Soleil vert - Richard Fleischer (1973)

Chronique précédemment publiée dans le numéro 30 de la revue L'Indic, Noir magazine.
  
Après une brève parenthèse britannique en 1971 qui l'avait vu traverser l'Atlantique pour mettre en scène les thrillers remarqués L'étrangleur de Rillington Place avec Richard Attenborough et Terreur aveugle Mia Farrow, puis un retour sur les terres étasuniennes avec deux longs métrages interprétés par l'acteur George C. Scott (Les complices de la dernière chance et Les Flics ne dorment pas la nuit), Richard Fleischer se lançait dans la libre adaptation du roman de Harry Harrison, Make Room! Make Room!, publié en 1966. Cinéaste versatile, aussi bien auteur de polars, de films de guerre ou de films historiques, le réalisateur du Voyage fantastique retournait ainsi de nouveau à la science-fiction avec, cette fois-ci, un récit dystopique. Mieux, le dénommé Soylent Green, de par les thématiques abordées (crises démographique et écologique), ne faisait nulles ambages des aspirations sociétales qui égrainent de manière prémonitoire les grands films de Fleischer. Dont acte.

New-York, 2022, 40 millions d'habitants. Le Détective Robert Thorn (Charlton Heston) enquête sur la mort de William Simonson (Joseph Cotten), un des dirigeants de la société agroalimentaire Soylent. Présenté comme un cambriolage crapuleux qui aurait mal tourné, ce meurtre survenu dans une tour sécurisée des beaux quartiers de Chelsea éveille les soupçons du policier : son garde du corps Tab Fielding (Chuck Connors) s'était absenté, le système d'alarme était en panne tandis que rien n'a été dérobé durant ce supposé vol...

 

"Tous nos génies de la science ont empoisonné l'eau, pollué le sol, détruit les plantes, décimé la vie animale. [...] Comment peut-on survivre avec ce climat ? La canicule éternelle !" s'écrit Sol Roth (Edward G. Robinson) le vieux collègue fatigué et ami de Thorn au début du film. Celui qui a connu le monde d'avant durant sa jeunesse, n'ayant d'autres choix que de manger du Soylent Vert, nouvel aliment miracle, sans goût et sans odeur, de la multinationale du même nom fabriqué à base "du riche plancton des océans", ne peut se soustraire à survivre de la sorte. Un constat amer qui fait écho au générique composé de photographies exposant l'évolution des États-Unis du XIXème siècle jusqu'à l'ère industrielle moderne, et les conséquences néfastes de cette course effrénée vers ledit progrès : surpopulation, surproduction et pollution. Du roman originel, dont l'action se situe en 1999, décrivant un New-York surpeuplé, des habitants en proie au chômage et à la famine, et une histoire qui tire son origine dans la peur de l'explosion démographique, le scénario librement adapté par Stanley R. Greenberg s'enchérit et s'inspire des récents mouvements protestataires, et autres voix discordantes, s'alarmant de la destruction de l'environnement et du réchauffement planétaire (tel le rapport Meadows sur l'impact écologique de la croissance économique et démographique qui fut publié en 1972 sous le nom de The Limits To Growth).

 

D'une enquête policière confiée à un petit détective dans l'espoir de classer rapidement cette affaire de faux cambriolage qui aurait dérapé, le film s'attache davantage à décrire un monde à l'agonie. "Nous ne pouvons aller nulle part. [...] Toutes les villes sont pareilles. La campagne interdite. Les fermes sont de vraies forteresses" déclare Thorn à sa maîtresse Shirl (Leigh Taylor-Young), « ex-compagne » de Simonson. Devenu un immense bidonville, baignant dans une atmosphère viciée et jaunâtre, New-York est une mégalopole où est instauré chaque soir un couvre-feu, interdisant l'accès aux rues aux non-autorisés, ces derniers s'entassant la nuit tombée dans les couloirs et cages d'escalier des immeubles. Dans ce climat insurrectionnel, le mardi est le jour de Soylent Vert, seul et unique jour de la semaine où la population peut s'offrir cet aliment de synthèse fabriqué par cette multinationale qui contrôle le ravitaillement de la moitié du monde ; les denrées telles que les fruits et légumes frais ou la viande sont réservées aux plus riches, du fait de leur raréfaction et des maigres ressources naturelles encore disponibles.

 

Comme énoncé plus haut, à l'instar des meilleurs films du réalisateur, Soleil vert se démarque également par l'attention apportée à décrire le tissu social dans lequel évolue ses personnages, Fleischer s'intéressant ainsi « autant au devenir des individus qu'à celui des sociétés » (Jacques Lourcelles). Portrait d'une société sclérosée, dominée par une classe dirigeante corrompue, Fleischer dévoile, en sus des arcanes et autres secrets qui entourent la mort maquillée de Simonson, l'organisation et les hiérarchies sociales qui définissent ce New-York de 2022. Les seules perspectives de survie sont dès lors soit d'incorporer la police chargée également de réprimer les fréquentes émeutes, soit de travailler pour Soylent, au-delà aucun autre salut. Quant aux jeunes femmes au physique avenant, celles-ci sont réduites au rang d'objet, plus précisément de mobilier. Elles appartiennent à l'immeuble auquel elles sont rattachées, et sont à la disposition des fortunés locataires comme l'était Shirl avec Simonson. Dernier et ultime échappatoire pour les plus indigents ou les plus vieux un lieu appelé Le Foyer. Cet établissement public de santé assure l'euthanasie pour ceux qui le désirent, leurs cadavres devenant l'élément principal d'un certain produit.

 

Dernier volet de la trilogie science-fictionnelle du viril Charlon Heston [1] après La Planète des singes (1968) de Franklin J. Schaffner et Le survivant (1971) de Boris Sagal, Soleil vert apparaît, plus de quatre décennies après sa sortie, comme une inquiétante et efficace mise en garde. Glaçant.

Un classique.

"Soylent Green is People !"






Soylent Green (Soleil vert) | 1973 | 97 min
Réalisation : Richard Fleischer
Scénario : Stanley R. Greenberg d'après le roman de Harry Harrison
Avec : Charlton Heston, Leigh Taylor-Young, Chuck Connors, Joseph Cotten, Brock Peters
Musique : Fred Myrow
Directeur de la photographie : Richard H. Kline
Montage : Samuel E. Beetley
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[1] Image du mâle viril, on saluera, en lien avec l'atmosphère fataliste du long-métrage, les quelques efforts consentis de la part du néo-Républicain pour casser son image de héros archétypal.
 

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