Horrible (Rosso sangue) - Joe D'Amato (1981)

Au sortir de leur cycle caribéen qui virent les complices Joe D'Amato et George Eastman écrire et réaliser pas moins de cinq films en République Dominicaine : Hard Sensation, Exotic Love, Sesso nero, Porno Holocaust et Erotic Nights of the Living Dead, le champion du cinéma bis transalpin et le géant génois revinrent sur leurs terres pour mettre en scène un nouveau film d'horreur au titre équivoque : Rosso sangue (Rouge sang). Profitant du succès de leur précédent effort cannibale en mer Égée, le craspec Anthropophagous (1980), et de celui des futures franchises étasuniennes Halloween et Vendredi 13, les deux italiens commettaient avec Horrible un diptyque des plus saignants et malsains.

Détail révélateur de cette turbulente année 1981 placée sous le signe du slasher et du gore, et de l'influence du renouveau du cinéma horrifique d'Outre-Atlantique, en sus du retour dans les salles obscures de Michael Myers et Jason Voorhees, les deux maîtres du cinéma bis européen Jess Franco et Joe D'Amato réalisèrent deux films [1] directement associés aux premiers méfaits de ces sinistres sirs ou assimilés [2]. Bloody Moon du madrilène n'était autre qu'une adaptation du métrage de Sean S. Cunningham [3], ou le massacre de jeunes allemandes dans une école de langue ibère. A son compère romain alors de convoquer dans Horrible l'esprit du psychopathe créé par John Carpenter et Debra Hill ? En partie seulement. Si Bloody Moon était en premier lieu une commande, Rosso sangue s'inscrivait en revanche dans les thématiques chères à D'Amato, et en particulier son goût prononcé pour un exhibitionnisme cru et viscéral propre à satisfaire les déviances et autres mauvaises pulsions de ses spectateurs consentants.

 
 Devine qui vient dîner ? 

Dans une petite ville des États-Unis, un mystérieux homme (George Eastman) récemment hospitalisé sème la terreur en tuant quiconque a le malheur de croiser son chemin. En sous-effectif, le sergent Ben Engleman (Charles Borromel) est vite dépassé par les évènements à mesure que celle-ci découvre les cadavres qui s'amoncellent. A sa poursuite depuis sa Grèce natale, un prêtre (Edmund Purdom) informe les forces de l'ordre que cet homme est doté d'un pouvoir de guérison surnaturel : « son sang se coagule tellement vite que toutes ses blessures se cicatrisent en quelques secondes ». Seul espoir, le blesser au cerveau, ce qui empêcherait la mémoire de ses cellules de reconstituer les organes de son corps qui ont été lésés. Les heures sont désormais comptées...

A l'instar du terrible Anthropophagous, et comme l'était encore auparavant Blue Holocaust en 1979, Aristide Massaccesi de son vrai nom ne s'embarrasse pas de bienséance. L'amateur de sensations fortes saura trouver en cet Horrible un spécimen rare. Faisant fi d'une quelconque suggestion, rien n'échappe à sa caméra carnassière : du sang aux viscères en passant par les crânes éclatés des victimes du dénommé Mikos Stenopolis. Crues, brutales, ces scènes gore se démarquent néanmoins des habituels catalogues ou autre inventaire du parfait petit meurtrier de masse. D'Amato, on l'aura compris, n'hésite nullement à verser du côté de l'outrance, mieux, les effets spéciaux et maquillages à sa disposition lui permettent à bon escient de dépeindre un réalisme des plus morbides. 
    
 
Comme souvent dans ce genre de production, divers éléments tendent à réduire quelque peu la portée souhaitée. Le scénario écrit par Luigi Montefiori, alias George Eastman, n'est en effet pas exempt de douces maladresses et autres délicieuses incohérences. A l'instar du pseudonyme anglophone Peter Newton dont s'est affublé D'Amato, l'action de Rosso sangue se situe dans une anonyme bourgade étasunienne... qui ressemble en réalité à la province italienne. Ne pas s'étonner dès lors que cette dichotomie spatiale soit créatrice de troubles touchant directement la population locale, telle la mère de l'héroïne qui ne sait plus sur quel continent elle habite comme lui fait remarquer son époux : "Et toi sincèrement tu exagères un peu tu sais, nous ne partons pas en Amérique" (non juste chez des amis où les attendent pour le dîner un bon plat de spaghettis, le tout devant la retransmission en direct d'un match de foot US). Ajoutons à cela le sempiternel gamin tête à claques qu'il est de bon ton de faire subir aux spectateurs [4], l'horreur n'est pas forcément là où elle prétend être !

 A notre gauche, un poste de police typiquement américain, à notre droite, un diner qui l'est tout autant

De la troublante et nullement fortuite ressemblance avec La nuit des masques de John Carpenter, le constat premier aurait sans doute été de railler l'opportunisme facile du duo précité. Ne prétendant nullement égaler l'original, Horrible n'est pourtant pas qu'une simple resucée. Au contraire. Si le scénario s'attache à reprendre plusieurs éléments clefs du classique de 1978 : un « ogre » en lieu et place du fameux croquemitaine du petit Tommy, un tueur fou échappé d'un hôpital, une baby-sitter (et une garde-malade en sus), ou encore la présence d'un docteur, prêtre pour l'occasion et ennemi juré du monstre, Montefiori y incorpore également d'autres composantes plus ou moins originales. Mikos Stenopolis fait ainsi évidemment échos au terrible Nikos Karamanlis d'Anthropophagous, la fringale cannibale de ce dernier cédant sa place à une invincibilité à l'épreuve des balles, fruit des expérimentations biochimiques dont Stenopolis fut le cobaye. Capillotracté ou non, et à défaut de nous expliquer comment ce psychopathe a réussi à traverser l'Atlantique pour se retrouver perdu en pleine campagne étasunienne (?!), l'argument fantastique a l'avantage certain de mettre un terme à l’inexplicable immortalité des serial killers qui hantent les films d'horreur.


Jean-François Rauger avait non sans raison dépeint Anthropophagous par sa « violence graphique proprement inouïe ». Horrible fait sinon mieux, du moins frappe encore plus fort. En dépit des faiblesses évoquées précédemment, le long métrage se distingue par son atmosphère malsaine croissante, avec en point d'orgue l'éprouvante exécution de l'infirmière interprétée par Annie Belle, ex-égérie de Jean Rollin dans l'onirique Lèvres de sang. Fort d'une tension anxiogène dont l'imposante carrure et le jeu physique de George Eastman en sont le parfait émissaire, Rosso sangue mérite amplement ses galons de classique du genre, et sa place parmi les indispensables de l'imposante et très hétéroclite filmographie du réalisateur romain.
 
 Les plus D'amatophiles auront reconnu un extrait de Sesso nero avec Mark Shannon et la belle Lucia Ramirez

Le DVD a été réédité en septembre 2014 par BACH Films avec en guise de supplément un entretien avec Christophe Lemaire.

En bonus : quelques gifs du film sur notre tumblr.






Rosso sangue (Horrible - Absurd) | 1981 | 96 min
Réalisation : Joe D'Amato (Peter Newton)
Scénario : George Eastman (John Car)
Avec : George Eastman, Annie Belle, Charles Borromel, Katya Berger, Kasimir Berger, Hanja Kochansky, Ian Danby, Ted Rusoff, Edmund Purdom
Musique : Carlo Maria Cordio
Directeur de la photographie : Joe D'Amato (Richard Haller)
Montage : George Morley
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[1] Les deux films ont également le point commun d'intégrer le cercle fermé des films interdits sur le sol britannique lors de leur exploitation en salle.

[2] Assimilé puisque dans le premier Vendredi 13, Jason Vorhees n'est pas l'auteur de tous ces crimes...

[3] Vendredi 13 qui était lui-même une adaptation de La baie sanglante du maestro Mario Bava.

[4] Le point culminant sera atteint quand le petit frère de l'héroïne voudra à tout prix que sa sœur Katia lui ouvre la porte de sa chambre, alors que cette dernière est atteinte d'une déviation de la colonne vertébrale et par conséquent harnachée sur son lit! De là à dire que Katia va se libérer pour lui en foutre deux bien senties, il n'y a qu'un pas...
 

2 commentaires:

  1. Critique au poil pour un film qui forme avec Anthropophagous, un diptyque incontournable pour les goreux. Comme tu le soulignes, l'histoire est bourrée d'incohérences mais le film remplit parfaitement son office rayon scènes chocs. Et puis George Eastman en impose pas mal en version italienne de Michael Myers. Sinon, bien vu pour la référence à Sesso nero. Pour conclure, je vais aussi en profiter pour découvrir ton tumblr !

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    1. C'est vrai que la première heure est assez croquignolette, entre ses incohérences et ses scènes gore !
      Mais oui, D'Amato réussit finalement son "examen", prouvant une fois encore qu'il sait être efficace quand il s'en donne les moyens à l'instar de sa trilogie Blue Holocaust, Anthropo, et Horrible.
      Et une preuve tout de même qu'une relecture à défaut de valoir l'original peut s'en sortir avec les honneurs.
      Il faut dire qu'au niveau moyens financiers, il est plus facile de faire un slasher qu'un post-nuke... ou la suite 80's des aventures cinématographiques de la paire D'Amato / Eastman :-D

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