Lizard - King Crimson: tout (cra)moisi est le roi

Le disque proposé, et ce qui en découle autour, a rappelé au préposé que, parfois, les artistes ont honte de leurs productions passées. A titre d'exemple, bon nombre de groupes issus des 60’s et 70’s se sont vautrés, avec des fortunes diverses, dans le stupre aseptisé des 80’s. Non contant de nous rappeler au bon souvenir du bontempi et du délicieux son de la caisse claire, les plus chanceux firent au moins sonner le tiroir-caisse (ce qui a ses avantages, avouons-le), alors que pour d’autres, les 80’s allaient au contraire ressembler à un très long passage à vide (has been, vous avez dit has been ?), en attendant une éventuelle rédemption au cours des 90’s. Toutefois admettons que si certains, en cédant aux sirènes d’une production caricaturale symptomatique des 80’s (de la new-wave fadasse au grotesque hard FM), se sont plantés sur les deux tableaux, les 80’s n'ont pas, à elles seules, le monopole de la pantalonnade. Elles n’ont en rien gâchées ou perverties dans l’ensemble la plupart des disques de ces vieilles gloires dont le premier responsable est en premier lieu l’artiste [1]. En somme, deux décennies après, si le résultat ressemble dans la majeure partie des cas à un vomitif puissant ou à une mauvaise blague, certains artistes pourront toujours se remémorer la larme à l’œil (et le nez pincé en option) de l’excellente affaire commerciale effectuée quelques années plus tôt. Mais, comme écrit plus haut, les 80’s n’ont pas l’apanage du retournement de veste.

Descendre - Terje Rypdal (1980)

L’une des constantes qu’on retrouve souvent parmi les amateurs de musique, c’est cet orgueil qu’ont certaines personnes envers la supposée ignorance artistique de leur interlocuteur. Il y a quelques années, lors d’une brève concernant Lisa Gerrard dans un magazine musical, le chroniqueur critiquait Michael Mann d’avoir utilisé quelques chansons de la diva pour l’une de ses bandes originales (celle de The Insider), et par extension les personnes qui découvriraient la diva grâce à la dite BO. Primo, je n’ose imaginer la tête du pisse-froid quand il a découvert la participation de Gerrard à Gladiator. Deuxio, Mann avait déjà repris deux chansons de la dame pour son précédent film, Heat, (chansons issues de The Mirror Pool). Tertio, cette petite anecdote me permet surtout de souligner une fois encore le savoir-faire de sieur Mann en matière de score. Mann proposa ainsi également deux titres composés par le guitariste norvégien Terje Rypdal, Last Night et Mystery Man sur la bande originale de son film de 1995. Or, n’en déplaise à certains (suivez mon regard), ce choix m’a permis de découvrir un guitariste méconnu (pour celui qui n’écoutait principalement que du rock), le catalogue ECM m’étant totalement étranger à cette époque.

Comment définir le style de Terje Rypdal ? Premier indice, je vous ai indiqué qu’il était signé chez ECM. De manière caricaturale, ou en usant de quelques raccourcis faciles, le style Rypdalien se rapproche de celui de son compatriote Garbarek, à savoir un savant mélange entre le jazz et une musique minimaliste (les mauvaises langues pourront taxer cette musique de new-age). Autre point commun, les deux messieurs ont collaboré à leurs débuts. Je ne saurais vous conseiller l'écoute d'Afric Pepperbird de Jan Garbarek avec Terje comme sideman pour vous convaincre de leurs jeunes années teintées de free jazz. Différence notable, cependant, le guitariste Rydpal y incorpore des influences rock (peu surprenant compte de la génération du garçon), tandis que Garbarek est plus sensible aux musiques du monde.

Paid In Full: Eric B. Is President

Duo gagnant, duo marquant, l'un des premiers duos MC/DJ qui marqua le hip-hop, lors du fameux Golden Age : Erik B. & Rakim.

Deux ans après s'être formé (Rakim répondant à une annonce du DJ Eric B. qui recherchait un MC pour accompagner ses beats, scratches et autres breaks), le duo sort en 1987 le très influent Paid In Full. En prime d'avoir fourni quatre singles pour la postérité : Eric B. Is President, I Ain't No Joke, I Know You Got Soul et Move the Crowd, l'album souligne avant tout la science de ses deux interprètes, le flow unique de Rakim et les beats d'Eric B.

A ce sujet, vingt ans après, on retient encore le flow lent et cool de sieur Rakim, à mille lieux des prestations fougueuses et virulentes des MCs de l'époque, tels Chuck D. ou KRS-One. Influencé par le jazz et grand admirateur de John Coltrane (qui lui en voudra ?), certains allèrent jusqu'à comparer Rakim à Thelonious Monk, ces derniers se faisant un malin plaisir d'ignorer la règle de la mesure et de prôner une rythmique plus libre en somme. Contrairement aux autres, il fut aussi l'un des premiers à écrire ses paroles, ne se contentant pas de "simples" improvisations, lui donnant suffisamment de recul pour y inclure une nouvelle approche du travail sur les rimes.

Finalement, le seul aspect où la patine du temps a fait son oeuvre provient de la production d'Eric B. On y retrouve en effet le son typique des productions des 80's (ce qui en soit n'est pas franchement un défaut pour du hip-hop). Eric B, derrière ses platines, joue son rôle de chef d'orchestre, rendant populaire et permettant l'essor du sampling. En jetant un œil sur wikipedia, vous serez surpris par le nombre de samples utilisés par ce DJ pour chaque titre (jusqu'à placer trois instrumentaux sur cet album dont le très dispensable Chinese Arithmetic...)

Au final Paid in Full reste un des albums les plus influents du hip-hop.