Speak Like A Child (1968) | Anxiety Despair Languish (2012)


Sixième et avant dernier album pour Blue Note, trois années séparent ce Speak Like A Child de son prédécesseur, le populaire Maiden Voyage : une éternité en somme pour le prodige Herbie Hancock qui enregistra pas moins de cinq albums entre 1962 et 1965. Si les nombreuses tournées du célèbre second quintet de Miles Davis peuvent un temps expliquer ce hiatus [1], il faut plus y voir pour le jeune pianiste un besoin vital de se renouveler, et dépasser ce qui s'apparentait déjà comme un des sommets de son œuvre.

Enregistré en mars 1968, Speak Like A Child est intimement (et doublement) lié à la discographie de Miles. Parmi les six compositions originelles, celles-ci ont toutes été écrites par Hancock, à l'exception de First Trip, composée par l'inamovible Ron Carter, contrebassiste du quintet de Miles. Or trois titres ont déjà été joués par ce même quintet auparavant : le morceau éponyme quelques semaines plus tôt en janvier (mais qui ne sera disponible que sur le coffret The Complete Studio Recordings of The Miles Davis Quintet 1965–1968), et The Sorcerer et Riot disponibles respectivement l'année précédente sur l'album éponyme et Nefertiti de Miles.

Quid dès lors entre ces enregistrements passés et ce nouvel album ? Le lyrisme. Hancock s'inspire ouvertement de l'ancien comparse de Miles, Gil Evans, tant par les harmonies que par le choix de ces sidemen. Menée par une section cuivre étoffée [2], Thad Jones au Bugle, Peter Phillips au basse trombone et Jerry Dodgion à la flute alto [3], la formation évoque à la fois celle de Point of View (1963) et le travail de l'arrangeur de Miles Ahead (1957). Speak Like A Child offre ainsi au pianiste l'occasion d’expérimenter davantage avec comme fils conducteurs l'enfance, la spontanéité et la pureté.

Un des albums les plus subtils et mélodieux de son auteur.





Habitué de ces lieux, le groupe instrumental transalpin Lento aura eu une double actualité l'année dernière : en mars un album live, intitulé sobrement Live Recording 8.10.11, véritable condensé de leur puissance scénique, puis le 26 octobre la sortie de leur troisième album studio.

Après un mémorable et récent Icon (2011), les cinq musiciens reviennent en 2012 avec Anxiety Despair Languish dont la pochette évoque la peinture du XVIème siècle : un indice malheureux indiquant un virage de cuti ? Fort heureusement non, Lento reste fer de lance d'un post-metal européen naviguant entre un sludge des familles et un post-hardcore.

De l'album précédent, les italiens ont retenu la concision qui faisait l'excellence d'Icon, seul deux morceaux dépassant les quatre minutes (là où leurs confrères aiment au contraire les étirer à n'en plus finir). Certes, le côté froid et clinique a quelque peu disparu au profit de nombreux changements de rythme et d'ambiances saturées. A ce titre, les esprits chagrins pourront au détour de certains titres (Death Must Be The Place) craindre alors à une « Pelicanisation » de Lento. Or si le groupe varie les plaisirs et les montées en puissance, les doutes se dissipent ou tendent à s'effacer au fil de l'album. Tout sauf stérile et ennuyeuse, la musique riche et complexe de la formation sait garder une assise torturée et mélancolique, Lento étant également passé maître dans la création d'atmosphères diverses : acoustique (Blackness), mystérieuse (Years Later), ou bien noise (Inwards Dislosure).

Un disque instrumental qui a le mérite de ne pas être démonstratif, et de se bonifier au fil des écoutes, what else ?


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[1] Pause concernant ses albums solo, Hancock ayant enregistré en 1966 la bande originale de la Palme d'or de l'année suivante, Blow-Up de Michelangelo Antonioni.

[2] Contrairement à Maiden Voyage qui ne proposait qu'un « quintet classique ».

[3] Flûte qui sera reprise sur le prochain album The Prisoner (1969) par l'un des maîtres de cet instrument Hubert Laws.

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