Coltrane, A Love Supreme: Paolo Parisi (2010)

En préambule et à l'attention des amateurs de l'album Blue Train de John Coltrane, ne pas trop se fier à la couverture de cette bande dessinée éditée en France par Sarbacane en septembre 2010. Le visage de Trane, et en particulier son regard vide, pourrait être source d'interrogation et de doutes quant au contenu de cette BD initialement paru en Italie en mars 2009. Et pourtant...

L'auteur transalpin Paolo Parisi propose en quatre chapitres, ceux même qui composent le chef d'œuvre de 1964 A Love Supreme (Acknowledgement, Resolution, Pursuance et Psalm), de retracer de manière non linéaire la vie du saxophoniste américain, de ses débuts et sa rencontre avec un célèbre trompettiste, Dizzy Gillespie, jusqu'à sa mort à l'âge de 41 ans des suites d'un cancer du foie en 1967.

Inspiré en grande partie par le livre John Coltrane: His Life and Music de Lewis Porter paru en 1998, Parisi s'attache ainsi à montrer au cours d'une centaine de pages les différents traits qui caractérisent le mieux la riche personnalité de Trane et son Graal personnel, sa recherche perpétuelle du SOUND. Une biographie où les grands traits de sa vie sont évoqués, ses rapports privilégiés avec Eric Dolphy et l'émulation qui en découla, ceux avec Miles Davis et l'enregistrement du divin Kind of Blue, son passage chez Thelonious Monk et l'empreinte libératrice qu'elle initia chez lui, ou encore sa rencontre avec ses deux compagnons de route, sidemen de son fameux quartette, le pianiste McCoy Tyner et le batteur Elvin Jones.
 
A ceux qui pourrait regretter l'incomplétude de l'entreprise, l'enfance en Caroline du Nord du saxophoniste est par exemple vite résumée, précisons que cette biographie illustrée n'a nulle vocation à être exhaustive du fait en partie de son format. Parisi a choisi le parti pris de ne s'intéresser qu'à certains moments clefs de l'auteur de Giant Steps. Mais une biographie qui évite, faut-il le signaler, le défaut récurent de ce genre d'initiative: l'hagiographie [1]. Les zones d'ombre telle son héroïnomanie qui lui valut d'être viré manu militari par son leader (et ancien junkie) Miles Davis, ou sa séparation avec sa première femme, Naïma, ne sont aucunement éludées, des épisodes mettant en relief sinon les faiblesses de Trane, en tout cas d'autres pans de son humanité en dehors de sa timidité et de sa générosité.

Comme souvent lorsqu'il s'agit d'un média visuel, on aurait aimé que l'auteur se focalise davantage sur un épisode précis du personnage, l'impression de patchwork biographique pouvant par moment craindre la superficialité du propos. Le lecteur pourrait avoir la désagréable impression de « sauter » d'un épisode à un autre à travers les ellipses usitées par l'auteur. Mais cela reste globalement une réticence mineure, tant la bande dessinée (contrairement au cinéma ?) semble pouvoir se permettre ce genre de procédé saccadé, sans risquer d'amoindrir son sujet totalement, Parisini ayant, de plus, fait le choix judicieux de ne pas suivre chronologiquement la vie de Coltrane.

Une BD idéale pour les néophytes qui voudrait découvrir l'homme et l'artiste, et pour les initiés une manière agréable de relire les chapitres marquants d'un des musiciens de jazz les plus influents du XXème siècle [2].

Plusieurs planches sont disponibles sur le site internet de l'auteur: ICI.

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[1] Cf le film de Clint Eastwood sur la vie de Charlie Parker, Bird. L'amour du cinéaste, en dépit de la performance de Forest Whitaker avait rendu le film beaucoup trop tendre, gommant les aspects les moins reluisants du saxophoniste alto, à le faire passer pour un bon gros nounours (très loin de la description crue par Miles Davis dans son autobiographie).

[2] Seul bémol, la quête spirituelle de Coltrane aurait gagné à être plus mise en avant, celle-ci jouant une part très importante voire indissociable des dernières années du jazzman.

16 commentaires:

  1. Bon ta critique m'a définitivement convaincu, je vais me le chopper.

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  2. @ Benjamin F: quant au style, n'étant pas un grand spécialiste de la BD non plus, ça m'a rappelé un peu celui de Charles Berberian dans son excellente BD parue en 2004 Playlist

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  3. ça fait envie ça je pourrai me culturer un peu

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  4. bon ben c'est noté !
    (suis tjrs pas rentré dans A Love Supreme, j'espère que çà va aider...

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  5. @ La Buze: c'est jamais évident de découvrir un monument de la musique, qui plus est lorsqu'on connait à peine cette musique, enfin si c'est ton cas.
    Je me souviens avoir eu pas mal de difficulté à rentrer dans Kind of Blue à l'époque de sa découverte, ça peut prêter à sourire maintenant, mais la grammaire jazz étant si différente, il faut un certain temps d'adaptation... ce que de nombreux rock addicts ne sont pas disposer à faire, dommage pour eux.

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  6. Ca a l'air sympa, comme concept! Bon, j'aime pas trop le dessin, par contre... :-/

    SysT

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  7. J'en suis donc à l'étape Kind of Blue (c'était quand ta découverte du disque histoire de me rassurer (ou pas) ?) que j'ai acheté il y a quelques temps aussi mais toujours pas trouvé la clé...
    Pourtant les Cookin' / Relaxing / ... des 2 pointures me parlent... mais çà n'a pas encore fait son chemin j'imagine...
    Bizarrement je trouve Mingus plus accessible (alors que ce doit être kifkif ?)

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  8. @ Syst: oui moi aussi j'ai quelques réticences quant au dessin, mais passé cette "déception", on la lit avec beaucoup de plaisir, disons que la couverture desservit quelque peu la BD je trouve...

    @ La Buze: La découverte de Kind of Blue commence à dater, bientôt dix ans ;-)
    Pour le reste, on a chacun nos préférences, et certains albums nous paraissent plus facile à s'immerger que d'autres.
    Mingus plus accessible que Miles... pas sûr en fait, un 'Round Midnight par Miles me semble bcp plus accrocheur, mais comme je disais plus haut, tout dépend de la sensibilité de chacun (par exemple, Mingus, j'aime, mais j'accroche moins, à partir de là...).
    Sinon pour Trane, si tu veux commencer "facile", il vaut mieux en effet suivre chronologiquement son évolution, commencer par Blue Train, les années Atlantic et enfin sa dernière période, Impulse.

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  9. et pour se réfugier en terrain agréable rien de tel qu'un Ascenseur pour l'Echafaud

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  10. Vraiment pas fan du dessin mais bel hommage quand même.

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  11. @ Anne: oui je vois que nous sommes nombreux à apprécier l'initiative mais déçus (à des degrés divers) par la forme.

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  12. C'est vrai que c'est dommage ça partait d'un bon geste.

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  13. @ Winch: c'est vrai que les BD sur le jazz ne sont pas nombreuses, ce qui me rend encore plus indulgent vis à vis des dessins, car il faut le rappeler, le fond est de très haute tenue. :-)

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  14. Hello.

    Tout d'abord j'aime ton blog : le ton, le style, le contenu, bref good blog !
    A propos de cette B.D. Je l'ai feuilleté ce week-end mais j'ai acheté 2 autres, 2 petits bijoux que je te recommande vivement : "ToXic" de Chatles Burns et "Château de sable" de Frederik Peeters. De ce que j'en ai lu, elle m'a l'air très réussie visuellement, bon trait, graphisme et l'histoire pleine de moments poétique.
    Étant très fan de Coltrane ("Giant Steps", "A love supreme", " First Meditation (For Quartet)"...) et encore plus de bande dessinée, je l'ai bien repéré.
    Après les B.D rock'n'roll, la B.D jazz.
    Il y en a une (B.D jazz) superbe : "Somewhere Else" (2007) de Pascal Jousselin où chaque histoire est titré d'un grand standard de jazz. J'en ai parlé ici si ça te dis : http://muziksetcultures.over-blog.fr/article-52494951.html

    En tout cas, bonne critique qui a finit de me décider.

    A + +

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  15. @ Francky 01: merci pour ces compliments, ils prouvent qu'il y a une place dans la blogosphère pour un blog au style aussi chargé que le mien :-P

    Je renouvelle mes remerciements pour la BD Somewhere Else (jeu de mots avec le classique Somethin' else de Cannonball Adderley?), je vais me renseigner :-)

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