Lèvres de sang - Jean Rollin (1974)

Seconde véritable incursion du RHCS dans l'univers du réalisateur du Viol du vampire [1], Lèvres de sang est souvent considéré comme l'un des meilleurs films de Jean Rollin. Dernier volet seventies de sa chère thématique vampirique, avant un avenir alimentairement pornographique et d'autres horizons bisseux aux fortunes diverses, l'homme y synthétise, dans ce qu'il considéra à juste titre comme l'une de ses œuvres préférées, ses diverses aspirations et obsessions, dont un éternel goût pour les demoiselles aux dents longues en robes diaphanes et couleur pastel. Dont acte.

Lors d'une réception mondaine pour la promotion d'un nouveau parfum, Frédéric (Jean-Loup Philippe) aperçoit la photographie d'un château en ruine. Tel un électrochoc, celle-ci lui évoque un passé qu'il croyait à jamais oublié : un épisode de son enfance et en particulier sa rencontre vingt ans plus tôt avec la jeune et mystérieuse Jennifer (Annie Belle). Obsédé par ce souvenir, et contre l'avis de sa mère protectrice (Nathalie Perrey), Frédéric est décidé à retrouver la trace de ce château et de son occupante. D'abord réticente, la photographe ayant pris ce cliché lui donne rendez-vous à minuit à l'Aquarium de Paris, lui promettant de retrouver entre temps dans ses dossiers l'adresse de ces ruines. En attendant l'heure dite, Frédéric erre dans les rues sombres de la Capitale. Entrant dans un cinéma, il y distingue près de la sortie de secours l'image de celle qui hante ses esprits, l'invitant à la suivre...

  

Coécrit par l'interprète principal du film, Jean-Loup Philippe, Lèvres de sang se distingue des précédents essais de son auteur par son onirisme nostalgique, s'éloignant du surréalisme maladroit de ses premiers métrages. Centré principalement sur les thèmes de la mémoire et de l'enfance perdue, le film se situe à la frontière du songe et de l'errance, avec comme fil conducteur et image envoûtante, la charmante Annie Belle. Au cours de ses déambulations nocturnes, sous la protection des deux sœurs jumelles vampires libérées involontairement par ses soins, et jouées par Catherine et Marie-Pierre Castel [2], Frédéric croisera durant cette nuit divers individus louches aux intentions des plus funestes. 

Avec les moyens qui lui suit sont octroyés, c'est-à-dire forcément modestes, le réalisateur de Fascination surprend. Loin de la vision désincarnée des grands ensembles et immeubles de La nuit des traqués qu'il mit en scène à l'orée des années 1980, Rollin s'acclimate de l'environnement urbain parisien pour tisser un climat surréel inspiré (en particulier la scène des fontaines). Et contrairement aux griefs usuels à propos des acteurs Rolliniens, le film doit énormément à la prestation de son acteur principal [3] (qu'on retrouvera bien des années plus tard dans le film testament de Jean Rollin La nuit des horloges). Mais que ses habitués se rassurent, Lèvres de sang incorpore nombres de références et lieux communs, nous rappelant que nous sommes bien dans un de ses films : cimetière, jolies filles, action indolente et scènes étirées, et autre château en ruine.

  

Photographié par un chef opérateur débutant au talent prometteur [4], créateur d'atmosphères inquiétantes, le film souffre néanmoins d'une dernière partie moins probante, en dépit de la présence de la ravissante Annie Belle [5], la cause sans doute à un dénouement sinon prévisible du moins réalisé avec les clichés traditionnels du genre. Enfin un détail qui ravira les plus déviants : le long métrage fut remonté peu de temps après sous le titre explicite Suce moi vampire en y incorporant plusieurs scènes pornographiques, ce qui tendrait à expliquer ou tolérer les moments de flottement érotique [6] qui émaillent ces Lèvres.

Film d'une rare beauté, à l'image de sa scène finale sur une plage de galets [7], étrange et émouvante.

A recommander pour celui ou celle qui voudrait découvrir cet attachant réalisateur.



 
Quand Jean Rollin rend un hommage à l'un des ses premiers films... et s'offre à l'occasion un petit caméo


Lèvres de sang | 1974 | 87 min
Réalisation : Jean Rollin
Scénario : Jean-Loup Philippe, Jean Rollin
Avec : Jean-Loup Philippe, Annie Belle, Natalie Perrey, Martine Grimaud, Catherine Castel, Marie-Pierre Castel, Claudine Beccarie
Musique : Didier William Lepauw
Directeur de la photographie : Jean-François Robin
Montage : Olivier Grégoire
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[1] Laissons de côté en effet l'alimentaire mais néanmoins très sympathique nanar Lac des morts-vivants.

[2] Actrices récurrentes des premiers Rollin et vues auparavant dans La vampire nue et Le frisson des vampires

[3] Comprendre : suffisamment crédible et juste pour faire oublier le jeu limité de ses partenaires.

[4] Jean-François Robin signa la photographie de nombreux films français par la suite, oscillant entre le grand public (Les bronzés font du ski), sa collaboration avec Jean-Jacques Beineix (à partir de 37°2 le matin) et grands noms (L'amour braque  d'Andrzej Zulawski ou Quelques jours avec moi et Nelly et Monsieur Arnaud de Claude Sautet).

[5] De son vrai nom Brilland, qui connut une jolie carrière en Italie du milieu des années 1970 à la fin des années 1980 et qui joua (entre autres) pour la paire D'Amato/Eastman dans Rosso sangue et Ruggero Deodato dans La maison au fond du parc.

[6] En particulier la séquence chez la photographe et ses moments de nudité gratuite qui tombent « pudiquement » à plat.

[7] Les plages de Haute Normandie et ses falaises de craies blanches étant également une figure récurrente du cinéma de Jean Rollin.

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