Crash - David Cronenberg (1996)

Dix septième volume des attendus coffrets ultra collector édités par Carlotta, celui-ci consacré au film culte de David Cronenberg, Crash, adapté du roman éponyme de J.G. Ballard (1973), qui défraya la chronique Cannoise au mitan des années 90, ne pouvait que remporter les suffrages des cinéphiles exigeant.e.s. Prix Spécial du Jury pour « son audace, son sens du défi et son originalité », contre l'avis même du président dudit jury, Francis Ford Coppola, les polémiques stériles apparues, il y a déjà un quart de siècle, ont laissé la place à une réévaluation quasi unanime, tant ce douzième long métrage de David Cronenberg peut être considéré légitimement comme l'un des sommets artistiques du réalisateur canadien. Vénéneux, clinique, obsessionnel, déviant, malaisant, les qualificatifs ne manquent pas pour décrire ce film d'horreur d'un autre genre désormais disponible dans sa version restaurée 4K depuis le 21 octobre en Coffret Ultra Collector Blu-ray + DVD + livre et éditions Blu-ray et DVD. 

James (James Spader) et Catherine Ballard (Deborah  Kara Unger) mènent une vie sexuelle très débridée. Suite à une grave collision avec le docteur Helen Remington (Holly Hunter) ayant entraîné la mort de son mari, James se lance dans l'exploration des rapports étranges qui lient danger, sexe et mort. Grâce à leur rencontre avec Vaughan (Elias Koteas), un étrange photographe fasciné par les accidents de la route, le couple Ballard va finir par trouver un chemin nouveau mais tortueux pour exprimer leur amour…
 
 

Seconde collaboration avec le producteur britannique, Jeremy Thomas, qui avait pris intuitivement, dès 1983, une option sur les droits cinématographiques du roman publié dix ans plus tôt, et après une autre adaptation réputée elle-aussi impossible, Le festin nu d'après William S. Burroughs, Crash aurait pu s'inscrire à bien des égards comme un nouveau défi pour David Cronenberg. Or, il n'en est rien. Le film s'apparente au contraire comme l'aboutissement d'une filmographie dont les prémices s'étaient déjà signaler en 1988 avec le non moins troublant Faux semblants

Adoubé par le romancier britannique à qui le cinéaste avait envoyé le script fin 1994, Crash, sans le point d'exclamation originel, fut dépeint par Ballard comme « un prolongement et un dépassement » de son oeuvre originelle. Qui oserait le contredire ? Respectant la structure, et en grande partie les éléments narratifs du roman, David Cronenberg procède de la même radicalité, de son refus d'offrir un quelconque libertinage à son détournement de l'esthétique porno chic. Mieux, à l'instar du roman, Crash, le film, dépasse tout autant le simple cadre de l'essai symphorophile provocant pour spectat.eur.rice.s. en mal de sensations fortes. Clinique, froid comme le métal d'une carrosserie de voiture, le long métrage est un modèle d'anti-érotisme [1], ce qui ne manque pas de piquant en relisant les critiques anglo-saxonnes, lors de la sortie du film, taxant le canadien de pornocrate bon pour l'asile. 

 

Portrait mélancolique d'un couple incapable de communiquer autrement que par le sexe, leurs actes se réduisant à combler vainement leur frustration, leur rencontre avec Vaughan fera définitivement basculer les époux Ballard. Guidé par une imagerie faussement pornographique, le film n'a pas, faut-il le rappeler, vocation à émoustiller son public à l'image des dialogues du couple lors de leurs oaristys. De la recherche du plaisir solitaire à cette hypersexualisation sans désir, le film relate la quête désespérée de cette petite communauté de fidèles, guidée par ce faux-prophète, et futur martyr de « la refonte du corps humain par la technologie moderne », à la recherche d'une autre sexualité, qui prend sa source dans les stigmates (cicatrices et autres prothèses métalliques) nés des accidents de voiture [2]

En écho à la « nouvelle chair » du prophétique Videodrome (1982)  mis en scène par David Cronenberg une décennie plus tôt, Crash développe cette fois-ci le concept d'une nouvelle mutation, celle d'un corps scarifié par une prophétie biomécanique « sale et débraillée ». Sur fond de relations sexuelles et de happenings postmodernes, la reproduction des accidents de stars hollywoodiennes (James Dean et Jayne Mansfield), le long métrage se distingue enfin par la distanciation de son metteur en scène et son rapport inédit au récit par la répétition de scènes de sexe qui constitue l'intrigue principal de Crash

 

"Le scénario en soi, a écarté les acteurs qui n'auraient pas eu le cran de faire ce que je leur demandais" David Cronenberg

D'un tournage de dix semaines, se déroulant entièrement à Toronto et dans sa banlieue, le film peut compter sur les fidèles Peter Suschitzky à la photographie et de Howard Shore à la musique, qui livrent ici, sans nul doute, leur contribution la plus brillante et originale. Des images froides, métalliques, bleues et grises à la partition unique du compositeur avec son orchestre composé de six guitares électriques, trois harpes, instruments à bois et percussions, tout concourt à faire de Crash une oeuvre totale. 

Comme à son habitude, le coffret est richement doté de suppléments dont un entretien d'une heure entre le cinéaste et l'un de ses acteurs fétiches, Viggo Mortensen, des courts-métrages réalisés par David Cronenberg dans les années 2000, et le livre Réalisme des sens avec, entre autres, les contributions d'Olivier Père [3et de Thierry Jousse.



Crédit photos : © 1996 ALLIANCE COMMUNICATIONS CORPORATION, IN TRUST. Tous droits réservés.


Crash | 1996 | 100 min | 1.66 : 1 | Couleurs 
Réalisation : David Cronenberg
Scénario : David Cronenberg d'après le roman Crash! de J. G. Ballard 
Avec : James Spader, Holly Hunter, Elias Koteas, Deborah  Kara Unger, Rosanna Arquette
Musique : Howard Shore 
Directeur de la photographie : Peter Suschitzky
Montage : Ronald Sanders
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[1] Le critique étasunien Roger Ebert décrivit le film comme une « dissection des mécaniques de la pornographie ». 

[2] Ironie mordante tant Ballard réalise des spots publicitaires pour la prévention routière.

[3] Il s'agit de la reprise du texte issu du livre Rêves d'acier paru pour la ressortie du film en salles en juillet 2020.

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