Le scorpion rouge - Joseph Zito (1988)

1988. Tandis que les États-Unis connaissaient les dernières heures d'un Reaganisme en phase pré-Alzheimer, le cinéma d'action 80's US se trouva fort dépourvu quand la fin prochaine de la Guerre froide fut venue. Une période de transition en somme, à laquelle les stratèges d'Hollywood trouvèrent des solutions adaptées ou non : d'un côté, les pragmatiques qui lorgnèrent vers une virile coexistence pacifique telle la Double détente de Walter Hill, et les autres, garants ad vitam æternam des saintes valeurs du monde libre. Sorti quelques mois après Rambo III, qui voyait le pré-retraité John Rambo prêter mains fortes à de courageux moudjahidines contre la vile armée soviétique (qui avait eu la mauvaise idée de retenir prisonnier son cher et tendre Colonel Trautman), Le scorpion rouge suivait une direction similaire, soit mettre en lumière une dernière fois le vrai visage de « l'empire du mal » dixit le cowboy de la Maison blanche. Fort de sa prestation marquante en qualité de boxeur russe dans le rôle du glacial Ivan Drago dans le déjà fort Reaganien Rocky IV, le suédois Dolph Lundgren rangeait momentanément son costume de superhéros [1], pour enfiler, non pas les gants mais, l'uniforme d'un soldat soviétique. Film fleurant bon la testostérone, symptomatique d'un cinéma d'action stéréotypé typique des années 80, Le scorpion rouge est désormais disponible depuis le 6 juillet en Blu-ray et DVD dans le cadre de la Midnight collection éditée par Carlotta.

Nikolai Petrovitch Rachenko (Dolph Lundgren) est un Spetsnaz, soldat d'élite de l'armée soviétique dépêché en Afrique pour aider un pays ami en proie à une rébellion, dont le leader Ango Sundata menace le régime communiste en place. Sa mission : assassiner ce chef rebelle. Afin d'infiltrer le camp ennemi, Nikolai sème le trouble dans un bar. Arrêté, il partage la même cellule que celle du rebelle Kallunda Kintash (Al White) ainsi que celle du reporter américain Dewey Ferguson (M. Emmet Walsh). D'abord sur leurs gardes, le soldat gagne la confiance des deux hommes après les avoir aidés à s'échapper et à rejoindre le campement de Sundata. La nuit venue, Nikolaï tente d'assassiner sa cible, mais le leader se méfait de ce nouvel allié nouvellement rallié...

 

Produit par le lobbyiste anti-communiste Jack Abramoff, via sa fondation International Freedom Foundation (IFF), homme d'affaire qui sera une dizaine d'années plus tard au centre d'une affaire de corruption et de transactions frauduleuses [2], Le scorpion rouge, initialement prévu au Swaziland, fut tourné en Namibie (à l'époque où celle-ci appartenait encore à l'Afrique du Sud, Abramoff ayant des accointances avec le gouvernement Sud-Africain, alors soumis à un embargo international). Une odeur de soufre et une polémique qui poussa rapidement la Warner Bros. à se désengager prudemment [3] de ce film très fortement inspiré par l'histoire récente de l'Angola, quand le leader de l'UNITA, Jonas Savimbi, luttait contre le régime pro-communiste de la République populaire d'Angola alors soutenu militairement par l'URSS et Cuba.

Réalisé par Joseph Zito, grand spécialiste du film bisseux patriotique, ce dernier revenant aux affaires après les lourdingues Portés disparus et Invasion USA avec notre moustachu roux préféré, Le scorpion rouge, à l'instar des deux pamphlets précités, ne fait pas dans la dentelle. Explosions, fusillades, tortures (si on en croit le film, il s'agit d'une spécialité cubaine), Zito présente tous les ingrédients d'un film d'action à l'ancienne. Entouré d'une fidèle équipe de baroudeurs, du compositeur Jay Chattaway au chef opérateur João Fernandes, en sus de Tom Savini pour les maquillages (croisé lors des précédents films d'horreur de Zito, The Prowler et Vendredi 13 : chapitre final) le metteur en scène avait toutes les cartes en main. Or, malheureusement, c'était sans compter : 1/ un scénario inepte et bancal écrit par le débutant Arne Olsen (avant une carrière oscillant entre la télévision et la fiction pour enfants dans les 90's), et réécrit par Zito, 2/ l'interprétation monolithique d'un Dolph Lundgren à l'encéphalogramme plat, et 3/ un florilège d'accents improvisés. De quoi affoler un Nanarotron en embuscade.

 

Avec la délicatesse et l'élégance d'un pachyderme républicain, Le scorpion rouge enquille sans surprise les clichés et autres raccourcis. Au rythme des tubes 50's de Little Richard [4], Jenny, Jenny et Good Golly Miss Molly en tête, la production Abramoff peut se targuer d'être l'un des derniers témoins de la lutte anticommuniste, jusqu'à démontrer, exemples à l'appui, toute la vilénie qui sied aux soviétiques qui n'hésitent pas, comble de la cruauté, à massacrer d'innocents villageois. Avec comme seul représentant du monde libre, M. Emmet Walsh, déjà vu dans la première aventure de Braddock signée Zito, dans le rôle d'un reporter US supra-caricatural, le doute n'est plus permis, le récit se veut en fait porteur d'un message universel au-delà de toute bipolarité mondiale. Faut-il être aveugle pour ne pas être troublé par l'amitié et la rédemption de ce colosse blond, en short et au corps huilé, auprès d'un vieux bushman lui apprenant la sagesse de ses ancêtres ; un bon sauvage qui marquera d'une scarification sur sa poitrine un scorpion, symbole de sa renaissance spirituelle. Mais pour cela, le spectateur devra attendre. Longtemps. Très longtemps. Trop longtemps. Amputé d'une vingtaine de minutes, cet arachnide cramoisi aurait gagné en efficacité. Las, les allers-retours de ce soldat bodybuildé perdu entre ses anciens et nouveaux ennemis diluent l'effet foutraque du film, à l'image d'une bataille finale en mode vengeance à la John Matrix au potentiel nanar intact.

Dernier film de Joseph Zito, avant un long hiatus d'une dizaine d'année, et le retour d'une prestigieuse franchise (Delta Force One : The Lost Patrol, soit le quatrième volet, avec Mike "fils de" Norris  [5]), Le scorpion rouge reçut un accueil mitigé et des recettes décevantes, ce qui n'empêcha toutefois pas fratrie Abramoff de produire six ans plus tard une fausse séquelle.

Verdict du Nanarotron :




Crédits photo : © 1988 Scorpion film production


Red Scorpion (Le scorpion rouge) | 1988 | 105 min
Réalisation : Joseph Zito
Scénario : Arne Olsen d'après une histoire de Robert Abramoff, Jack Abramoff et Arne Olsen
Avec : Dolph Lundgren, M. Emmet Walsh, Al White, T.P. McKenna, Carmen Argenziano, Brion James et Regopstaan
Musique : Jay Chattaway
Directeur de la photographie : João Fernandes
Montage : Jack Abramoff
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[1] Lundgren sortait juste de la production Cannon Les maîtres de l'univers dans le rôle de Musclor, avant d'incarner deux ans plus tard le Punisher d'après le comics édité par Marvel.

[2] Condamné à 6 ans de prison, Abramoff fut libéré après trois ans et demi de détention fin 2010. Le film Casino Jack (2010) avec Kevin Spacey narre cette histoire.

[3] Rappel : il s'agit du fil conducteur de la Midnight Collection, la société Shapiro-Glickenhaus Entertainment distribua le film en vidéo.

[4] Le choix de l'auteur Tutti Frutti comme accompagnement musical ne manquant pas de piquant et d'ambiguïté, ce dernier étant loin d'être le symbole d'une Amérique Reaganienne.

[5] Un quatrième volet, qui à l'instar du numéro 3, fit encore appel à des fils de : cette fois-ci en sus du retour de Norris junior, le casting sortit du chapeau le fils de... Christopher Mitchum, déjà fils de Robert.
   

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