La chute des aigles - Jess Franco (1989)

Fort du succès de leurs deux précédentes productions Dark Mission et Esmeralda bay, réalisées chacune par Jess Franco, Eurociné et son emblématique patron Marius Lesoeur décidèrent de battre le fer pendant qu'il est encore chaud en produisant leur superproduction, celle qui devait asseoir l'essor de la société domiciliée au 33 Champs-Elysées, La chute des aigles, avec, excusez du peu, Christopher Lee, Mark Hamill et... Ramon Estevez, fils de Martin Sheen, et cadet de la fratrie. Or ce changement d'ambition notable se solda par un échec cuisant, marquant la fin de l'aventure eurocinéenne trois décennies après sa création. Pire, ce film maudit qui précipita la « Chute de la maison Eurociné » [1] fut également responsable d'une brouille durable entre le réalisateur madrilène et la famille Lesoeur. Une triste fin, en somme, à l'image de ce film démodé, éloigné des fondamentaux de la société, qui produisit Le Lac des morts vivants, son plus grand succès. Mais n'allons pas trop vite...

Berlin, 3 septembre 1939. Le banquier Walter Strauss (Christopher Lee) organise une réception pour fêter l'anniversaire de sa fille unique Lilly (Alexandra Ehrlich). Épris par Peter (Mark Hamill), brillant officier, et Karl (Ramon Estevez), musicien et compositeur, Lilly choisit le jeune artiste, leur amour de la musique étant plus fort que les diatribes de Karl envers l'idéologie du parti au pouvoir. Tenu en haute estime par les dirigeants nazis, les officiers présents lors de l'anniversaire annoncent à l'assistance, dans l'allégresse, la bonne nouvelle tant attendue, la France et le Royaume-Uni viennent de déclarer la guerre à l'Allemagne. Mobilisé sur le front d'Afrique du Nord, Peter n'a d'autre choix que de s'engager...


Grisés par leurs précédentes productions qui s'écartaient déjà des habituels budgets anémiés dévolus à leurs longs-métrages, faisant presque passer Eurociné à la lecture du casting d'Esmeralda bay (Robert Forster, George Kennedy, Fernando Rey, avec déjà Daniel Grimm et Ramon Estevez) pour la petite cousine fauchée de la Cannon des cousins Golan & Globus, Lesoeur père et fils ont sans aucun doute tenté le pari de trop. Mais pouvaient-ils faire autrement ? La disparition progressive des salles de quartier depuis le mitan des années 80 sonnait irrémédiablement la fin de cette période dorée pour les petites sociétés de production. A quitte ou double, Eurociné aura donc investi et redoublé d'efforts pour produire, en pure perte, cette chute des aigles. Ne leur restait désormais plus qu'à exploiter en vidéo leur riche catalogue. Dont acte.

Karl poursuivi par un stock-shot mitraillette à la main

De nouveau embarqué dans cette énième péripétie eurocinéenne, leur plus fidèle collaborateur, Jesús Franco, depuis La belle de Tabarin (1960), mélodrame musicale et première coproduction (non officielle) d'Eurociné, avant L'horrible docteur Orlof l'année suivante ou encore La comtesse noire (1973), signa et accepta donc, bon gré mal gré, cette nouvelle commande, loin, très loin de ses usuelles obsessions cinématographiques. Un choix en somme par défaut, un autre pour le madrilène, ce dernier accumulant, depuis de nombreuses années, une majorité de films impersonnels et de commandes, faute de pouvoir réaliser et financer des œuvres purement franciennes.


Miné par les problèmes en post-production (prise de son direct inutilisable), et handicapé par le retrait de son acheteur étasunien [3], le grand film d'Eurociné inaugurait, déjà, avant sa sortie, depuis la salle de montage, une destinée difficile (il dût attendre finalement le milieu des années 90 pour connaitre finalement une sortie française en VHS). Pire, tenu responsable de cet échec, Franco abandonna en cours de post-production le navire. Or, au-delà de ces déboires, La chute des aigles n'en demeure pas moins une énigme pour le connaisseur, tant celui-ci s'écarte, voire renie ouvertement, ce qui caractérisait le sceau et les excès eurocinéens. Ici, rien de tout cela. Point d'Elsa Fräulein SS.

Antonio Mayans, figure incontournable de l'univers francien dans une courte apparition, et Daniel Grimm [2], alias Anton

Mélodrame suranné, sur fond de la Seconde Guerre mondiale, La chute des aigles laisse pantois. Romance éventée, drame aseptisé, film de guerre sans moyen, cette dernière production Eurociné n'a rien à envier, ou presque, aux téléfilms diffusés le dimanche après-midi. Nullement aidé par un scénario dont il est co-auteur, Jess Franco filme tant bien que mal les élans et peines de cœur de la jeune Lilly. Mais le cœur n'y est pas, à l'instar des nombreuses scènes de cabaret, qui furent des années auparavant le théâtre des pulsions franciennes (Le diabolique docteur "Z" ou Vampyros Lesbos). Las. Formellement morne, l'érotisme bon enfant qui caractérisait également les productions Eurociné, on l'aura compris, n'a plus sa place dans ce drame sous perfusion. Seule concession au passé de la société, et à ses fameux secrets de fabrication, le cinéphile déviant appréciera l'utilisation abusive de nombreux stock-shots issus de Train spécial pour Hitler d'Alain Payet (1977) et ses Jardins du diable (1971) d'Alfredo Rizzo. Maigre consolation.

Pour fans esseulés de Christopher Lee, alors en pleine traversée du désert, et de Mark Hamill, dans un rôle certes très secondaire, dont le mérite aura été de réussir à passer directement d'une production Lucas à une production Lesoeur [4].



Cameo de Daniel White accompagnant au piano Lilly


La chute des aigles (Fall of the Eagles) | 1989 | 85 min | 1.85 : 1 | Couleurs
Réalisation : Jesús Franco
Production : Marius Lesoeur, Ilona Kunesova
Scénario : Marius Lesoeur (A. M. Frank), Jesús Franco (David Khune)
Avec : Christopher Lee, Ramon Estevez, Mark Hamill, Alexandra Ehrlich, Daniel Grimm, Antonio Mayans, Daniel White
Musique : Daniel White
Directeur de la photographie : Jean-Jacques Bouhon
Montage : Jesús Franco (James P. Johnson) ___________________________________________________________________________________________________

[1] Référence à leur production et sabordage de l'adaptation francienne de La Chute de la maison Usher.

[2] Grimm qui reprend son costume d'officier nazi après son rôle de SS dans la comédie française navrante Général... nous voilà (1978), réalisé par le récidiviste Jacques Besnard, et croisé deux ans plus tôt dans la production horrifique de René Château mise en scène par Jess Franco, Les prédateurs de la nuit.

[3] Dixit la bible Jess Franco ou les prospérités du Bis écrite par Alain Petit.

[4] Six années entrecoupées par deux participations télévisuelles à un épisode d'Histoires fantastiques et d'Alfred Hitchcock présente.

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