Cronico Ristretto : Jean Douchet, l'enfant agité (2017)

Rédacteur en chef-adjoint aux Cahiers du Cinéma entre 1958 et 1963 au côté d'Éric Rohmer, Jean Douchet occupe depuis une cinquantaine d'années une place importante dans la cinéphilie française. Auteur de quelques ouvrages dont Alfred Hitchcock en 1967, ou plus récemment Nouvelle Vague en 2004, enseignant à l'IDHEC, cinéaste occasionnel, Jean Douchet est, non content d'être également un critique de cinéma influent, « un des derniers grands sages du cinéma ». De leur première rencontre, alors lycéens, lors de son premier ciné-club au Centre des Arts d'Enghien-les-Bains en 2008, le jeune trio de réalisateurs, Fabien Hagege, Guillaume Namur et Vincent Haasser, lui a consacré l'année dernière un documentaire hommage. Jean Douchet, l'enfant agité est en salles depuis le 24 janvier 2018.

Portrait intimiste rythmé par différentes rencontres avec ses anciens disciples, ce documentaire s'inscrit à mesure par sa forme comme un voyage initiatique, au cours duquel Jean Douchet joue autant le rôle de fil conducteur, que de guide pour les spectateurs et son jeune trio de cinéastes. De ses débuts aux Cahiers et sa relation particulière avec Rohmer, à leur éviction de la revue [1] et le début de son périple à travers divers ciné-clubs hexagonaux à partir du mitan des années 60, se dessine rapidement la figure d'un homme de cinéma curieux, ouvert et altruiste.
  

Gimme Danger - Jim Jarmusch (2016)

Deux décennies après Year of the Horse (1997) consacré au loner Neil Young, Jim Jarmusch, cinéaste empreint de contre-culture, revenait en 2016 sous la forme documentaire à ses premiers émois rock adolescents. D'une amitié née il y a une vingtaine d'années, au gré de ses diverses collaborations avec James Osterberg, dit Iggy Pop, leurs chemins se sont de nouveau croisés [1] courant 2013 (après le tournage du précédent long-métrage de Jarmusch, Only Lovers Left Alive) afin de recueillir les confidences et autres souvenirs du dernier membre vivant de la formation culte nommé The Stooges. Présenté hors compétition au Festival de Cannes lors des séances de minuit, Gimme Danger [2] retrace ainsi, et pour la première fois, l'histoire d'un des plus influents groupes de rock. De leur début en 1967 à leur séparation en 1974, jusqu'à leur reformation officielle en 2003. Rien de moins.

D'un classicisme formel assumé, loin, très loin du chaos et maelstrom associés à la formation d'Ann Arbor, Gimme danger n'a nulle vocation première à jouer les trouble-fête en matière de documentaire. Soucieux de réaliser un hommage sincère aux Stooges, Jarmusch fait débuter son documentaire en 1973, lors de leur dernière tournée étasunienne, quand les Stooges en perdition et en mode autodestructeur écumaient les clubs, contre un public hostile de bikers, avant l'arrêt définitif l'année suivante, Iggy et la fratrie Asheton retournant chez leurs parents respectifs. En aparté, on ne saurait trop conseiller à ce titre aux néophytes et aux autres de tendre une oreille sur le pirate semi-officiel Metallic K.O. qui regroupent des extraits des concerts apocalyptiques au Michigan Palace de Detroit du 6 octobre 1973 et du 9 février 1974 (dernier concert des Stooges avant leur reformation de 2003).
 

Spontaneous Combustion - Tobe Hooper (1990)

Quatre années après sa séquelle de Massacre à la tronçonneuse, dernier des trois films contractuels et controversés (avec Lifeforce et le remake de L'Invasion vient de Mars) que Tobe Hooper signa pour la Cannon des cousins Golan et Globus, le réalisateur de Massacres dans le train fantôme revenait aux affaires [1] avec un nouveau projet de long-métrage Spontaneous Combustion. Mieux, après une décennie de collaborations plus ou moins fructueuses avec des studios, Hooper retournait aux productions indépendantes, pour le meilleur et pour le pire, non sans avoir décliné auparavant la mise en scène du troisième volet des aventures de Leatherface.

Rares ont été les réalisateurs de la génération de Tobe Hooper à connaitre autant de malentendus et de rendez-vous manqués avec la critique et le public. Le téléfilm Les vampires de Salem, sans aucun doute l'une des meilleures adaptions d'une œuvre de Stephen King, fut ignoré, avant une récente réhabilitation, pour la seule raison qu'il s'agissait d'une production télévisuelle 70's [2]. Idem pour Massacres dans le train fantôme. Sans oublier la volée de bois vert reçue par les trois produits estampillés Cannon, l'impardonnable étant pour certains d'avoir osé faire une suite à son chef d'œuvre de 1974. Pire, depuis Le crocodile de la mort (1977), qui l'avait vu quitter la production avant la fin du tournage pour « divergences artistiques », Hooper collectionna les problèmes et autres interférences avec ses divers producteurs (il fut renvoyé des tournages de The Dark en 1979 et de Venin en 1981), la plus cuisante expérience étant paradoxalement celle relative à son plus grand succès public et critique, Poltergeist. De la présence envahissante de son supra-producteur Steven Spielberg, le travail de Hooper fut de facto minoré par la profession [3]. Non content d'être dépossédé de son film, le réalisateur passa dès lors aux yeux de ses pairs pour un prête-nom, une mise au ban expliquant sans aucun doute le délai de trois ans et les difficultés de Hooper à pouvoir mettre en scène un nouveau long-métrage [4].
   
D'un Massacre à la tronçonneuse pouvant être considéré, à la lecture des précédents faits évoqués, autant comme une bénédiction qu'une malédiction pour son auteur, ne tournons pas autour du pot, Spontaneous Combustion ne déroge pas aux mésaventures Hooperiennes susmentionnées (et ceci en dépit de la nature indépendante de cette production). Mais n'allons pas trop vite.
 

A Fuller Life - Samantha Fuller (2013)

En parallèle à la rétrospective consacrée au grand Samuel Fuller (1912-1997) par la Cinémathèque française jusqu'au 15 février, Carlotta édite en blu-ray et DVD le 3 janvier, jour de l'ouverture de cette rétrospective, le documentaire A fuller life signé par Samantha, la propre fille du réalisateur [1]. Père spirituel du Nouvel Hollywood, cinéaste protégeant farouchement son indépendance et sa liberté de création, Samuel Fuller incarne, on ne peut mieux, l'image du réalisateur franc-tireur au sein de l'industrie cloisonnée hollywoodienne des années 50. Journaliste, militaire, dans la première division d'infanterie étasunienne, la Big Red One, durant la Seconde Guerre mondiale, avant d'entamer par la suite sa carrière, de metteur en scène, Fuller a enrichi, dès le début, son oeuvre cinématographique de ses propres expériences biographiques, de Violences à Park Row (1952) à Au-delà de la gloire (1980). 

Tiré des mémoires du cinéaste, A Fuller Life conte la vie hors norme de l'artiste en conviant quinze réalisateurs et acteurs, amis, admirateurs ou collaborateurs : de Joe Dante à William Friedkin, de Tim Roth à Mark Hamill. Prêtant leur voix, jouant le jeu du mimétisme, avec cigare en supplément, chacune des personnalités récite à la manière et avec les propres mots de Samuel Fuller un épisode marquant du cinéaste.