Abbey is blue: Samedi, c'est Anna Marie

Après quelques jours passés hors de Picardie, puis après avoir subi ensuite un retour de flemme, pour le deuxième post de cette semaine, c'était mal parti... En plus depuis mercredi soir, je savais déjà qui serait ma muse, mais bon, comme nous rappelait justement le guignol de l'actuel premier président de la Cour des comptes et ancien candidat à la mairie de Paris, "quand ça veut pas... ça veut pas...".

Bref, mercredi soir, je zieutais d'un œil fatigué (donc pour ceux qui suivent, ça sous-entend que le second était fermé, passe que pour ceux qui l'ignorent, je suis pas encore borgne) une série US qui nous montre une fois de plus la supériorité de la police étatsunienne par rapport à celle de Kärcher 1er. Résoudre des affaires qui datent de 50 ans, moi je dis chapeau bas... De la part du producteur du chef d'oeuvre Pearl Harbor, que pouvais je attendre ceci dit? Enfin bon, durant cette épisode de Cold Case, j'eus l'agréable surprise d'entendre un morceau de la magnifique Abbey Lincoln (ce qui change car, en général, l'accompagnement musical de la série aurait tendance à ressembler à de l'ipecac, les fans du sieur Patton comprendront...).

Aujourd'hui ce petit post sera donc consacré à l'un des premiers classiques de la belle, Abbey is Blue sorti en 1959. Au départ, la jeune Anna Marie Woolridge se fit remarquer dans les années 50 dans quelques clubs... pas ceux des quartiers brumeux, mais plutôt ceux où on vous sert à manger... oui la mythologie jazz en prends un coup lol... En 1956 en plus d'enregistrer pour Benny Carter, l'année suivante grâce à sa plastique et à son joli brin de voix Anna Marie, qui porte désormais le pseudo Abbey Lincoln, joue dans le film The Girl Can't Help It. S'en suit un contrat pour trois albums avec le label prestigieux de jazz Riverside. Dès le premier album pour le dit label, la patte d'Abbey Lincoln est présente, voix chaude et un all star band à tomber raide (et je vous parle pas de la pochette de That's him qui pour l'époque, en 1957, pfffffiou...). Et puis, ce qui explique aussi mon admiration pour la belle, Anna Marie est fan de la grande Billie... Ça crée des liens, forcément lol. Justement, bien avant son hommage sur disque durant les 80's, on note sur That's him la présence d'un classique de Lady Day, Don't Explain.

En 1959, sort ainsi le dernier album pour Riverside, Abbey is Blue avec toujours sa pléthore de musiciens prestigieux, Kenny Dorham, Wynton Kelly, Philly Joe Jones, Stanley Turrentine... et bien sûr celui qu'on ne peut difficilement omettre, puisqu'il se marieront en 1962, l'immense batteur, Max Roach. On note que l'album contient aussi la première version vocale du standard Afro Blue ainsi que d'autres classiques du répertoire tels que Softly, As in a Morning Sunrise, Lost in the Stars ou Come Sunday . Comme je le soulignais plus haut, la comparaison avec Billie Holiday n'est pas maladroite, on retrouve en effet la même fragilité, la même subtilité mais aussi la même conviction que chez Lady Day, Abbey vit sa musique. Finalement, à part le morceau Laugh, Clown, Laugh qui permet de faire tomber la pression, l'émotion brute est au rendez-vous, en particulier sur le poignant Brother, Where are you?

Dead Can Dance - Spiritchaser

Petit retour en arrière, en 1993, le duo Lisa Gerrard et Brendan Perry sort Into the Labyrinth, un des albums les plus connus et vendus du groupe qui synthétise parfaitement leur passé et nouvelles aspirations musicales. On retrouve ainsi tout le savoir faire du duo, une musique à la fois mystique, à la fois atmosphérique qui vient puiser sa source dans la musique liturgique ou tribale. Or l'apport des musiques du monde se veut de plus en plus important...

En 1996, le nouvel album de Dead Can Dance, Spiritchaser, débarque alors, après une mise en bouche Gerrardienne, Lisa sortant son premier LP solo, The Mirror Pool, l'année précédente. Parler de dégoût, semble fort, mais paradoxalement bon nombre de fans ont accueilli tièdement cet album. Les raisons sont multiples et leurs justifications sinon douteuses apparaissent comme celles du comportement d'enfants trop gâtés. Les voix de Brendan et de Lisa font désormais corps contrairement aux albums précédents où on ne comptait qu'un vocaliste par chanson. Grief pour certains car symbole du manque d'implication de la future diva world, Gerrard semblerait dès lors plus intéressée par The Mirror Pool. Ajoutons juste qu'au contraire les deux chantent enfin véritablement en duo sur un album. L'album est profondément ouvert aux musiques du monde, un voyage sonore qui emmène l'auditeur aux bords du Gange, en Afrique noire, sur le contient Sud-Américain et en Océanie. Fallait il entendre (encore) des (néo)chants liturgiques façon new age? Depuis le début  de DCD, chaque album du duo se veut différent, la paire ne cherchant en aucun cas la pure redite. Mauvaise foi de l'enfant gâtée.

Spiritchaser est l'album le plus ouvert du duo, et peut-être le plus authentique, le plus riche aussi (pas moins 5 personnes pour les percussions de Nierika). Le groupe n'hésite plus à développer son propos, étirant ainsi sans redondance ses partitions (Songs of the Stars dépassant ainsi les 10 minutes) avec le retour notable de la guitare de Perry, en particulier sur Song of the Dispossessed (annonçant ainsi son futur album solo, l'excellent Eye of the Hunter).

A (re)découvrir.

Gravest Hits: Lux Interior et Poison Ivy

Y'a quelques mois, je vous avais parlé du groupe de Glenn Danzig, the Misfits, à l'époque dans un genre relativement proche (cette attirance pour les films de série B voire Z et ce bon vieux rock 'n' roll), j'avouais que ma préférence allait surtout à un autre groupe américain The Cramps.

Avant tout, the Cramps, c'est surtout un couple de doux dingues, à savoir Erick Purkhiser et mademoiselle Kristy Wallace, plus connus sous ces joyeux pseudonymes: Lux Interior et Poison Ivy... Les deux futurs tourtereaux se sont rencontrés après que ce brave Erick ne prenne en auto-stop Kristy en 1972. Découvrant plus tard leurs goûts communs pour la contre-culture: films d'horreur de série B, des disques obscures de rockabilly des 50's, tout comme la surf music et le rock garage des 60's, ces derniers décident de former un groupe de rock (étonnant, non?).

Ceci dit, les bonnes idées, c'est bien gentil, mais ça prend du temps avant de les concrétiser. Il faudra ainsi attendre 1975 pour que le duo rejoignent la "grande pomme" et s'adjoignent les services de deux autres zicos. On notera une fois de plus pour ceux qui auraient la mémoire courte ce que fut le New York de ces années là, une véritable marmite bouillonnante gorgée de futurs grands noms de la scène punk made in NYC (Television, Patti Smith, the Ramones, etc...). Ainsi en travaillant dans le même magasin de disques, Lux fit la rencontre d'un autre employé Greg Beckerleg lui même porté sur les mêmes goûts musicaux, ni une ni deux, le petit nouveau baptisé Bryan Gregory sera le second guitariste du groupe (car à ces débuts, le combo avait la particularité de ne point avoir de bassiste). Petite anecdote en passant, qui n'est guère surprenante dans la mythologie punk (voire carrément cliché, il faut l'admettre), le sieur Gregory ne savait pas jouer au départ de la guitare...

Pour le poste de batteur, après avoir essayé la soeur de Gregory, puis une certaine Miriam Linna, le line-up se stabilise enfin avec l'arrivée de Nick Knox. The Cramps commencent ainsi à faire parler d'eux, dans les deux clubs cultes de NYC, le CBGB et le Max Kansas City, aidé il est vrai par les Ramones. Il faut dire que lors de leur premier show au CBGB en première partie des Dead Boys, le groupe eut la bonne idée de jouer avec des cordes neuves... et donc désaccordées! N'étant plus en odeur de sainteté, le combo fit ainsi ses armes dans le club new-yorkais connu quelques années plus tôt pour avoir eu en son sein les dernières représentations d'un Velvet Underground Reedien au bout du rouleau. Épaulé ainsi par les Ramones (pas étonnant ceci dit, ces derniers ayant les mêmes goûts pour la surf music et le rock garage des 60's), les Cramps sont de retour au fameux CBGB...

En 1978, sortent enfin leurs premiers 45 tours The Way I Walk et le fabuleux Human Fly qu'on retrouvera sur leur premier EP Gravest Hits. En 1979, les choses s'accélèrent et ils signent sur le label IRS où ils enregistrent dans le temple du Rock'n Roll, Memphis, leur premier LP, Songs the Lord Taught Us qui sortira en mai 1980. Suite au prochain épisode...

Pour terminer la semaine et entamer le week-end, une vidéo archi-culte d'un extrait de concert donné au Napa State Mental Hospital en 1978, qui n'est autre qu'un hôpital psychiatrique, où l'on pourrait trivialement penser que le plus fou n'est sans doute pas celui qui écoute les chansons.

The Cramps - Human Fly (Live at Napa State Mental Hospital en 1978)


Bill Withers: le Brassens de la Soul

Ouais bon, sous ce titre certes un peu raccoleur (ceci dit je vous expliquerai le pourquoi du comment), aujourd'hui mercredi, encore de la black music... mais pas du metal, de la soul, mouaaaaaarffff...

La première chose qui marque à l'écoute de ce grand monsieur, c'est l'humilité de l'artiste, tout en retenu, musique intime qui colle grandement avec le personnage. Faut dire, pouvait il en être autrement me direz vous? Car en matière de soul music, pour se démarquer les places sont chères! D'un côté vous avez les phénomènes tel que James Brown ou Otis Redding ou la grace androgyne d'un Marvin Gaye (merci au passage à celui qui m'a passé y'a pas si longtemps la vidéo de Marvin à Montreux en 1980). Bref, face à ça, m'étonne pas qu'un artiste comme Bill Withers ait pu faire son trou.

Alors avant d'être interrompu par moi-même, pourquoi divaguais je sur l'humilité du garçon? Et bien faut savoir qu'à la différence des autres, Bill fut bercé certes par la culture musicale afro-américaine, mais il ne fit pas parti de la grande famille du music-hall dès son plus jeune âge comme certains! C'est après 8 années dans la Navy, à 29 ans qu'il se destine véritablement à une carrière professionnelle. Encore que... il bosse le jour pour Boeing s'occupant de la tache au combien gratifiante de monter les sièges des toilettes pour les "navions"... Du coup, il travaille d'arrache pied la nuit pour composer et enregistrer des démos.

Finalement, Bill se fait remarquer en 1970 et signe avec Clarance Avant le boss du label Sussex à l'âge de 32 ans. Et dès le premier album, Just as I am sorti l'année suivante, on touche à quelque chose d'unique avec déjà son premier succès, le tube mélancolique et nostalgique Ain't no sunshine qui deviendra disque d'or et permis à Bill de remporter un Grammy Award dans la catégorie meilleur chanson R&B. Alors on pourrait penser que c'est le début du succès de Bill, et donc plus de soucis à se faire matériellement parlant et donc adieu Boeing... Que nenni, il ne lachera pas ce job tout de suite! Withers étant plutôt méfiant envers ce business, si ça rend pas encore plus sympathique le garçon, je comprend plus!

Alors sur ce premier essai, ce qu'on peut noter c'est déjà la maturité des compositions (vous me direz à l'âge où il a sorti l'album...). Alors certes, Bill n'a pas un organe à tomber raide, ni un jeu de scène tonitruant, mais il a une voix chaude et des plus sensuelles et comme pour sa musique, délivrée sans aucun artifice. L'originalité de ses chansons, enfin ce qui m'a aussi touché profondément, c'est la place prédominante de la guitare acoustique, instrument qui ne se trouve guère au centre des arrangements en général dans la soul music, le passé blues étant ainsi des plus présents. Ceci dit, ne vous attendez pas non plus à un aspect démo au niveau du son, ça reste excellemment produit, avec son lot de cordes pour vous tirer la chaire de poule.

En ce mercredi, un extrait donc du premier album de Bill Withers, nommé Hope She'll Be Happier au sujet au combien mélancolique avec encore un sujet de rupture au passage chez Bill, sa belle l'ayant quittée pour les bras d'un autre... Et en cadeau, la version live enregistrée au prestigieux Carnegie Hall le 6 Octobre 1972.

I can't believe that she don't want to see me,
We lived and loved with each other so long.
I never thought that she really would leave me,
But she's gone.

Bill Frisell: Le Miles Davis de la six cordes

Après la fureur, un peu de douceur et de réconfort (encore que...) de la part d'un guitariste multicarte: Bill Frisell.

En repensant à mon post de lundi dernier, je cherchais pour faire contre point quelque chose de plus calme, or en citant John Zorn, je me suis rappellé que Bill Frisell en plus d'avoir collaboré à Naked City, était un guitariste connu pour être très versatile.

Le monsieur étudie la six cordes au Berklee College de Boston (comme Al Di Meola) en suivant les enseignements d'un certain Jim Hall (on a vu pire comme professeur...). A noter tout de suite que cette rencontre sera importante dans la carrière, le jeu et la sonorité du petit Bill. On peut aussi faire un parallèle à ce propos entre Frisell et un autre guitariste de jazz, Pat Metheny. En plus d'être de la même génération, ces deux guitaristes en plus d'être influencé par Jim Hall, connaissent finalement le même background musical, à savoir avoir été bercé autant par le rock des 60's que par la country, le blues et puis ensuite par le bop, tel que le grand Wes Montgomery. D'ailleurs, c'est grace à Metheny que Frisell commença véritablement sa carrière de guitariste pour le label ECM, Metheny étant indisponible ce dernier recommanda Bill à Manfred Eicher. Ainsi Bill devient sideman pour des figures importantes du label allemand tel que Jan Garbarek ou Paul Motian. Il faut dire que le jeu tout en subtilité de Bill fait des merveilles et colle à merveille avec le son ECM.

A ce propos, dans le titre du post, j'écris le Miles Davis de la six cordes... pourquoi me direz vous? Pour deux raisons, la première, comme pour le Prince of Darkness, Frisell peut jouer de tout, ce dernier ne peut être rattaché à un style bien particulier. Et puis, deuxiement, tout comme Miles, Bill aime les silences, pour ainsi étendre son jeu et remplir l'espace.

D'ailleurs preuve en est de la versatilité du monsieur, ce dernier rejoignit dans les années 80 la grande pomme et rencontra ainsi le doux dingue John Zorn. Là encore, son jeu fait des merveilles, teinté d'une ironie et d'un humour collant parfaitement aux délires zorniens. Au cours des ces dernières années, Frisell enregistra ainsi avec des artistes aussi divers que Marianne Faithfull par exemple, et continua de creuser le sillon d'un jazz contemporain à la croisée de plusieurs influences en tout musicien ouvert sur le monde qu'il est.

Mr Masami Akita

Désormais, comme à l'époque où je vivais à Hong-Kong, le lundi sera de nouveau le jour consacré aux expériences sonores plus ou moins extrêmes. Alors j'étais parti pour poster encore une fois du doom metal, vu l'accueil de la semaine dernière, mais je me suis dit qu'après tout, un peu de musique bruitiste ça manquait à nos chers oreilles.

La dernière fois que j'avais proposé en écoute un titre pour tout bon fan de mélodie sucrée, il s'agissait du remix Pure II de Godflesh. A cette époque, j'avais expliqué en quoi l'album de Lou Reed, Metal Machine Music avait permis d'ouvrir la voix à bon nombre de terroristes sonores en herbe. Ceci dit, Lou représente la partie Rock'n Roll du mouvement bruitiste, mais ce dernier peut évidement provenir d'une musique plus électronique...

A ce titre, pouvez vous me citer trois artistes ou groupes en provenance du Japon? Pas forcément évident du premier coup... Perso, à cette question, mon tiercé dans le désordre serait DJ Krush, les keupons gentiment cinglés de Melt-Banana et donc celui qui nous intéresse, Merzbow alias mr Masami Akita.

Au départ et pratiquement à la même époque, Merzbow (nom provenant de l'œuvre Merzbau de l'artiste allemand Kurt Schwitters) suit assez l'approche des papys de la musique industrielle Throbbing Gristle, à savoir triturer des bandes magnétiques, créer des boucles sonores obsédantes, bruitistes et malsaines. En 1979 et 1980, il fonde deux labels Lowest Music & Arts et ZSF Produkt, lui permettant ainsi une plus grande liberté (de toute façon, quel label pouvait bien vouloir le signer?), d'autant plus que le garçon est atteint d'une créationïte aiguë (maladie qui toucha des artistes tels que John Coltrane, David Murray, Frank Zappa ou John Zorn et qui s'exprime par une envie irrésistible de sortir plus de 4 albums par an). Il n'empêche, Merzbow dans les années 90 signa pour divers labels adeptes cultivant l'irrévérence sonore tel que Tzadik (celui de Zorn justement) ou encore Relapse (label de metal extrême) et collabora avec des artistes comme Mike Patton ou Alec Empire.

On notera histoire de prouver une fois de plus l'influence du compositeur de MMM que l'un des premiers disques de Merzbow s'intitule justement Metal Acoustic Music, la boucle est bouclée comme on dit... Autre aspect intéressant de la musique de ce cher nippon est son attirance pour tout ce qui concerne le bondage, le fétichisme et autres réjouissances (avec des titres d'albums comme Pornoise, Sadomasochismo, Music For Bondage Performance ou Neo Orgasm qui pourrait en douter?), aspect souligné aussi des performances lors de ces prestations scéniques.

Lundi rimant avec aspirine et tympans qui saignent, voici un extrait de l'album 1930 sur le label de John Zorn datant de 1998. Alors que dire et surtout qu'en penser de cette chanson (?!), Iron, Glass, Blocks and White Lights ? Selon moi, ça se rapproche d'une expérience, on est pas loin des titres les plus virulents de Trane (comme son fameux Live in Japan ou The Olatunji concert), à écouter volontairement fort, se laisser porter par cette transe bruitiste. Alors oui, la majorité des personnes peuvent considérer ce genre d'oeuvre comme une arnaque ou plus simplement comme du bruit, et pourtant... Ceci dit, à écouter tout de même en pleine possession de ses moyens (physiques j'entends, mentalement, c'est autre chose lol), car on en sort pas indemne.
Amis masochistes sonores, bonne écoute.