Un temps pour vivre, un temps pour mourir - Hou Hsiao-hsien (1985)

Poursuivant son cycle autobiographique, entamé deux années plus tôt avec Les garçons de Fengkuei, qui s'inspirait librement de son passé de délinquant, Hou Hsiao-hsien livre avec Un temps pour vivre, un temps pour mourir son oeuvre la plus personnelle. Second volet de sa trilogie dit du passage à l'âge adulte (débutée en 1984 avec Un été chez grand-père tiré des souvenirs de la romancière et scénariste Chu T'ien-wen), Un temps pour vivre est le film le plus intimement lié aux souvenirs du cinéaste, de l'exil de sa famille en 1948 aux décès successifs de ses parents à l'orée de sa majorité. Portrait d'une jeunesse taïwanaise aux parents déracinés, ce sixième long métrage est désormais de nouveau visible dans les salles de cinéma depuis le 3 août dernier.

1948, Ah-Hsiao, tout juste bébé, et sa famille quittent le Sud de la Chine alors en pleine guerre civile pour Taïwan, où le père a trouvé un poste d'enseignant. D'abord installés près de Taipei, ils déménagent à Fengshan, au Sud de l'île, où le climat est plus clément pour le père, asthmatique. Choyé par sa grand-mère qui ne perd pas espoir de pouvoir refouler un jour le sol continental, le petit garçon espiègle surnommé Ah-ha qu'il était à dix ans, se mue à l'adolescence en jeune homme taciturne et membre d'un gang...


Un temps pour vivre marque une nouvelle étape dans la filmographie de Hou Hsiao-hsien. En mettant en images ses premiers souvenirs, ses jeux d'enfants, son passage au collège, sa complicité avec sa grand-mère paternel, le réalisateur nous ouvre les portes de son intimité en les filmant tel des petits rituels. D'une première partie centrée sur l'innocence de sa jeune enfance, HHH y évoque en filigrane le climat politique de l'époque, de la propagande anti-communiste de Tchang Kaï-chek, au grand bouleversement que connaît la Chine depuis le Grand Bond en avant lancé par Mao Zedong (révélé dans une lettre envoyée par une tante restée sur le continent). Témoin de la lente érosion des valeurs traditionnelles des parents auprès de la jeune génération, dans un pays qui n'est pas le leur, le cinéaste souligne toutefois, au détour d'une conversation, les différences et le degré de latitude offert aux garçons de la famille ; un poids des traditions qui dictent ainsi à la sœur de Ah-ha de trouver un époux, s'occuper d'un foyer ayant plus de mérite pour une femme que de faire des études supérieures. Plus sombre, la seconde partie s'ouvre par la disparition tragique de la figure paternelle ; l'ombre de la maladie qui couvre à mesure chacun des adultes ayant pour conséquence la pesante désagrégation du cocon familial et la perte de l'innocence de son jeune personnage principal, happé par la délinquance, échappatoire à ses illusions à jamais perdues.


Privilégiant l'environnement à la narration, à l'image de ses désormais reconnaissables cadrages fixes qui prennent la forme de véritables tableaux vivants, HHH conforte dans Un temps pour vivre son approche documentaire initiée dans Les garçons de Fengkuei dans la lignée des néo-réalistes ou d'un Bresson. D'aucuns trouveront également, en sus de l'habituel filiation avec Ozu [1], des similitudes avec le premier volet de la trilogie du réalisateur indien Satyajit Ray, La Complainte du sentier (Pather panchali). Premier film signant la première collaboration avec le débutant et futur grand chef-opérateur, Mark Lee Ping-Bin, et première apparition de l'actrice Hsin Shu-fen avant ses rôles dans Poussières dans le vent et La cité des douleursUn temps pour vivre est une chronique intimiste bouleversante sur le passage à la maturité d'un réalisateur au sommet de son art.


Crédits photos : © 1985 CENTRAL MOTION PICTURE CORPORATION. Tous droits réservés.

Tong nien wang shi (Un temps pour vivre, un temps pour mourir) | 1985 | 135 min
Réalisation : Hou Hsiao-hsien
Production : Lin Teng-fei
Scénario : Chu T'ien-wen, Hou Hsiao-hsien
Avec : Yu An-shun, Hsin Shu-fen, Mei Fang, Tang Ju-yun, Tien Feng
Musique : Wu Chu-chu
Directeur de la photographie : Mark Lee Ping-bin
Montage : Wang Chi-yang
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[1] A noter qu'à force de lui évoquer cette filiation, HHH se mit à découvrir le cinéma du maître japonais après ces remarques.

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