Azuma-San!!! (Sono Otoko, Kyobo Ni Tsuki)

Violent Cop, soit ma troisième rencontre cinématographique avec Takeshi Kitano mais chronologiquement sa première réalisation, ce long-métrage étant sorti au Japon il y a tout juste vingt ans. Cela dit, il aura fallu attendre la consécration du metteur en scène nippon lors de la Mostra de Venise en 1997 et son film Hana-Bi, récompensé par un Lion d'Or, pour qu'en Europe, et plus précisément en France, on daigne ENFIN distribuer ses films antérieurs. C'est-à-dire ceux datant d'avant son premier coup de poing cinématographique qui le fit connaitre hors de l'archipel japonais, Sonatine.

Azuma est un policier assez particulier: individualiste, jusqu'au-boutiste. Il use de méthodes peu orthodoxes et se laisse facilement envahir par des accès de rage incontrôlée. Au cours d'une enquête sur la mort d'un dealer sans envergure, Azuma découvre un trafic de drogue orchestré par la pègre dont la source proviendrait directement de la police (1).

A l'origine Violent Cop devait être réalisé par le metteur en scène nippon Kinji Fukasaku (2). Or pour raison de santé, ce dernier ne pouvant assurer son rôle, les studios proposèrent alors à Kitano, qui devait déjà tenir le rôle principal, de mettre en scène le film. Drôle de demande de la part des financiers de ce projet, Kitano n'ayant jamais dirigé auparavant une quelconque équipe technique. Ainsi le scénario écrit par Hisashi Nozawa fut alors totalement remanié par Kitano lui-même (bien que non crédité). Et à partir d'un simple remake de Dirty Harry, le futur réalisateur de Sonatine, du fait paradoxalement de sa non cinéphilie, ira jusqu'à déjouer les défauts inhérents aux œuvres dites de jeunesse en imposant directement sa vision personnelle de l'art. Dès lors, Violent Cop, ne devant être qu'un simple film de genre au départ, va permettre à Kitano d'expérimenter : de jouer avec le rythme, les cadrages ou l'apport de la musique (3). Bref l'une des nombreuses pattes du style Kitano.

Parmi les points de concordance entre Violent Cop et Dirty Harry, la facilité serait de pointer du doigt la violence et le peu de moralité que laissent transparaitre ces deux personnages, de même que la présence dans ces deux longs métrages d'un tueur psychotique à la perversion avéré. Pourtant première différence, le personnage interprété par Beat Takeshi semble avoir une densité psychologique plus dense. Autant chez Eastwood sous l'angle de Don Siegel, Harry lorgne du côté du psychopathe réactionnaire, autant chez Kitano, si l'homme est violent c'est avant tout envers lui-même et, qui plus est, en réaction avec son environnement qui semble tout autant que lui dépourvu d'âme. De même, quand bien même la nuance peut paraitre légère, Azuma n'est pas à proprement parlé un être solitaire comme son cousin californien, mais quelqu'un de seul. Gravitent en effet autour d'Azuma, deux personnages qui auront une grande influence dans Violent Cop, Iwaki, son ami et collègue policier, et sa jeune sœur Akari (mais n'allons pas trop vite).

La première chose qui marque le spectateur dans ce film est sans conteste son ambiance anxiogène, désabusée et pessimiste (4). Rarement un long-métrage n'aura aussi bien souligné une société perdue, sans repère. Contrairement aux autres, Kitano ne revêt pas son film d'une fausse immoralité teintée d'ironie. Au contraire. Le début de Violent Cop, où l'on assiste à l'humiliation, le lynchage puis le meurtre d'un clochard par des adolescents issus de la classe moyenne, nous signale l'absence totale de moralité à venir à partir de ce crime gratuit d'un exclu du système japonais. A noter que cette problématique de la jeunesse en manque de repère, ou tout simplement paumée reste un des thèmes récurrents du cinéma de Kitano dans les 90's avec comme point d'orgue son film intitulé Kids Return sorti en 1996.

Parmi les griefs souvent énoncés par les gardiens de moral, on pointe souvent du doigt la violence dépeinte dans les films de Kitano, et ce premier long-métrage est en effet radical quant aux traitements de celle-ci. Une violence crue, sanglante sans artifice ou sophistication. En accord avec une œuvre noire et désespérée. Or comme souvent en pareil cas, on aurait tort de ne retenir que la dite violence physique, car Violent Cop est sans doute encore plus dur sur le fond ! Et la dernière scène du film témoigne parfaitement de ce climat amoral. Les hommes passent, mais la corruption demeure.

Sono Otoko, Kyobo Ni Tsuki a aussi la particularité, et ceci dès son premier long-métrage, de croiser la route avec le fameux personnage monolithique qu'interprète Beat Takeshi. Un homme vide. Déjà mort. Sans passion. Et seule sa relation avec sa sœur, récemment internée dans un hôpital psychiatrique, filmée avec beaucoup de justesse sert encore de garde-fou au personnage d'Azuma, jusqu'à ce que...

Au final, Kitano signe dès son premier film une œuvre marquante, point de départ à une des filmographies les plus passionnantes des années 90.



Bande-annonce Violent Cop

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(1) Contrairement aux autres résumés trouvables sur le net, je ne dévoilerai pas l'intrigue du film dans mon résumé.

(2) Fukasaku étant connu mondialement dans les 70's pour son film de guerre Tora! Tora! Tora! et puis plus récemment pour Battle Royale.

(3) On retiendra par exemple la scène de poursuite en voiture volontairement lente et étirée jusqu'à « l'explosion finale ».

11 commentaires:

  1. Fan je suis du maitre, c'est d'ailleurs un peu à cause de lui que j'ai continué la photo. Et puis quel acteur bordel, j'adore, je suis à genou.

    Le bon plan c'est de voir ses films dans l'ordre, c'est plus intéressant il me semble. Sacrée évolution entre Violent cop et Dolls tout de même !!

    Après je comprends ceux qui n'accrochent pas (Miléna s'endort à chaque fois, mais chuuuut), c'est du cinéma "lent" et, me semble-t il, contemplatif. Pour rêveurs sans doute (environ).

    Merci pour cette Sainte chronique,


    Domhanabi

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  2. oui c'est exactement ça, du cinéma contemplatif. Enfin en général. Ce "Violent Cop" n'étant pas à l'origine un projet sorti directement de l'esprit du maître, la contemplation est moindre. :P

    "Le bon plan c'est de voir ses films dans l'ordre" oui bon ça n'a pas été le cas pour moi.
    Par contre pour les chroniques, ça pourrait bien être le cas ;-)

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  3. Je n'ai jamais vu ce film mais je connais son excellente réputation et je l'ai d'ailleurs rajouté à ma longue liste de films à voir.

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  4. un film qui doit faire parti de toute bonne shopping/download liste XD

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  5. J'adore ce personnage atypique du cinéma mondial... Une sorte de Coluche japonais !

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  6. ouais et un peu Guy Lux sur les bords aussi vu sa prod télévisuelle

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  7. J'aime la définition de Syco :)

    Ce qui est drôle avec Kitano c'est que beaucoup de gens pensent le découvrir et ont complètement zappé qu'il a joué dans l'excellent Furyo aux côtés de Bowie qui plus est (entre autre). Très bon acteur déjà.

    Et oui Violent Cop DOIT être dans toute dvdtèque qui se respecte (et au mois Hana-bi aussi tiens) !!


    Dom

    ps: eelsoliver arrête de mettre des "liens" (ouvertement ou pas) vers ton blog tout le temps ça devient gonflant !!

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  8. En passant, en parlant d'acteur, je signale la présence dès "Violent Cop" d'un des acteurs fétiches de Kitano, l'excellent Susumu Terajima.

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  9. Excellent ce type, même dans Aniki, c'est pour dire !!


    Dom

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  10. Dahu Clipperton23/04/2009 03:00

    Salut le Doc ! Si tu comptes chroniquer les films de Kitano dans l'ordre, je vote pour à pieds joints^^
    Euh... bah... je l'ai pas vu "Violent cop" (bouh, la honte, tout ça), et puis "Takeshi's" non plus (mais celui-là, j'ai vachement moins envie de me ruer dessus, allez savoir pourquoi).
    M'enfin, même si je ne le connais pas, ta chronique me semble tout à fait juste, en accord avec l'univers et le regard du bonhomme (qui me laisse, hélas, de plus en plus perplexe à partir de "Dolls")

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  11. note cher Dahu que j'ai aussi lâché Kitano mais après la sortie de Zatoichi... l'après, coïncidant avec mon périple asiatique.
    N'empêche que... je vais tout chroniquer, promis! Enfin dans la mesure du possible.
    De toute façon en effet la filmographie de Kitano des 90's reste au-dessus du lot. Disons que celle des 00's est plus empreint aux interrogations, aux doutes de l'auteur... même si la forme semble être à l'opposé par moment.

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