El siniestro doctor Orloff - Jess Franco (1982)

Cinéaste de l'obsession, Jess Franco œuvra toute sa vie à la perpétuelle relecture de sa filmographie. L'horrible docteur Orlof qui était déjà lui même une réappropriation des Yeux sans visage de George Franju, fut ainsi l'acte premier de cet immuable mouvement récréatif dès 1961. Loin d'être synonyme de facilité, ces révisions attestèrent au contraire, dans leur grande majorité, de la vitalité d'un réalisateur à la recherche d'une nouvelle forme, entre abstraction et frénésie érotomane, à l'image du Portrait de Doriana Gray, relecture contemplative et hallucinée de La comtesse noire mise en scène deux années plus tôt en 1973.

Nouvelle décennie, nouvelle donne, les années 80 sonnèrent le retour de Jess Franco sur ses terres natales. Affranchie du poids de la censure, l'Espagne lui offrait désormais un espace de liberté qui l'incita à revisiter quelques uns de ses films fondateurs. En 1981, il mettait ainsi en scène l'hallucinatoire et hypnotique Macumba Sexual, relecture de son culte Vampyros Lesbos, avec Lina Romay et Ajita Wilson. L'année suivante, entre deux films érotiques et autres bisseries, le madrilène sortait de sa retraite son torturé docteur [1], accompagné cette fois-ci de son fils tout aussi tourmenté, interprété respectivement par Howard Vernon et Antonio Mayans.

 
  
Alicante, dans l'imposante demeure familiale et à l'abri des regards indiscrets, Alfred Orloff (Antonio Mayans), fils du docteur (Howard Vernon), a décidé de reprendre les travaux controversés de son père. L'amour incestueux qu'il porte à sa défunte mère Melissa (Rocío Freixas) le pousse à errer la nuit, à la recherche de cobayes humains susceptibles de redonner vie à sa mère, brûlée entièrement et plongée dans le coma depuis un incendie lorsqu'il n'était encore qu'un enfant. Mais ses échecs répétés le contraignent à chercher continuellement de nouvelles victimes malgré la stricte désapprobation de son père. Un soir, il aperçoit dans une discothèque Muriel, sosie vivant de sa mère et épouse de l'inspecteur Tanner (Antonio Rebollo), policier en charge de l'enquête sur les jeunes femmes récemment disparues.

Fidèle dans les grandes lignes au scénario originel, El siniestro doctor Orloff  se démarque de son aîné par son climat malsain. Exit les ambiances gothiques et le post-expressionnisme du séminal Orloff, Franco inscrit son nouveau métrage dans une vision proprement crue et désenchantée. La ville déshumanisée et sa faune nocturne nourrissent désormais l'obsession d'Alfred. Entre les errances paranoïaques d'un Travis Bickle (Taxi Driver) et les traques sanglantes d'un Frank Zito (Maniac), le fils Orloff devient l'instrument et l'otage de sa monstruosité. Le scénario joue ainsi habillement entre le passé paternel et l'héritage (ou plutôt les divers héritages) laissé à son fils. Et malgré les interdictions répétées de son père, qui connut en son temps ces mêmes dérives meurtrières, Alfred ne peut se résoudre à abandonner Melissa. Au contraire, la rencontre avec Muriel lui offre un dernier salut.

 

Soutenue par des synthétiseurs hantés et une musique oppressante signée par le cinéaste lui-même, cette deuxième séquelle du mythe Orloffien par Franco nous plonge dans l'esprit perturbé du fils magistralement joué par Antonio Mayans. L'acteur espagnol y trouve sans doute un de ses meilleurs rôles sous la direction de son compatriote, loin des nombreuses productions ultra fauchées et alimentaires que le duo tourna la même décennie (Les diamants du Kilimanjaro au hasard, tourné la même année, sous le haut patronage bisseux de Lesoeur père et fils pour Eurociné). Et face à Mayans, Howard Vernon incarne au mieux un Orloff fatigué, témoin impuissant et responsable de cette folie filiale. Visuellement soigné (un détail qui ne trompe pas chez le madrilène), El siniestro doctor Orloff prouve une fois encore que, lorsqu'il veut s'en donner la peine, le réalisateur de La comtesse perverse maitrise son sujet en matière de cadrages et d'effets visuels (le reflet d'une victime dans les lunettes de soleil d'Andros ou le visage de Mayans).

 

Aux frontières de l'irréel (le laboratoire minimaliste des Orloff évoque avec dix ans d'avance la Red Room de Twin Peaks), El siniestro doctor Orloff distille une atmosphère perverse des plus réussies. Les scènes érotiques (ou supposées) flatteront le voyeurisme de certains, sans apporter une quelconque contre-partie émoustillante aux autres. Enfin contrairement aux anciens films de Franco où l'enquête policière ne servait finalement que de fil conducteur, voire prétexte à un comique décalé [2], les habitués noteront que celle-ci conforte à présent l'impression de perdition et d'impuissance qui plane au-dessus du récit.

Sombre et étrange, ce sinistre docteur Orloff mériterait amplement une ressortie en DVD.

A découvrir


El siniestro doctor Orloff (Le sinistre docteur Orloff) | 1984 | 77 min
Réalisation : Jesús Franco
Scénario : Jesús Franco
Avec : Howard Vernon, Antonio Mayans, Rocío Freixas, Antonio Rebollo, Rafael Cayetano et Jesús Franco
Musique : Jesús Franco
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[1] Sans compter les relectures non officielles (Les maîtresses du docteur Jekyll), comprendre celle où l'histoire reprend les grandes lignes d'Orlof(f) sans y faire apparaître véritablement le dit docteur, Franco ne réalisa finalement que deux séquelles par décennie : Los ojos siniestros del doctor Orloff en 1972 avec William Berger et ce El siniestro doctor Orloff.

[2] L'humour y est quasi absent. A retenir tout de même Jess Franco de nouveau dans une prestation décalée (remember le réceptionniste de Macumba) en interprétant un gay plus folle que nature, témoin du premier enlèvement perpétré par Andros.

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