La vierge des tueurs - Barbet Schroeder (1999)

Dans le cadre de la rétrospective Barbet Schroeder qui se tient au Centre Pompidou du 21 avril au 11 juin 2017, Carlotta édite le 26 avril prochain un coffret collector DVD & Blu-Ray consacré au cinéaste suisse incluant cinq longs métrages, réalisés entre 1974 et 1999 : Général Idi Amin Dada, Autoportrait, Maîtresse, Koko, le gorille qui parle, Tricheurs et celui qui nous intéresse, La vierge des tueurs dans une version restaurée. Ajoutons à ce coffret la sortie simultanée, des Charles Bukowski Tapes (pour la première fois en DVD) ou l'intégralité des cinquante entretiens réalisés par Barbet Schroeder avec l'auteur Des contes de la folie ordinaire, trois années avant leur projet commun, le désormais classique Barfly (1987).

Après trente ans d'absence, l'écrivain Fernando Vallejo (Germán Jaramillo) qui a perdu le goût de vivre revient à Medellín pour y mourir. Dans un bordel de garçons tenu par une de ses plus anciennes connaissances, il rencontre Alexis (Anderson Ballesteros), un adolescent de seize ans issu des quartiers pauvres. Une relation d'amour s'établit immédiatement entre le vieil écrivain et le jeune homme. Dernier survivant d'un gang dont tous les membres ont été éliminés, désormais condamné à mort par une bande rivale d'un autre quartier, la vie d'Alexis à l'instar de celle de Fernando est en sursis. Ils s'installent ensemble chez Fernando, passant leurs journées à déambuler dans la ville gangrenée par la violence. Malgré les protestations de Fernando, Alexis tue plusieurs fois pour le défendre, le poussant irrémédiablement vers une spirale morbide à l'issue fatale…

 

Sélectionné à la Mostra de Venise en 2000, La vierge des tueurs est né du souhait récurrent de Barbet Schroeder de pouvoir tourner un film dans son pays de cœur, la Colombie, où il y passa cinq années de son enfance. Après deux décennies à chercher un écrivain colombien à la fois capable d'écrire un scénario, et d'être intéressé par un projet de film, le cinéaste suisse fit la découverte de Fernando Vallejo. Un véritable choc pour Schroeder qui place l'œuvre du colombien au même niveau que celle de Charles Bukowski. L'écrivain lui proposa dès lors d'adapter son livre semi-autobiographique La vierge des tueurs. Passé de très longues négociations du propre aveu du réalisateur avec Vallejo sur le nombre de meurtres à garder (le seuil des dix-huit meurtres du livre apparaissant inconcevable pour Schroeder), un scénario original fut finalement écrit. Car contrairement à ce que pourrait laisser transparaître le film, aucune ligne de dialogue n'est improvisée, au mieux certaines furent ajoutées lors du tournage telles celles du jeune frère vengeur d'Alexis après son exécution. Ne restait plus qu'à trouver les interprètes de ce film pensé 100 % colombien, à savoir, Germán Jaramillo un acteur de théâtre, et Anderson Ballesteros, un jeune vendeur d'encens recommandé par l'ami de Fernando qui lui avait présenté le vrai Alexis.

Réalisé en marge de sa période hollywoodienne (en 2002, il signa en guise de dernier chapitre Calculs meurtriers avec Sandra Bullock et Ryan Gosling), La vierge des tueurs s'inscrit comme une histoire d'amour tragique dénuée de tout sensationnalisme. D'une romance homosexuelle traitée comme un fait donné, sans préjugé, sentimentalisme ou militantisme, Barbet Schroeder se fonde avant tout sur une approche naturelle. Tourné dans les conditions du documentaire, témoin de la réalité brute de Medellín La vierge des tueurs fut ainsi filmé principalement au Steady Cam. Mieux, le long métrage se distingue par la volonté de son réalisateur à tourner en haute définition, une première à l'époque, et une norme désormais, cette nouvelle technologie offrant un caractère immersif inédit par la qualité et la netteté de sa profondeur de champ. Personnage à part entière du récit, la ville Medellín occupe désormais en permanence chaque plan tel que le voulait le cinéaste. 

 

Ancré dans la réalité par ses diverses musiques d'ambiance, salsa, boléro, tango, La vierge des tueurs se singularise également par ses passages oniriques, le faisant basculer du côté de l'irréel, appuyé par la musique originale signée par Jorge Arriagada, collaborateur de Raoul Ruiz ; un aspect surnaturel mis en image lors de la scène hallucinatoire où Fernando aperçoit des ruisseaux rouges du sang de son amant se jetant dans un lagon bleu. De par son travail sur la couleur, le jaune, le bleu et le rouge (celles du drapeau colombien) sont omniprésents (tandis que la couleur orange est bannie), Schroeder conforte son parti pris de départ, traiter cette réalité crue par la fiction à travers un travail esthétique « hollywoodien » et un personnage principal qui n'est pas sans évoquer celui de James Stewart dans le Vertigo d'Alfred Hitchcock

En guise de suppléments, le DVD/Blu-Ray propose, à l'instar des autres films du coffret, un entretien inédit avec Barbet Schroeder par Jean Douchet, et un making-of où sont évoquées notamment les difficultés liées au tournage dans la ville de Medellín (le film fut tourné sans assurance sous la protection deux gardes du corps).

Drame hanté par la mort et la souffrance d'un homme, miroir d'une ville rongée par la violence et la drogue, La vierge des tueurs s'inscrit comme l'une des plus belles réussites Barbet Schroeder.

A voir.





Crédit Photos : La vierge des tueurs © Les films du Losange. Tous droits réservés.


La virgen de los sicarios (La vierge des tueurs) | 1999 | 101 min
Réalisation : Barbet Schroeder
Scénario : Fernando Vallejo d'après son roman "La Virgen de los sicarios"
Avec : Germán Jaramillo, Anderson Ballesteros, Juan David Restrepo, Manuel Busquets
Musique : Jorge Arriagada
Directeur de la photographie : Rodrigo Lalinde
Montage : Elsa Vásquez
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