Flic ou ninja - Godfrey Ho (1986)

S'il est communément admis que feu Menahem Golan fut a l'initiative de la mode du film de ninja dans les années 80 à partir de L'implacable ninja (1981) avec Franco Nero [1], force est de constater, et ceci en dépit de ses louables efforts et de sa franchise American Ninja et ses quintuples volets, que le genre trouva à Hong Kong une réponse encore plus paroxystique en la personne du duo Joseph Lai / Godfrey Ho, respectivement producteur et réalisateur du film qui nous intéresse, Flic ou ninja. Prenant comme toile de fond le même schéma, à savoir une intrigue tournant autour d'un occidental rompu aux arts martiaux, ou « la revanche du petit blanc » pour reprendre les termes de Jean-François Rauger pour décrire ces séries B destinées au public occidental, le genre va pourtant connaitre un sérieux ravalement de la part des deux hongkongais pré-cités.

Adeptes de méthodes de production éprouvées, en recyclant au besoin plusieurs parties d'anciens films pour en créer un nouveau, Lai et Ho apportèrent par leur audace un vent nouveau au cinéma d'exploitation. Ecrit par un Godfrey Ho qui ne ménagea pas, comme à l'accoutumée, ses efforts, la richesse de Flic ou ninja en éblouira encore aujourd'hui plus d'un, tant le scénario aime à brouiller les pistes. Faire cohabiter deux histoires qui à l'origine n'ont aucun rapport peut déjà apparaître comme une gageure, mais quand celles-ci appartiennent à deux films différents, on touche au génie! Certes, certains esprits chagrins pourront toujours rétorquer qu'un tel procédé a ses limites, et qu'il s'agit de méthodes de margoulins, toutefois tout ceci n'est que peccadilles et autres billevesées de la part de cuistres incapables de reconnaître les améliorations stylistiques apportées par le cinéma bis.

 

En dépit de son titre faussement trompeur, Flic ou ninja n'est pas un film uniquement centré sur le ninjutsu. Ambitieux, Ho apporte une profondeur bienvenue au script en présentant son métrage comme un "rape and vengeance". Violée par trois brutes masquées, la dénommée Rose est violence et recherche maintenant ses trois agresseurs. Engagée par le rustre Robert, trafiquant de bijoux de son état, Rose espère ainsi retrouver la trace des violeurs qui ont à jamais brisés sa vie. Or cette sombre de histoire de viol cache en fait une cruelle machination perpétrée par le démoniaque Maurice (Pierre Tremblay), ninja rouge de son état, que nos deux représentants d'Interpol, les sémillants Richard et Donald, interprétés respectivement par Richard Harrison et Bruce Baron (qui proviennent tout deux de deux films différents - bravo!), suivent depuis longtemps :

 

Richard: "Salut Donald, Richard à l'appareil. Je suis à Washington, en partance pour le Caire."
Donald: "Aucune information sur les trois photos que je t'ai envoyées ?"
R: "Non, rien"
D: "D'après ce que j'ai trouvé, ces trois gars seraient les auteurs du viol de cette petite Rose! Alors à quoi vont me servir les photos que tu m'as envoyées? Il s'agit de Maurice et de ses trois coyotes! HQ m'avait pourtant dit que tu avais du nouveau pour moi, alors?"
R: "Les trois violeurs font partie d'une opération de contrebande de bijoux et ils essaient de posséder Maurice !"
D: "D'où est-ce que tu tiens ça, Maurice s'est retiré de l'affaire et c'est Robert qui a repris la succession. Si ce que tu me dis est vrai, alors Robert n'est qu'un homme de paille! Et attends un peu, est-ce que tu sous-entends par là qu'il y aurait un lien entre le viol et le trafic de diam's !?"
R: "Oui, et il va falloir que tu surveilles Maurice. Nous avons de bonne raison de penser qu'il est en train de préparer un coup"
D: "Entendu. Mais qu'advient-il de George et de Rose ? Tu n'es pas sans ignorer qu'on a perdu la trace de Rose depuis que George s'est marié. Or telle que je la connais, elle ne lâchera pas le morceau"
R: "Je sais que Robert l'a engagé. Elle a accepté parce qu'elle croit pouvoir trouver plus facilement ses violeurs. Elle veut se venger et tu peux l'aider si tu le désires. Enfin tant que tu ne te compromets pas!"
D: "Enregistré, je reste hors du coup tant que sa vie n'est pas menacée.
R: "Oui je te le conseille. A propos, garde un œil sur Larry, le beau-père de George, il est possible qu'il joue lui aussi un rôle dans l'affaire!"
D: "Hum je vois, je vais m'en occuper. Je te remercie pour ces infos. Et tache de faire bon voyage et embrasse les égyptiennes pour moi."

En résumé, tandis que Rose lance sa vendetta, Donald s'occupe de Maurice et de ses sbires, et Georges, l'ancien compagnon de Rose et désormais mari de Jenny (la fille de Larry qui est le patron de Robert - vous suivez ?!), mène sa propre enquête en tant qu'agent d'Interpol. Brillant ! A cela vous ajoutez l'apparition de la sœur jumelle de Rose [2], accompagnée du fidèle Turner, et le scénario de Flic ou Ninja devient aussi complexe que solide.

 

Long métrage d'action à la violence crue, Flic ou Ninja n'en demeure pas moins un film à l'érotisme troublant, accentué par des dialogues frais et délicats tels la rosée du matin. Un peu de douceur dans un monde de brutes oserons nous ajouter, à l'image de LA leçon de séduction offerte par Rose et Jack (le frère de Robert, l'associé de Larry, soit l'homme de paille de Maurice - vous suivez toujours ?!), lors de leur première rencontre. Voici un premier extrait qui devrait être présent dans tous les manuels de séduction :

Rose: "Alors monsieur le champion de boxe d'Asie, que diriez-vous d'un slow langoureux?"
Jack: "Avec plaisir, je ne suis pas souvent invité par une pareille beauté"
R: "Je n'ai pas l'habitude d'inviter un homme à danser mais puisque nous venons de nous rencontrer"
J: "Vous avez raison, en piste! La salle est à nous."
R: "J'ignorais que vous dansiez aussi bien... lorsque vous me tenez si près de vous, je sens toutes les vibrations de votre corps"
J :"J'espère que c'est agréable"
R: "Aaaaaaaaaah c'est une sensation plus qu'agréable, mais cette force et ces muscles impressionnent une pauvre créature fragile comme moi"
J :"Je suis doux vous savez. Dans l'intimité je suis l'homme le plus tendre qui existe"

 

Sur leur lancée, Rose et Jack sont également de précieux conseils pour le spectateur inexpérimenté qui aurait réussi brillamment la première étape d'approche décrite plus haut :

Rose: "Tu es si pressé que ça?"
Jack: "Bien plus que tu ne peux l'imaginer. Tu es superbe" (note : après avoir pris la demoiselle dans vos bras, la jeter fougueusement sur le lit)
R: "Dis moi est-ce que tu as quelqu'un dans ta vie en ce moment?"
J: "Il n'y a que toi"
R: "Ne sois pas si fougueux."
J: "Tu verras que tu ne seras pas déçue. Tu vas jouir comme jamais" (important : savoir rassurer sa partenaire sur ses performances athlétiques)
R: "Hummmmmmm, tu as dû faire l'amour à des dizaines de femmes"
J: "Je ne leur ai pas fait l'amour, je les ai baisé, c'est différent" (Jack souligne fort justement que la gent féminine reste encore sensible de nos jours à la poésie)
R: "vraiment?"
J: "Oui, je t'assure."
R: "Alors je veux savoir en quoi c'est différent" (Embrasser votre partenaire avec passion)

  

La leçon de choses passée, Rose revient aux affaires et élimine non sans sensualité [3] Jack, qui n'était autre que le premier de ses agresseurs. Démasquant un à un ses violeurs, la mission de notre émoustillante vengeresse doit se conclure par la mise à mort du chef présumé de la bande : Robert. Sous ses airs de bovin mal dégrossi, ce pseudo chef du trafic de diamants semble n'être pas indifférent aux charmes déployés par la belle chinoise (voir photo ci-dessus), mais il reste sur ses gardes, et peut compter à tout moment sur sa dextérité : enlever la culotte de Rose en deux secondes montre en main. Las, la jeune femme aurait dû s'alarmer d'une telle technique, Robert n'est pas homme à se laisser piéger de la sorte. Trop tard.

Derrière ce cocktail de sexe et de violence de façade, au rythme de scènes d'action époustouflantes, Flic ou Ninja cache pourtant un torrent d'émotions. Des personnages secondaires souffrent, la frustration se fait entendre. Hormis l'épisode Turner à ranger parmi les amours chastes, Flic ou Ninja s'enquiert également des problèmes du quotidien, en particulier ceux conjugaux de Jenny (la femme de Georges, qui n'est autre que l'ex de Rose, Jenny qui est aussi la fille de Larry, ou « la conne » dixit les propos du sinistre Maurice). Voici un petit extrait qui résume à lui tout seul la situation inextricable de cette jeune mariée bafouée. Jenny déboutonne la chemise de son homme dans un léger soupir, embrasse sa poitrine puis glisse sa main délicate vers la braguette de Georges, quand...

 

Jenny: "Qu'est-ce que tu as? Pourquoi tu ne dis rien? Georges cela fait plus d'un mois que nous sommes mariés et tu ne m'as pas encore touché. Georges, est-ce que quelque chose te contrarie?"
Georges: "Non, tout va très bien"
J: "S'il s'agit de ton travail, tu n'as qu'à l'arrêter. Tu n'as pas besoin de travailler. Ma famille est suffisamment riche"
G: "Je n'ai pas l'intention de te faire l'amour. Va donc prendre une douche froide"
J: "Oh ce que tu as dit! Tu es mon mari! Tu dois me faire l'amour"
G: "Je ne peux pas. Alors si tu es si pressée, va te faire caresser par un autre"
J: "Comment oses-tu!"

Habités par leur rôle, la prestation des acteurs (et leurs doubleurs) ne souffrent d'aucune comparaison. Riche d'un scénario non moins haletant et fort en rebondissements, le spectateur devra attendre l'intervention finale du funeste Maurice pour enfin avoir le fin mot de cette dramatique histoire. Machiavélique, au point d'en provoquer des grimaces incontrôlées à son interlocuteur Donald, le ninja rouge dévoile son plan imperturbablement. Responsable de la mort de ses trois associés, Donald doit mettre un terme aux agissements néfastes de Maurice, un combat final qui hantera vos nuits pendant encore longtemps, le ninjustsu est un art, et ces deux occidentaux en sont bien les maîtres.

 

Parangon de la série Z martial, Flic ou ninja est à classer parmi les modèles du genre. Godfrey Ho hisse le portnawak à un niveau rarement atteint auparavant  [4]. Mémorable.

Verdict du Nanarotron :



Ninja Champion (Flic ou ninja) | 1986 | 87 min
Réalisation : Godfrey Ho
Production : Joseph Lai & Betty Chan
Scénario : Godfrey Ho
Avec : Bruce Baron, Pierre Tremblay, Phillip Ching, Jack Lam, Nancy Chan, Richard Harrison, James Chan, Dragon Lee
Directeur de la photographie : Raymond Chang
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[1] A noter que Golan s'est sans doute fortement inspiré d'un précédent métrage sorti l'année précédente avec son futur poulain Chuck Norris dans La fureur du juste.

[2] On appréciera au passage son monologue envers son compagnon d'infortune quand celle-ci sera capturée: "Je te remercie pour ta loyauté. Je sais ce que tu veux me dire, que tu es amoureux de moi et que tu n'a jamais pu me le dire parce que tu es trop timide. Non Turner, je ne peux pas accepter, tu ne me dois rien et encore moins ta vie. Je n'ai pas le droit, continue notre mission... et à vivre". Or Turner est muet. Et durant cette émouvante confession, ce dernier ne pourra exprimer sa réprobation par quelques Aaaaaaaaaaaaaaahhh Gnnnnnnnnnnnnn Nnnnnnnnnnnnnnnnnnnh et autres grimaces. Terrible.

[3] Mourir empoisonné après avoir léché les seins de sa partenaire. Re : Terrible.

[4] Avec en prime une belle entorse aux lois du copyright, et la participation du Trans-Europe Express de Kraftwerk et On The Run de Pink Floyd.

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