Obsession - Brian De Palma (1976)

Parmi les jeunes loups du Nouvel Hollywood, Brian De Palma fut sans doute celui qui prenait le plus à cœur cette envie de revisiter l'âge d'or du cinéma. L'un de ses précédents longs métrages, Sisters, se permettait ainsi de faire le lien entre le thriller Hitchcockien et un hommage aux maîtres de l'expressionnisme. Inspiré cette fois-ci uniquement par le grand Alfred, Obsession dépasse le simple hommage pour être la relecture entière de Vertigo. Mal perçu à l'époque, tant par le vieux cinéaste britannique que par ses admirateurs, le film fut décrit par ses détracteurs comme une vulgaire « resucée » de Sueurs froides. Un grief que le grand public ne retint pas, et qui permit à De Palma de signer à 36 ans son premier succès commercial. Métaphore du pouvoir obsessionnel du septième art, Carlotta nous propose de revoir cette œuvre trouble sur la culpabilité et le désir en version restaurée inédite ce mercredi  18 septembre au cinéma.

1959, Michael et Elizabeth Courtland (Cliff Robertson et Geneviève Bujold) célèbrent dans leur grande maison leur dixième anniversaire de mariage avec plusieurs notables de la Nouvelle Orléans, dont l'associé de Michael, Robert Lasalle (John Lithgow). Mais cette soirée tourne au drame après le kidnapping de la femme et de la fille de Courtland. Sa seule chance de les revoir est de payer la rançon de 500 000 dollars. Désemparé, l'homme d'affaire fait appel à la police. On lui propose de ne pas payer. En échange de la somme demandée, la police souhaite déposer, en plus de faux billets, un émetteur dans la valise afin de retrouver la trace des otages. Or la tentative de sauvetage se solde par un drame : encerclés, les kidnappeurs s'enfuient avec leurs victimes, et meurent dans un accident de voiture. Aucun cadavre n'est retrouvé. Courtland, rongé par la culpabilité, fait ériger sur le terrain qui devait symboliser sa récente réussite professionnelle une stèle gigantesque en guise de mémorial. Seize années plus tard, au cours d'un voyage d'affaire à Florence en Italie avec son associé Robert Lassalle, Michael découvre dans la même église, où il avait fait la rencontre d'Elizabeth, une jeune italienne ressemblant trait pour trait à sa défunte épouse...

 

Originellement intitulé Déjà vu, le scénario écrit par Paul Schrader naquit de la redécouverte de Vertigo par le duo De Palma et Schrader. Souhaitant garder la même trame que le classique d’Hitchcock, les deux hommes entreprirent la modernisation des thématiques de l'auteur en exacerbant le sous-texte psychanalytique. Ce choix d'une relecture explicite et apparente aurait d'ailleurs pu ne pas recevoir un tel écueil de la part de certains admirateurs. Mais le réalisateur de Phantom of the Paradise prit au contraire un malin plaisir à entretenir leur rancœur en affirmant qu'Obsession rappelait simplement Sueurs froides, voire pire, l'améliorait. Une provocation parmi tant d'autres, De Palma prouvant encore par la suite qu'il allait devenir coutumier de ce type de double jeu [1].

Chantre de la perversion et du voyeurisme, De Palma décida de couper et d'écourter le scénario original [2] de Schrader (ce dernier refusant d'en réécrire une version allégée), pour en garder sa substantifique moelle : un mélodrame romantique malsain. Formellement, le cinéaste ne s'éloigna pas non plus du long métrage de 1958. Il en garda le motif de la spirale à travers l’usage de travellings circulaires, telle la scène finale entre Robertson et Bujold. Ajoutant nombre de fondus-enchaînés et de ralentis, De Palma le virtuose et son chef opérateur Vilmos Zsigmond exacerbent également la frontière floue entre le rêve et la réalité, procédé ayant l'avantage de minimiser les diverses incohérences [3] d'une histoire dont le ressort principal est l'émotion.

  

Moins cérébral que son aîné, le récit de De Palma n'hésite pas à jouer sur la corde sensible, quitte à amplifier plus que de raison un romantisme qui prend sa source dans la maladie du personnage principal : lyrique, onirique et morbide, l'obsession de Courtland lui fait perdre tout raisonnement et sens des réalités. Hanté par la perte de sa femme et par la seconde chance que peut lui offrir Sandra, le gentleman sudiste, interprété par un Cliff Robertson paradoxalement impassible [4], est dès lors spectateur des évènements et de la manipulation dont il fait l'objet. Volontairement prévisible, la supposée intrigue devient le prétexte à un débordement baroque orchestrée par un retors De Palma [5], où la révélation Geneviève Bujold et son image de femme-enfant incarnent idéalement cet instrument manipulatoire.

Mis en musique par le compositeur phare d'Hitchcock, pour sa seconde collaboration avec De Palma après Sisters, Bernard Herrmann propose également une relecture des thèmes initialement écrits pour Vertigo, la ressemblance troublantes entre les deux scores rattachant encore davantage le film à son modèle.

 

En attendant les relectures un brin plus déviantes et provocatrices de Psycho(se) et Rear Window (Fenêtre sur cour) intitulées Dressed to Kill et Body Double.



Crédits photographiques © 1975 Yellowbird Films, LTD. Tous droits réservés.


Obsession | 1976 | 98 min
Réalisation : Brian De Palma
Scénario : Paul Schrader d'après une histoire de Brian De Palma et Paul Schrader
Avec : Cliff Robertson, Geneviève Bujold, John Lithgow, Sylvia Kuumba Williams, Wanda Blackman
Musique : Bernard Herrmann 
Directeur de la photographie : Vilmos Zsigmond
Montage : Paul Hirsch
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[1] Lire à ce propos la chronique de Vincent sur Inisfree.

[2] L'histoire continuait ainsi dix ans après la fin du film.

[3] L'incompétence de la police de la Nouvelle Orléans et le plan élaboré contre Michael Courtland par exemple.

[4] Et dont le temps ne semble pas avoir eu de prise.

[5] Encore que la major Columbia fit pression pour faire apparaitre le contexte incestueux du script seulement dans l'imaginaire de Courtland.

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