Le sadique Baron Von Klaus - Jess Frank (1962)

C'est en 1961 que Jesús Franco réalise pour le compte de la société de Marius Lesoeur, Eurociné, le premier film d'horreur gothique espagnol, L'Horrible Docteur Orlof. Par son post-expressionnisme, son histoire teintée d'érotisme et librement inspirée Des yeux sans visage de Georges Franju, le long métrage (et par extension son auteur) devient une référence dans le petit monde du fantastique au début de la décennie 1960. L'année suivante, Franco sous le pseudonyme Jess Franck convie ses initié.e.s à découvrir son nouveau film d'horreur : Le sadique Baron Von Klaus. Le réalisateur y cultive le même goût pour les ambiances mystérieuses, les meurtres pervers, et de nouveau dans le rôle titre, celui qui deviendra l'un de ses plus vieux complices : Howard Vernon.

Le meurtre d'une jeune femme et la disparition d'une seconde viennent troubler la bourgade d'Holfen, paisible village d'Allemagne. L'inspecteur Borowsky (Georges Rollin) est dépêché sur les lieux afin de faire la lumière sur ces troublants événements. Assisté par son ami et journaliste Karl Steiner (Fernando Delgado), le manque d'indices après la découverte de la seconde victime ne facilite pas la tâche du policier. Or les regards des autochtones se portent sur la famille Von Klaus dont les ancêtres ont depuis le 17ème siècle la sinistre réputation d'être de sanguinaires assassins. Sans porter crédit à ces superstitions et à la rumeur d'un fantôme meurtrier, Borowsky confesse que de toute façon les deux héritiers mâles ont chacun un alibi sérieux. L'actuel baron, Max Von Klaus (Howard Vernon) était au chevet de sa sœur malade le soir du dernier meurtre, tandis que son neveu Ludwig (Hugo Blanco) étaient en voyage avec sa fiancée (Paula Martel) à 300 km. A l'auberge du village, l'adjoint de l'inspecteur lui informe que l'arme utilisée par l'assassin est un poignard damasquiné à lame incurvée qui daterait au plus tard du 18ème siècle...

 

Faussement adapté du roman La main d'un homme mort de David Khune, ce dernier n'étant qu'un autre des nombreux pseudonymes de Jesús Franco, Le sadique Baron Von Klaus s'inscrit comme annoncé en préambule dans l'horreur gothique, genre auquel le cinéaste, à l'instar d'un Mario Bava, apporta sa vision personnelle durant la première moitié des 60's. Mais contrairement à ce que pourrait laisser croire le titre français, ce deuxième film mettant en scène un mystérieux tueur n'est pas une relecture du précédent métrage. Si celui-ci reprend en particulier sa trame policière et les habituelles séquences de cabaret [1], le récit s'écarte néanmoins de ses deux principales références, Georges Franju et Robert Wiene (Le Cabinet du docteur Caligari), pour au contraire s'aventurer pour la première fois vers l'influence Sadienne dans sa dernière partie [2]. Une inclination et un goût certain pour les perversions sexuelles, et la représentation de crimes sadiques et autres tortures, qui ne laissèrent sans doute pas indifférents non plus les censeurs de l'époque [3], et qui s'ajoutent à la longue liste des réprobations et interdictions que Franco a connu au cours de sa vie de réalisateur.
 
 
Malheureusement pour le film, ce cher Baron Von Klaus souffre d'une première partie sinon ennuyeuse, du moins fort longuet. L'enquête policière traîne volontiers, malgré l'humour du duo Borowsky/Steiner et dans une moindre mesure, la présence des divers autochtones rencontrés (dont un caméo de Marius Lesoeur) et interrogés par la paire. Cependant l'attente vaut la peine. La dernière demie-heure du métrage, celle où le tueur se dévoile enfin davantage, évoque l'atmosphère des plus belles scènes du Docteur Orlof.

Photographié de nouveau par le même chef opérateur, le classieux noir et blanc de Godofredo Pacheco sublime l'ambiance lugubre et angoissante voulu par son auteur une fois la nuit tombée. Le climat malsain, qui découle de la véritable identité du noble sadique, n'a rien perdu de son pouvoir perturbant. La scène de torture de la malheureuse Margaret jouée par Gogó Rojo s'éloigne des images crapoteuses souvent rattachées aux films de Franco. Actes sadiques accompagnés d'une musique « concrète » rappelant fortement les meurtres de Morpho et Orlof [4], ceux-ci forment le point de départ d'une thématique que le réalisateur espagnol ne cessera d'enrichir par la suite dans sa prolifique filmographie.


Entouré d'acteurs issus du cercle francien passé et à venir (Anna Astor a débuté dans Opération lèvres rouges, un des premiers longs métrages de Franco, tandis que Georges Rollin [5] jouera ensuite dans Le jaguar et Agent 077 opération Jamaïque), l'inamovible et inquiétant Howard Vernon compose un remarquable baron Von Klaus. Autre carte maîtresse et indéniable atout, les admirateurs franciens noteront que ce film introduit la première collaboration entre Jess Franco et son compositeur fétiche, Daniel White, pour une bande originale très jazzy.

 

En attendant 1964 et la première relecture (non) officielle de L'Horrible Docteur Orlof Les maîtresses du Docteur Jekyll avec Hugo Blanco.



La mano de un hombre muerto (Le sadique Baron Von Klaus) | 1962 | 95 min
Réalisation : Jesús Franco
Scénario : Jesús Franco
Avec : Howard Vernon, Anna Astor, Paula Martel, Georges Rollin, Hugo Blanco, Gogó Rojo, Fernando Delgado
Musique : Daniel White
Directeur de la photographie : Godofredo Pacheco
Montage : Ángel Serrano
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[1] Si le doublage français accuse peu de défauts (Georges Rollin étant l'un des rares acteurs à jouer dans la langue de Molière, Howard Vernon se doublant lui-même pour la version française), il en est tout autre des scènes de cabaret qui auraient sans doute gagnés à rester en espagnol.

[2] En attendant ses prochaines adaptations des œuvres du Marquis telles : Justine de Sade, Les inassouvies ou Eugénie de Sade.

[3] L'Espagne franquiste n'étant pas réputée (étonnamment) pour être une amatrice de la torture. Du moins dans la sphère publique.

[4] La fin du film annonce quant à elle, tant sur le fond que sur la forme, celle de Christina chez les morts-vivants de 1973.

[5] Georges Rollin ayant tourné avec les grands réalisateurs des années 1930-1940 tels qu'Abel Gance, Jacques Becker, Henri Decoin ou Julien Duvivier.

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