du tournage commentés par le caméraman Noël Véry. Cinéaste ayant fait ses débuts dans le cinéma d'animation, les extraits nous renseigne sur ses méthodes de travail héritées de son passé : précis jusqu'à l'obsession, ne négligeant aucun détail (décors, costumes, maquillage, coiffure, barbe - c'est lui qui taille et rase Pierre Benedetti), Boro jouait les scènes devant les acteurs leur demandant de reproduire exactement ses faits et gestes.  

A (re)découvrir.

  

 

Crédit Photos : La Bête © Argos Films. Tous droits réservés.


La Bête | 1975 | 94 min
Réalisation : Walerian Borowczyk
Production : Anatole Dauman
Scénario : Walerian Borowczyk
Avec : Sirpa Lane, Lisbeth Hummel, Elisabeth Kaza, Pierre Benedetti, Guy Tréjan, Roland Armontel & Marcel Dalio
Directeur de la photographie : Bernard Daillencourt, Marcel Grignon
Montage : Walerian Borowczyk
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[1] Avec également deux livres inédits : Camera Obscura et Le Dico de Boro. Le coffret originel, Camera Obscura: The Walerian Borowczyk Collection, fut édité par la société de distribution indépendante britannique Arrow en 2014.

[2] La version intégrale des Contes présentée au Festival de l'Âge d'Or avec ce segment bestial est incluse en supplément dans le DVD/Blu-Ray du film.

[3] La présence de Marcel Dalio dans le rôle du Duc Rammendelo De Balode, oncle du père de Mathurin, offre un clin d'œil à La règle du jeu de Jean Renoir.

[4] S'y ajoute également le court métrage Escargot de Vénus réalisé en 1975 par Boro et le bonus nommé Folie de l'extase : L'évolution de la bête où l'on apprend que le réalisateur avait l'idée d'une suite intitulée Maternité.    

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