Anthropophagous - Joe D'Amato (1980)

De deux choses l'une, soit vous connaissez Joe D'Amato, et vous devinez a priori les risques que vous encourrez en lisant cette chronique, soit vous n'avez aucune idée de qui il s'agit, et vous avez encore le temps de rebrousser chemin, avant de succomber au charme vénéneux des productions de cet italien surnommé (à tort) par les anglophones The Evil Ed Wood. Et à quoi reconnait-on les ex-candides, ces victimes de cinéphiles sadiques, désormais rongés par un mal trop longtemps caché par les autorités, et qui se repaissent à présent de ces films d'exploitation toxiques tel un cannibale affamé en quête de chair fraîche ? Pour se faire, prenons un panel lambda de la population boulimique de pellicules, et demandons-leur si le cinéma de Joe D'Amato leur évoque un souvenir. Si le sujet a toutes les difficultés à refréner un tic nerveux, un sourire complice ou un regard fuyant pour les plus honteux du lot, sachez que ce symptôme n'est autre que le résultat à une exposition, aussi brève soit elle, à un film du dénommé Massaccesi, prénom Aristide, plus connu sous son plus célèbre pseudonyme : Joe D'Amato [1].

Riche d'une filmographie des plus crapoteuses, Joe D'Amato fut rien de moins que l'une des figures incontournables du cinéma d'exploitation transalpin avec un peu moins de deux cent films en trente années de carrière [2]. Après des débuts où ce dernier se dispersa dans divers films de genre : western spaghetti, film de cape et d'épée, giallo, etc, l'italien profite de la déferlante Emmanuelle pour reprendre à son compte la franchise détournée par son collègue Bitto Albertini, Black Emanuelle. Pragmatique, l'ancien chef opérateur poussa dans ses derniers retranchements le cinéma érotique alors en vogue, ses débordements filmiques et autres excès (zoophilie et quelques pincées de viols collectifs en supplément) étant davantage guidés par les lois du marché (toute publicité est bonne à prendre) que par un véritable goût de la provocation. Mercenaire de la pellicule, l'opportunisme de D'Amato connut peu de limite. Les aventures libidineuses trash cédèrent ainsi à la fin des années 70 leur place à l'horreur après le succès outre-Atlantique du troisième long métrage de John Carpenter, Halloween (dont son Rosso sangue sorti l'année suivante en est un remake non officiel), et du renouveau du cinéma d'horreur.

 

Dans la grande tradition des films du cinéaste apportant son lot de provocations et laissant présager du pire, Anthropophagous, à l'instar de Blue Holocaust (Buio Omega) sorti l'année précédente, défie une fois encore les pronostics. En dépit d'un manque de moyens évidents, D'Amato signe en bon artisan deux classiques du genre. Et si le film qui nous intéresse ne brille guère par son originalité, l'amateur de gore saura apprécier le quota de bidoches et d'hémoglobine servi avec générosité par un cannibale venu boulotter un groupe de jeunes imprudents en vacances sur son île.

Une bande de jeunes bronzés et insouciants partent rejoindre sur leur bateau leur nouvelle amie, la sémillante Julie, qui garde les enfants d'un couple français sur une île grecque ; île qui fut le théâtre d'un double assassinat quelque temps plus tôt où deux touristes furent tués dans des conditions atroces sous les yeux impuissants de leur épagneul breton. Des jeunes étudiants qui offrent un panel réjouissant avec le dénommé Daniel dans le rôle du fils caché de Patrick Bauchau, le couple Arnold et Maggie dans le rôle des boulets de service, et enfin notre triangle amoureux, Alan ou le futur médecin faussement beau gosse, Carol ou la voyante tireuse de cartes, et donc Julie, la blonde par qui le malheur arrive. A charge dès lors à notre anthropophage (amphibie) de tuer un par un ces jeunes intrus venus perturber la quiétude de son île paradisiaque.

 

Contrairement à ce que laisse supposer ce jovial synopsis, l'ambiance d'Anthropophagous n'invite pas à la rigolade. Les deux scénaristes en chef, D'Amato et son compagnon de route George Eastman [3] réussissent mieux un exploit rare : écrire des dialogues d'une platitude extrême, des situations convenues, des personnages auxquels on peut difficilement s'identifier (et auxquels on ne voudrait pas s'identifier), et pourtant le film fonctionne. Le déviant rigolard aurait sans doute « voulu » classer Anthropophagous parmi la poignée de nanars que compte la florissante filmographie de D'Amato. Mais force est de constater que le film déjoue les nombreux pièges (ou attentes) qui aurait fait de lui un mauvais film sympathique [4]. Le long métrage joue la carte du premier degré, quand bien même celui-ci se voit handicapé d'une bande-originale (le fidèle Marcello Giombini) grotesque (un mélange improbable entre Jean-Jacques Perrey et un Giorgio Moroder baroque).

Compte tenu du contexte historique, D'Amato réalise un film rentrant parfaitement dans le cahier des charges du cinéma gore des années 80, avec son célèbre avortement cannibale et sa scène finale d'auto-cannibalisme. Et si défauts il y a, ces derniers sont finalement plus à imputer au genre qu'au réalisateur de Erotic Nights of the Living Dead.

 

Anthropophagous ou le ragout craspec de tonton D'Amato.
   
    
    
Anthropophagous | 1980 | 90 min
Réalisation :Joe D'Amato
Scénario : Aristide Massaccesi (Joe D'Amato), Louis Montefiori (George Eastman)
Avec : Tisa Farrow, Saverio Vallone, Serena Grandi, Margaret Mazzantini, Mark Bodin, Bob Larson, Simone Baker, Mark Logan, George Eastman
Musique : Marcello Giombini
Directeur de la photographie : Enrico Biribicchi
Montage : Ornella Micheli
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[1] Massaccesi ayant à son actif pas plus d'une trentaine de pseudonymes.

[2] Les années 90 se résumant à la réalisation de films pornographiques avec presque une centaine en dix ans, la mort du cinéaste en janvier 1999 signant l'arrêt de cette prolifique filmographie.

[3] Car avant de connaitre les honneurs d'une carrière nanar de première ordre (Les nouveaux Barbares, 2019 après la chute de New York, Les Guerriers du Bronx, etc.), Luigi Montefiori collabora souvent avec D'Amato, en tant que scénariste/producteur et finalement acteur dans les années 70 et début 80.

[4] Pas le moindre « plan nichon », scène de sexe et autres caviardages sexués.

13 commentaires:

  1. pour paraphraser torquemada dans sans peur et sans reproche c'est un film pour ceux qui ont des tripes

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  2. @Diane: Oui des tripes bien accrochées, pas comme notre cannibale à la fin du film ^^

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  3. Madame te remercie d'ores et déjà pour la chouette soirée en perspective :)

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  4. @ Benjamin: C'est une évidence, une soirée entre amoureux autour de quelques éviscérations sauvages menées de mains de maître par un grec fou à lier, quoi de plus romantique! :-D

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  5. Oh mais dans le cas de diane, madame est déjà depuis longtemps au lit lorsqu'il regarde ce genre de choses !

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  6. @ Miss Sunalee: Oui avec tes insomnies, c'est sans doute judicieux ^^

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  7. moi regarder ces abominations, écouter la bande son* a fond dans l'ipod, à poil au fond du jardin dans une chaise longue sous le noisetier avec un bon clive barker, là d'accord mais sinon je commence une retrospective bruce campbell entre 2 epiosdes de jamie oliver american's road trip.

    *copiée dont ne sait quelle source et uploadée par des transfuges italiens au balouchistan oriental sur flimuzikimerdiki.co.ba.stan

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  8. @ Diane: la BO du film, tu fais des envieux :D

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  9. Extra j'ai encore la vhs mais vu le DVD sortie en France je préfère la version italienne "uncut" avec les scènes qui n'apparait pas dans l'édition DVD français.

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    1. Je t'avouerai que je ne me souviens plus quelle version j'ai visionné à l'époque de la chronique ! Était-ce l'italienne ? Je ne sais plus !!!! ;-)

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    2. Salut dr frankNfurter regarde la comparaison des versions la version uncut, ce trouve sur mon blog il s'agit de la vf + scènes issus du DVD anglais "The Grim Reaper"

      http://www.movie-censorship.com/report.php?ID=350906

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    3. à noter la version d'origine italienne comporte aussi ses scènes supplémentaires.

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    4. Oui ça donne envie de se remémorer la tripaille à la sauce D'Amato ;-)

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