Les flics ne dorment pas la nuit - Richard Fleischer (1972)

Chronique sur le quotidien d'une brigade de nuit de Los Angeles, librement adaptée du premier roman éponyme de Joseph Wambaugh [1] publié en 1971, The New Centurions, traduit en français par le pertinent Les flics ne dorment pas la nuit (on y reviendra), est sorti en DVD et Blu-Ray le 9 novembre dernier dans le cadre du coffret que lui consacrait Carlotta (accompagné de L'étrangleur de Rillington Place et Terreur aveugle). Mise en scène dans la foulée des deux films précités, ces derniers appartenant à sa brève parenthèse britannique, ce polar urbain situé au cœur des quartiers défavorisés de Los Angeles se présente aujourd'hui comme une des œuvres majeures du réalisateur de Soleil vert. Mais n'allons pas trop vite...

Roy Felher (Stacy Keach), Gus Plebesly (Scott Wilson) et Sergio Duran (Erik Estrada), trois nouvelles recrues, rejoignent la police de Los Angeles. Le premier, étudiant en droit, le second, père de famille, et enfin le dernier, ancien membre d'un gang, sont chacun affectés à un collègue expérimenté qui vont leur apprendre les ficelles du métier. Dans les forces de l'ordre depuis près d'un quart de siècle, Andy Kilvinski (George C. Scott), associé à Roy, a acquis une connaissance inégalée du terrain, appliquant ce qu'il appelle la loi de Kilvinski. Happé par ces nuits de ronde, Roy devient obsédé par ce métier, au détriment de son entourage, négligeant son couple et sa petite fille...


Cinéaste protéiforme, Richard Fleischer s'est illustré dans quasiment tous les genres que pouvait compter le cinéma made in Hollywood, de ses débuts dans la série B au mitan des années 40 jusqu'à la fin des années 80 [2]. Mais s'il doit rester un genre, le film noir fut sans conteste celui qui attesta avec le plus de caractère sa qualité d'auteur (reconnu malheureusement sur le tard). Réalisateur de L'assassin sans visage en 1949, suivi dix ans plus tard par Le génie du mal, de L’Étrangleur de Boston en 1968 puis enfin de L'étrangleur de Rillington Place, Fleischer marqua ainsi chaque décennie son empreinte sur le genre. Coïncidence volontaire ou non, après s'être penché sur le cas des tueurs psychopathes, les deux projets suivants du réalisateur des Inconnus dans la ville [3] abordèrent strictement le point de vue des forces de l'ordre : des anonymes policiers du LAPD des Flics ne dorment pas la nuit au modeste détective du NYPD interprété par Charlton Heston dans Soleil vert

Aboutissement du film urbain couplé au film noir pour son atmosphère fataliste voire dépressive, Les flics ne dorment pas la nuit se démarque donc des productions policières de l'époque par son ambition paradoxale, celle de nous conter le quotidien nocturne d'une unité de police dans les quartiers défavorisés de La Cité des Anges (déchus). Peinture rigoureuse d'une vie professionnelle désespérée et destructrice pour ses protagonistes, le film décrit ces policiers comme des « centurions », selon les propres mots de Kilvinski, condamnés à rester seul dans leurs vies, sacrifiant leur existence au maintien d'un ordre désormais précaire. D'un ton proche du documentaire, la majeure partie du film ayant été tournée en décors réels, Les flics ne dorment pas la nuit dénote la rigueur habituelle de Fleischer, celui-ci évitant tout sensationnalisme ou complaisance autour du métier de flic. Au contraire, en accord avec la dimension sociale souhaitée par le réalisateur, Fleischer ne fait pas ambages de la violence qui touche la société étasunienne des années 70, et dont ces policiers de terrain en sont les premiers témoins, acteurs et victimes collatérales : maltraitance infantile, bavure policière, alcoolisme et suicide dans la police, etc.

 
Non dénué d'une certaine tendresse envers ces héros anonymes du quotidien, derniers remparts d'une société en mutation, le scénario bascule à mesure vers une profonde mélancolie en dépeignant des hommes rongés par leur travail, réduits à leur seule fonction sociétale, au détriment de leur proche. De ce constat pessimiste, la retraite de ces « petits » flics, quand ils ne sont pas abattus en service, ne signe pas que la fin de leur vie professionnelle... Avec un récit composé de séries d'épisodes, Fleischer évacue tout morceau de bravoure ou situations comiques comme le voudrait ce modèle de buddy movie. Mieux, de cette supposée banalité, le film, en plus d'ausculter les maux de la société étasunienne d'hier et d'aujourd'hui, écarte rapidement les positions réactionnaires que l'on pouvait craindre, pour dresser à l'inverse un point de vue moral progressiste détonant pour l'époque, à l'image de Kilvinski qui prend la défense d'immigrés clandestins exploités par leur logeur, ou la romance de Felher avec une infirmière afro-américaine.

Mise en scène épurée, interprétation des acteurs d'une émouvante sobriété à l'instar d'un George C. Scott qui trouve ici un de ses plus beaux rôles, Richard Fleischer signe avec Les flics ne dorment pas la nuit un film bouleversant, au rythme de la musique funky du grand Quincy Jones.

Un classique à (re)découvrir.



Crédits photos : LES FLICS NE DORMENT PAS LA NUIT © 1972, RENOUVELÉ 2000 COLUMBIA PICTURES INDUSTRIES, INC. Tous droits réservés.


The New Centurions (Les flics ne dorment pas la nuit) | 1972 | 103 min
Réalisation : Richard Fleischer
Production : Robert Chartoff & Irwin Winkler
Scénario : Stirling Silliphant d'après le roman de Joseph Wambaugh
Avec : George C. Scott, Stacy Keach, Jane Alexander, Scott Wilson, Rosalind Cash
Musique : Quincy Jones
Directeur de la photographie : Ralph Woolsey
Montage : Robert C. Jones
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[1] Son troisième roman The Onion Field fut adapté en 1979 sous le titre français Tueur de flics avec John Savage et James Woods.

[2] A l'exception de la comédie musicale, on ne voit pas très bien quel genre il n'a pas touché ! L'homme ayant toutefois goûté au genre musical avec le drame Le chanteur de jazz (1980) avec Neil Diamond.

[3Les inconnus dans la ville (1955) avec Victor Mature, autre film noir notable, a pour sujet un hold-up.
 

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