Brigitte Lahaie, Le Disque de Culte - Alain Goraguer (2016)

Rappel des faits. En octobre 2015, Cédric GrandGuillot et Guillaume Le Disez lancent leur projet de livre consacré, dixit les auteurs, « aux exploits cinématographiques de Brigitte Lahaie ». Projet mûri depuis deux ans, la paire souhaitait rendre un hommage appuyé, et jusqu'à présent inédit, à l'icône de l'âge d'or du cinéma pornographique hexagonale, ainsi qu'à sa carrière dans le cinéma bis. En supplément de cette annoncée bible (chroniquée ici), était également prévu lors de la première campagne de financement participatif le pressage d'un vinyle inédit comportant une sélection de musiques composées par Alain Goraguer, pour les films La Rabatteuse et Auto-stoppeuses en chaleur, tous deux signés par Burd Tranbaree alias Claude Bernard-Aubert, ou l'un des trois grands réalisateurs de films X des années 70 en France avec Gérard Kikoïne et José Bénazéraf. Septembre 2016, le duo lance une seconde campagne de financement principalement axée sur le disque, ce dernier devant comporter désormais onze morceaux inédits, numérisés, restaurés et remastérisés pour l'occasion (en mono), tous issus cette fois-ci de six films de Burd Tranbaree avec Brigitte Lahaie. 

La loi X (n°75-1278) du 30 décembre 1975 publiée au Journal officiel et mise en application le 1er janvier 1976 relégua les films pornographiques dans des salles spécialisées, les excluant par voie de fait des circuits de distribution traditionnel. Cerise sur le gâteau fiscal, ces films étaient désormais soumis à une TVA majorée (de 33 % contre 17,6 %), plus 20 % sur les bénéfices (pour soutenir les films dits « de qualité »), l'importation des films étrangers se voyant également prohibée par l'instauration d'une taxe forfaitaire de 300 000 francs. Attribué par une « commission du classement des œuvres cinématographiques » dépendante du ministère de la Culture, le classement X avait donc pour rôle de triller le (supposé) bon grain cinématographique de l'ivraie pornographique [1], et de participer ainsi activement, ni plus, ni moins, à la ghettoïsation d'un genre qui avait connu son heure de gloire sur tous les écrans français entre 1974 et 1975. Dont acte. Tandis que le nombre de salles spécialisées chute irrémédiablement entre 1975 et 1981, de 200 en 1975 à 136 en 1976 et 72 en 1981, certains professionnels du X, à défaut de pouvoir organiser une véritable résistance [2], vont paradoxalement composer avec ces contraintes nouvelles pour développer ce que l'on nommera l'âge d'or du cinéma X, à l'image du fondateur de la société Alpha France, Francis Mischkind [3].

Réputés pour leur production soignée, les longs métrages Alpha France verront l'émergence de nouveaux réalisateurs, tel Gérard Kikoïne, ou d'autres venus des circuits classiques à l'instar de Claude Bernard-Aubert, réalisateur de L'Affaire Dominici avec Jean Gabin dans le rôle titre en 1973, qui suite à l'annulation d'un de ses films en 1976 fut ruiné, et se lança dans la mode du cinéma X pour éponger ses dettes. Or tout en considérant, du moins à l'époque, ses films comme seulement de "très bons produits de consommation" (ces derniers s'inscrivant parmi les meilleures productions de la société de Francis Mischkind), le dénommé Burd Tranbaree n'avait pourtant nulle tendance à cacher un quelconque dilettantisme de la part de Claude Bernard-Aubert. Au contraire, en dépit d'un manque de moyens avérés, le réalisateur de Nuits brûlantes soignait la technique, et travaillait par exemple avec le même monteur et le même compositeur que pour ses autres films, soit respectivement Gabriel Rongier et Alain Goraguer sous les pseudonymes Roger Brigelain et Paul Vernon.

Alain Goraguer, arrangeur de Bobby Lapointe et de Serge Gainsbourg de la fin des années 50 au mitan des années 60, auteur de la bande originale du culte La Planète Sauvage de René Laloux, signa ainsi l'intégralité des musiques de Tranbaree (on lui doit également les musiques des films X de Serge Korber, sous le pseudonyme John Thomas, ou d'Alain Nauroy, sous le pseudonyme  Lino Ayranu). Avec le même professionnalisme et la même application que son partenaire réalisateur [4], Goraguer devint une figure incontournable du paysage X. Compositions célébrant le chic du porno de ces années dorées nourries au groove du jazz funk, celles-ci se démarquaient notablement des habituelles « musiques au mètre » généralement d'usage pour ce genre de production à budget limité.

Avec ses onze morceaux tirés de six films différents dont Parties de chasse en Sologne (1979) (aka La grande mouille lors de son exploitation en salles, puis renommé par Francis Mischkind pour sa ressortie en VHS), Brigitte Lahaie, Le Disque de Culte compile, à l'exception des deux extraits provenant de La Perversion d'une jeune mariée (Excès pornographiques) (1977) et Esclaves sexuelles sûr catalogue (Sarabande porno) (1977) le meilleur du compositeur pour Alpha France (précision : si les deux films cités ne furent pas exploité dans les salles par Alpha France, ils le furent par la suite en vidéo par Francis Mischkind), dont une face B entièrement consacrée à La rabatteuse. Du très groovy Denise se fait prendre en stop à l'évanescent funky L'ouvreuse fait son cinéma, la compilation offre donc un large éventail du talent de Goraguer/Vernon, ce dernier n'hésitant pas au besoin à ouvrir d'autres portes musicales, des ambiances carnavalo-brésilienne du Disco symphonie en rut majeur aux expérimentations électroniques de Marianne, la grande jouisseuse.

Un disque rare [5] et un objet précieux  [6].




  
 
Titres :

Face A (16'36") : 01. Le journal intime de Marie-Christine (La Perversion d'une jeune mariée) / 02. Denise se fait prendre en stop (Auto-stoppeuses en chaleur) / 03. Chassez le naturel... (Parties de chasse en Sologne) / 04. Brigitte, femme libérée (Esclaves sexuels sur catalogue) / 05. Fièvres nocturnes pour Marianne (Nuits brûlantes) - 06. Marianne, la grande jouisseuse (Nuits brûlantes)

Face B (16'31") : 01. La Comtesse se dévergonde (La rabatteuse) / 02. Plaisir partagé d'une rencontre impromptue (La rabatteuse) / 03. Jocelyne et l'hôtesse s'envoient en l'air (La rabatteuse) / 04. L'ouvreuse fait son cinéma (La rabatteuse) / 05. Disco symphonie en rut majeur (La rabatteuse)
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[1] Les films jugés incitant à la violence n'étaient plus seulement interdits au moins de 18 ans mais également classés X.

[2] A défaut de résistance, les professionnels joueront plutôt au chat et à la souris avec les censeurs en leur donnant des copies expurgées faites spécialement pour la commission. Un faux jeu de dupe, du moins jusqu'en 1981, car les censeurs étaient au fait de ces pratiques, mais acceptaient ces contournements à la règle tant l'industrie du X rapportait des sous aux caisses de l'Etat...

[3] Autre figure incontournable de cette époque, Jean-François Davy, dont les productions "contrairement aux pornos de luxe distribués par Alpha France", apparaissaient davantage comme "des séries B classées X, aux microbudgets" comme l'indique le spécialiste Christophe Bier.

[4] On peut lire dans le livre de Cédric Grand Guillot et Guillaume Le Disez à propos de l'application de Bernard-Aubert et Goraguer que "le mixage sonore d'un film X pouvait prendre jusqu'à quatre jours où un film classique en prenait cinq".

[(5) Rare dans tous les sens du terme car il ne sera ni repressé ni commercialisé par la suite, et qui aurait gagné à bénéficier de plus de titres !

[(6)] Le vinyle est richement doté de quelques photos sulfureuses... dont où l'on reconnait sa consœur Karine Gambier.
 

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