La bête d'amour (Tanya's Island) - Alfred Sole (1980)

Il est des films, au-delà de leur supposé qualité, qui suscitent plus que d'autres une curiosité, un intérêt qui grandit au fil du temps, voire une frustration inassouvie depuis la découverte de leur titre français et une photo illustrative qui a accompagnée, dans un passé plus ou moins lointain, un court article dans un ancien numéro de Mad Movies. Laissant entrevoir de multiples possibilités, Tanya's Island, longtemps indisponible en DVD [1], s'inscrivait par conséquent dans cette catégorie floue du film fantasmé. Réalisé par l'auteur du remarqué thriller Alice Sweet Alice (1976) avec la débutante Brooke Shields [2], le troisième métrage d'Alfred Sole avait de solides arguments pour assouvir une saine déviance filmique, ou la relecture du mythe de La Belle et la Bête sur une île paradisiaque avec jeune femme fortement dévêtue en sus.

Tanya (Vanity) est une mannequin à la vie sentimentale compliquée. Déchirée entre son métier et sa relation conflictuelle avec son compagnon et peintre Lobo (Richard Sargent), la jeune femme doit faire un choix si elle veut continuer dans le mannequinat, comme lui indique la productrice Kelly (Mariette Lévesque). Après une énième dispute avec son petit ami, Tanya rentre chez elle se coucher. Au matin, elle se réveille sur une île déserte, Lobo à ses côtés. Si les premiers jours apparaissent idylliques, Tanya s'ennuie rapidement, son homme étant davantage intéressé par la peinture. Au cours d'une journée, la belle s'échappe à cheval et découvre un gorille aux yeux bleus (?!) dans une grotte (?!!), qu'elle baptise dans un accès d'originalité Blue. Mais une fois découverte, cette amitié n'est pas du goût du possessif Lobo...

 

Mettons en garde tout de suite les malheureux qui penseraient avoir à faire à un film érotique à caractère gentiment déviant. Ayons une pensée réconfortante, chers lecteurs, pour ces pauvres bougres abusés, cibles de toutes les tromperies, et dûment affriolés par la photo faussement équivoque dont faisait précédemment référence le préposé. Ces tristes victimes s'attendaient sans doute, émus par tant de  bienveillance, à une version exotique de La bête de Walerian Borowczyk sous les latitudes d'un Lagon bleu déniaisée. Grave erreur. Le piège ourdi par Alfred Sole et Pierre Brousseau, producteur et scénariste de Tanya's Island, est un modèle du genre : machiavélique et sous la forme d'un générique portnawak décrit en 3 étapes. 1/ Hypnose de leurs proies par un soleil couchant, puis 2/ les charmer par le corps avenant et dénudé de mademoiselle Winters en surimpression, et enfin 3/ leur asséner le coup de grâce en les faisant succomber à ses « come to me » susurrés par sa bouche sucrée. Imparable. Toutefois le reste l'est beaucoup moins...

Car sous couvert de fantaisie onirique bienvenue [3], le récit s'apparente en effet bien vite à une compilation indigeste de psychologie de bazar, où le personnage féminin fait rapidement les frais d'une basse misogynie. Métaphore grossière, notre héroïne soumise est ainsi tiraillée entre son amour pour son abusif barbouilleur et la douce affection que lui porte son primate préféré. Sic. Nos deux mâles régleront dès lors cette affaire de manière viril, à condition de penser que construire un fort de fortune en bambou et enfermer sa petite-amie comme objet de convoitise est une solution adéquate. Doublé d'une fable enfantine sur la dualité humanité/bestialité, La bête d'amour n'est donc pas le film transgressif plus ou moins attendu, qui précéderait de six années le Max mon amour de Nagisa Oshima. Certes, rares sont ceux qui pouvaient prétendre à voir autre chose qu'un film fauché, avec comme seul argument une jolie fille fraîchement dévêtue batifolant sur une plage de sable fin. Mais tout de même, l'argument surréaliste ou étrange méritait mieux qu'une petite morale réactionnaire.

 

Et si le scénario est ridicule, le duo d'acteurs humains n'est pas en reste : le primate passe pour un modèle de sobriété devant la prestation à l'arrache de Richard Sargent, tandis qu'à l'opposé, le choix de la future protégée de Prince semble n'avoir été guidé que par l'agréable transparence de sa personne et son physique de nymphette [4]. Connu également des initiés pour la participation de la paire talentueuse Rob Bottin (The Thing) et Rick Baker (Star Wars) pour la confection du singe imaginaire (entre le gorille et le mandrill), il est finalement dommage que le soin apporté à cette création n'est pas plus profité à l'écriture du scénario de Pierre Brousseau.

Pour amateurs du travail de Bottin et Baker. Rien de plus.





Tanya's Island (La bête d'amour) | 1980 | 82 min
Réalisation : Alfred Sole
Scénario : Pierre Brousseau
Production : Fran Rosati, Pierre Brousseau
Avec : Vanity (D.D. Winters), Richard Sargent, Don McCleod, Mariette Lévesque, Donny Burns
Musique : Jean Musy
Directeur de la photographie : Mark Irwin
Montage : Andrew Henderson, Michael MacLaverty
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[1] Tanya's Island reste encore cependant indisponible en Zone 2.

[2] Soit deux ans avant le rôle qui la fit connaitre dans La petite de Louis Malle.

[3] L'idée de départ et la séquence du rêve précédée d'effets sonores et visuels évoquent d'une certaine manière le Mulholland Drive de David Lynch, le visionnage de Mighty Joe Young (1949) au début du film amorçant cette fois-ci le songe de Tanya.

[4] A l'instar de la plupart de ses rôles au cinéma.

5 commentaires:

  1. Une belle rareté qui m'a l'air assez croquignolette...Pourtant, Alfred Sole est l'auteur d'un excellent "Alice sweet Alice". Quant à la mimi Vanity, je me souviens d'elle dans "Action Jackson", un petit B bien 80's avec le musculeux Carl Weathers et une Sharon Stone encore en période vache maigre.

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    1. Ah ça, oui, elle est mimi Vanity, mais ça ne sauve en rien malheureusement le film...

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  2. Un fantasme filmique qui m'a poursuivi depuis l'adolescence et qui s'écroule avec cette néanmoins excellente chronique !
    A noter (même si beaucoup l'auront déjà remarqué) : Lobo signifiant loup, on peut se demander alors qui est le plus impitoyable : le beau Blue ou le loco Lobo ^^

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    1. Merci pour cette précision chère Dame ! Effectivement ça colle bien avec le caractère possessif de Lobo ;-)
      Résultat quand un loup se bat avec un singe, qui perd à fin ? Vanity !

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    2. Et le spectateur ça va sans dire

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