Welt am Draht / Le monde sur le fil - Rainer Werner Fassbinder (1973)

Téléfilm ayant pour sujet la réalité virtuelle et ses faux semblants, Le monde sur le fil de Rainer Werner Fassbinder aura attendu près de quatre décennies pour apparaitre en DVD (par Carlotta en France puis Criterion outre-Atlantique). Diffusée pour la première fois en 1973, cette adaptation du roman de Daniel F. Galouye [1], Simulacron 3, marque encore de nos jours les esprits par sa justesse et sa profondeur. Annonçant les longs métrages réalisés au cours des années 1990 et 2000, Matrix des Wachowsky en tête, le cinéaste allemand tisse une œuvre ambitieuse, où le monde rétro-futuriste décrit se révèle, tout autant visionnaire que cruellement familier.

Directeur technique de l'institut de recherche en cybernétique et futurologie, l'IKZ, Henry Vollmer (Adrian Hoven) est retrouvé mystérieusement mort dans la salle des ordinateurs. Créateur d'un programme de réalité virtuelle capable de simuler une petite ville d'environ dix milles unités identitaires, le professeur présentait depuis peu un comportement des plus étranges. Lors d'une soirée organisée par le directeur général de l'institut IKZ, Herbert Siskins (Karl Heinz Vosgerau), le docteur Fred Stiller (Klaus Löwitsch), promu à la tête du projet Simulacron, rencontre le chef de la sécurité Günter Lause (Ivan Desny). Celui-ci lui confie avoir des doutes sur la supposée mort accidentelle de son ex-collègue. Vollmer semblait très préoccupé ces derniers temps, et lui avait justement déclaré avoir fait une découverte grave peu avant son décès. Or durant cette conversation, Stiller constate la disparition de Lause. Pire, quand il raconte ce curieux événement à son entourage professionnel, Stiller s'aperçoit que personne ne connait Lause. Officiellement, le chef de la sécurité de l'IKF s'appelle Hans Edelkern (Joachim Hansen)...


Comme énoncé en préambule, la sortie en vidéo du Monde sur le fil est loin d'être anecdotique. Premier film à s'intéresser aux thèmes que le cyberpunk reprendra à son compte la décennie suivante, puis le grand écran bien plus tard, cette adaptation démontre (une fois encore) la clairvoyance des romanciers de science-fiction (Simulacron 3 de Daniel F. Galouye et Les Simulacres de Philip K. Dick furent publiés la même année en 1964). Mis en scène par Rainer Werner Fassbinder et financé par la chaîne allemande WDR, Welt am Draht s'éloigne des modèles fréquemment réalisés à l'époque pour et par le petit écran. Si le futur créateur de la série Berlin Alexanderplatz profite du format télévisuel pour conserver la richesse et complexité du roman originel, en scindant le métrage en deux téléfilms de 100 minutes environ, celui-ci n'en garde pas moins une ambition esthétique propre au cinéma.

A défaut d'une technologie cinématographique adaptée à un tel univers, l'ère du tout numérique et ses budgets exponentiels pouvant encore bien attendre une décennie (Tron est sorti en 1982), Fassbinder s'appuie sur des effets visuels audacieux, où la science du cadrage, des plan-séquences et des mouvements de caméra deviennent un élément à part entière du récit. Moteur narratif du Monde sur le fil, le caractère visuel du métrage s'affirme dès son prologue. Le thème central de la perception (déformée) de la réalité (reflétée), véritable point de résonance et de questionnement au cours de l'histoire pour son personnage principal, apparaît ainsi lors d'une des premières scènes. Lorsque Vollmer interroge Von Weinlaub le Secrétaire d’État, sur ce qu'il voit dans le reflet du miroir qu'il lui tend, le professeur indique clairement, et de manière prémonitoire, que le reflet est l'image qu'ont les autres de nous. Fassbinder rapproche ce sujet philosophique à la thématique science-fictionnelle de la réalité virtuelle et du monde imaginé par d'autres personnes, qui trouvera son climax dans le dénouement et cliffhanger final de la première partie [2]. En quête de vérité, Fred Stiller recherche celle qui semble se cacher dans les niveaux d'une réalité complexe, au risque de perdre à la fois son identité et sa santé mentale.


Tourné en partie à Paris, pour l'architecture moderne des nouveaux ensembles récemment construits, l'aspect SF du Monde sur le fil tire sa source, ironiquement, davantage des délires Fassbinderiens et surréalistes que de ces décors « naturels » : de la pré-apparition d'une fausse Lili Marleen (avant son film du même nom en 1981), à la fête chez Siskins ou le nightclub avec danseuses topless et bodybuildeurs arabes en sus. Plus cérébrale que spectaculaire, cette adaptation signée Fassbinder tire également sa source du film de Jean-Luc Godard, Alphaville, à l'image de la brève apparition de l'ancien interprète de Lemmy Caution, Eddie Constantine, et de quelques plans évoquant le fameux couloir de la Maison de la Radio. Enfin, entre film d'anticipation, film d'espionnage et film noir, Welt am Draht emprunte à ces différents genres diverses références (vamp, traitre, ou autres flics en imperméable).

Formellement brillant, narrativement riche, si Le monde sur le fil accuse un léger coup de mou durant sa seconde partie paranoïaque, son extrême modernité tend à gommer ses légers défauts.

A (re)découvrir.





Welt am Draht (Le monde sur le fil) | 1973 | 204 min
Réalisation : Rainer Werner Fassbinder
Scénario : Fritz Müller-Scherz et Rainer Werner Fassbinder d'après le roman de Daniel F. Galouye, Simulacron 3
Avec : Klaus Löwitsch, Barbara Valentin, Mascha Rabben, Karl Heinz Vosgerau, Wolfgang Schenck, Günter Lamprecht, Ulli Lommel
Musique : Gottfried Hüngsberg
Directeurs de la photographie : Michael Ballhaus, Ulrich Prinz
Montage : Ursula Elles, Marie Anne Gerhardt
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[1] Livre adapté, une seconde fois au cinéma cette fois-ci, par Josef Rusnak en 1999 sous le titre The Thirteenth Floor (Passé virtuel).

[2] Sans le dévoiler, il est vrai que le cliffhanger est désormais prévisible, ce type de surprise ayant été popularisé depuis Matrix par exemple.

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