Les garçons de Fengkuei - Hou Hsiao-hsien (1983)

Troisième film inédit dans le cadre de la rétrospective des œuvres de jeunesse de Hou Hsia-hsien, Les garçons de Fengkuei indique une nette rupture dans la filmographie du cinéaste chinois. Long métrage légèrement postérieur au film à sketches sorti la même année en 1983, L'homme-sandwich, et réalisé par le collectif fondateur de la Nouvelle vague taïwanaise, dont HHH mis en scène le court-métrage éponyme, Les garçons de Fengkuei confirmait la nouvelle mue du réalisateur après le transitionnel Green, Green Grass of Home. Fruit de la rencontre avec la romancière Chu T'ien-wen, qui devenait à partir de cette date sa scénariste attitrée, le film puise au plus prêt des souvenirs de jeunesse du cinéaste, et introduit le début d'une tétralogie [1] qui se conclura avec Poussières dans le vent (1986), avant d'entamer trois ans plus tard un nouveau cycle cinématographique centré cette fois-ci sur l'histoire de Taïwan [2]

Ah-ching (Doze Niu) et ses amis habitent Fengkuei, un paisible village de pêcheurs des îles Penghu. Les quatre garçons multiplient les bagarres et petits larcins pour passer le temps et s'échapper à l’ennui. Suite à un règlement de comptes qui a mal tourné, trois membres du groupe, Ah-ching, Ah-jung et Kuo-tzu partent à Kaohsiung. Grâce à la sœur d'Ah-ching, ils trouvent sur place un appartement, puis un travail dans une usine locale. Mais la vie dans cette grande ville va bientôt remettre en cause l'unité et l'amitié de ce petit groupe face aux réalités quotidiennes...


Premier volet du cycle autobiographique, Les Garçons de Fengkuei s'inspire de la jeunesse de petit délinquant du cinéaste, quand celui-ci habitait Fengshan, grande ville du Sud de Taïwan, avant sa « rédemption » par le cinéma après son départ pour le service militaire. A l'image de son précédent long métrage, qui marquait l'empreinte d'un maître du 7ème art, à savoir le japonais Yasujiro Ozu, ce quatrième film porte également le sceau de plusieurs chefs-d'œuvre cinématographiques, dont en premier lieu Rocco et ses frères, que la bande découvre dans un cinéma après y être entrés en douce en espérant y voir un film pornographique ! De l'histoire évoquant le film de Luchino Visconti et les difficultés d'une jeunesse exilée, HHH s'inspire également de la forme du néoréalisme italien en faisant croiser l'approche documentaire au sein même de sa fiction. 

Rupture radicale dans la narration, Les Garçons de Fengkuei révèle également une rupture formelle non moins profonde : l'apparition première de ses longs plans larges statiques significatifs de son style, pour mieux souligner l'action, le réel et l'inattendu par les allers et venus des personnages dans ce strict cadrage fixe. Filmé tel un ballet, au son de Vivaldi et de Bach, la course effrénée de cette bande de petits voyous au cœur du village côtier de Kiashiong, va à mesure s'opposer à l'univers urbain, le passage de la campagne à la ville, signant aussi celui de la jeunesse à la maturité, de l'insouciance aux premières désillusions [3].  


De ce récit initiatique des trois amis, dont en particulier celui de l'introverti Ah-Ching [4], personnage le plus perméable aux bouleversements à venir, HHH livre un film à la beauté formelle proche de la perfection, et un travail remarquable sur la mémoire teinté de nostalgie douce-amère soutenu (pour la première fois) par une troupe de jeunes acteurs sans formation touchés par la grâce.

Primé au Festival des trois continents de Nantes en 1984, Les Garçons de Fengkuei permit à son auteur de lui ouvrir la porte de l'international.


Crédits photos : © 1983 3H PRODUCTIONS. Tous droits réservés.

Feng gui lai de ren (Les garçons de Fengkuei) | 1983 | 101 min
Réalisation : Hou Hsia-hsien
Production : Lin Jung-feng
Scénario : Chu T'ien-wen
Avec : Doze Niu, Tou Tsung-hua, Lin Hsiu-ling, Chang Shih
Musique : Li Tsung-sheng et Su Lai
Directeur de la photographie : Chen Kun-hou
Montage : Liao Ching-sung
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[1] Les garçons de Fengkuei (1983), Un été chez grand-père (1984), Un Temps pour vivre, un temps pour mourir (1985) et Poussières dans le vent (1986). A noter que les trois derniers films s'inscrivent dans une trilogie dit du passage à l'âge adulte, chacun des films étant inspirés par les souvenirs de Chu T'ien-wen, Hou Hsiao-hsien et Wu Nien-Jen.

[2] La Cité des douleurs (1989), Le maître de marionnettes (1993) et Good Men, Good Women (1995)

[3] Thème qui sera repris trois ans plus tard dans Poussières dans le vent.

[4] L'acteur-réalisateur Doze Niu, qu'on retrouvera deux décennies plus tard dans Millenium Mambo (2001).

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