Phantom of the Paradise - Brian De Palma (1974)

Décembre 2015, Carlotta initiait sa collection coffret Ultra Collector avec Body Double. Avril 2017, le 12, la sixième édition se penche de nouveau sur le cas du réalisateur d'Obsession avec son Phantom of the Paradise dans une nouvelle version restaurée 2K. Fraîchement accueilli à sa sortie par la critique et le public, à l'exception notable de Winnipeg au Canada [1] et de la France, où il remporta le grand prix au Festival d'Avoriaz en 1975 restant à l'affiche à Paris une dizaine d'années consécutives, ce long métrage a gagné au fil des années ses galons de film culte, mention ô combien galvaudé qui trouve, toutefois, cette fois-ci, tout son sens ici, mais n'allons pas trop vite...

Jeune compositeur inconnu, Winslow Leach (William Finley), est repéré par le plus grand producteur de musique de tous les temps, Swan (Paul Williams), lors de l'entracte d'un concert des Juicy Fruits, groupe pop à la mode et dernière création lucrative de Swan. Séduit par sa cantate "Faust", Swan veut cette musique pour inaugurer le Paradise, son Palais du Rock, et demande à son bras droit Arnold Philbin (George Memmoli) de voler la partition de Leach sous couvert de vouloir le produire. Un mois plus tard, Winslow se rend au siège du label de Swan, Death Records, et se fait éconduire brutalement. Il décide alors de s'introduire déguisé en femme au domicile de Swan où une audition est organisée pour les postes de choristes. Il y rencontre Phoenix (Jessica Harper), une apprentie chanteuse, qu'il considère parfaite pour sa musique, mais celle-ci est exclue des sélections ayant refusé de coucher avec Philbin. Repéré par Swan et expulsé par ses hommes de main, Winslow est condamné, Swan ayant acheté le juge, à vingt ans de prison pour possession de stupéfiant. Six mois plus tard, Winslow entend à la radio les Juicy Fruits chanter l'une de ses chansons. Il parvient à s'échapper bien décidé à se rendre de nouveau au siège de Death Records...
    
 

Un an après son premier film de genre, le thriller hitchcockien Sœurs de sang en 1973, Brian De Palma réalise un second projet en marge de ses anciennes réalisations indépendantes. De l'idée première d'une corruption d'une musique originale, après avoir entendu une chanson des Beatles en musique d'ascenseur, De Palma s'inspire pour son scénario de sa récente déconvenue, qui vit la Warner Bros. le renvoyer et remonter sans son accord son film Get to Know Your Rabbit (1972). Devenu cinéaste à Hollywood luttant pour porter ses idées originales à l'écran, et désormais hanté par la peur d'être finalement récupéré par le système, Phantom of the Paradise va se nourrir de la vision ironique et acide de De Palma, associé à son goût pour l'humour macabre, sous la forme démentielle d'un opéra rock fantastique. Dont acte.

 

D'une histoire centrée sur l'industrie du disque, Phantom of the Paradise n'en demeure pas moins (aussi et surtout) le portrait déguisé d'un monde du cinéma gangrené par la manipulation. Ersatz musical d'Hollywood, Death Records représente ainsi son avatar pourvoyeur de tubes frelatés appliquant cyniquement les mêmes recettes, avec à sa tête, Swan, hybride parodique de Phil Spector et de Howard Hugues. Excessif dans tous les sens du terme (comédie, romance, thriller, horreur, fantastique, musical, le film est tout à la fois), flirtant allègrement avec le mauvais goût, ce bouillon de culture baroque qui revisite Le Fantôme de l'opéra, tout en s'inspirant des mythes de Faust, Frankenstein et Dorian Gray, se démarque, toutefois, autant par ses clins d'œil que par ses diverses mises en abyme, formelles ou non. De la référence au plan séquence de La Soif du mal d'Orson Welles lors de la scène en split screen de la bombe dans le coffre de la voiture des Juicy Fruits, à la scène parodique de la douche empruntée à Psychose, en passant par les décors de la scène du Paradise créés par Jack Fisk [2] inspirés par Le Cabinet du docteur Caligari de Robert Wiene, ou le patronyme du bras-droit de Swan en hommage à Mary Philbin, interprète de Christine dans la version muette de Phantom of the Opera de 1925 avec Lon Chaney, De Palma offre une réflexion sur le cinéma étasunien contemporain. Au-delà de la thématique « voyeuriste » signalée par ces différents jeux de miroirs, écrans de contrôle, caméras et autres télévisions [3] qui rejoint celle de la manipulation citée plus haut, le cinéaste remet en cause de l'intérieur le manque d'ambition des Studios en mettant en scène un film sur le recyclage en recyclant le passé. Brillant.

 

Produit comme Sœurs de sang par Edward R. Pressman, Phantom of the Paradise offrit à William Finley son seul grand rôle. Après avoir interprété l'année précédente l'inquiétant docteur Émile Breton, cet acteur intimement lié aux longs métrages de la période new-yorkaise de De Palma, du court métrage Woton's Wake (1962) à Dionysus in '69 (1969), incarnait cette fois-ci un personnage ambivalent, le timide et gauche Winslow Leach se métamorphosant en le vengeur Phantom. Le visage défiguré masqué sous un casque en tête d'oiseau, le corps engoncé dans une combinaison de cuir et parlant d'une voix métallique [4], le Phantom pouvait désormais insuffler un vent d'anarchie dans l'univers de Swan. 

 

Film musical, Brian De Palma fit appel à Paul Williams pour composer ce mélange extravagant de pop, glam et hard rock 70's. Si le studio aurait volontiers confier le rôle de Swan à David Bowie, le choix de Williams d'incarner ce Dr Mabuse de l'industrie du spectacle s'avéra judicieuse tant son physique est à l'opposé de ce que l'on pouvait attendre de cette icône monstrueuse corrupteur d'âme (jeune ingénue au départ, Phoenix sous son influence devient une garce cynique et arriviste).   

Sorti aux États-Unis le 31 octobre 1974, après moult problèmes juridiques durant sa production [5], d'abord à New-York et Los Angeles, le film fut un échec. Film à part dans la filmographie de De Palma, Phantom of the Paradise, à l'instar du The Rocky Horror Picture Show l'année suivante, ne réussit pas à concilier le public rock et les fans d'horreur, avant de connaitre, l'un comme l'autre, une réévaluation auprès du public. 


 

Le coffret contient comme suppléments une présentation de Gerrit 'Beef' Graham, un entretien avec le réalisateur, un second de Paul Williams par Guillermo Del Torro, un retour sur les démêlées judiciaires qui poussèrent la production à changer le nom de Swan Song Enterprises à Death Records, une carte blanche à la costumière du film Rosanna Norton, une sélection de scènes coupées ou alternatives, six chansons en mode karaoké et le livre de 160 pages « Dr. Brian and Mr. De Palma » qui revient sur la genèse du film et regroupe un entretien avec le réalisateur et diverses analyses, agrémenté des paroles de toutes les chansons du film et de 40 photos d'archives.

CULTE.






Phantom of the Paradise | 1974 | 92 min
Réalisation : Brian De Palma
Production : Edward R. Pressman
Scénario : Brian De Palma
Avec : Paul Williams, William Finley, Jessica Harper, Gerrit Graham, George Memmoli
Musique : Paul Williams
Directeur de la photographie : Larry Pizer
Montage : Paul Hirsch
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[1] Le succès fut tel que la bande-originale fut certifiée disque d'or au Canada sur les seules ventes issues de Winnipeg !

[2] Avant d'incarner Carrie du même De Palma deux ans plus tard, Sissy Spacek fut pour le film décorateur ensemblier, et assista son futur époux Jack Fisk.

[3] Posté sur le toit, le Phantom regarde le couple s'ébattre mais une caméra de surveillance reliée à la chambre le surplombe. Swan jouit alors doublement de se regarder lui-même et de se (sa)voir regardé.

[4] En apprenant que son ami George Lucas rendit visite à Brian De Palma durant le tournage, on comprends rapidement de qui s'est il inspiré pour son Darth Vader.

[5] La production fut menacée de diverses poursuites : Universal détenait les droits du Fantôme de l'opéra, Swan Song Records, créé par Led Zeppelin, était une sous-division du label Atlantic Records et King Features avait un comics nommé Phantom.

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