Lianna - John Sayles (1983)

Deuxième long métrage de John Sayles après le séminal Return of the Secaucus 7 mis en scène trois ans plus tôt, Lianna s'inscrit comme l'un des premiers films grand public dont le sujet principal traite ouvertement du coming out. Perçu (à raison) avec défiance à sa sortie par de nombreuses féministes étasuniennes, ledit sujet étant écrit et réalisé par un homme hétéro [1], Lianna fait néanmoins figure d'exception et de réussite. Mieux, John Sayles démontrait déjà à l'orée de sa filmographie la finesse de son analyse et son approche didactique. Mais n'allons pas trop vite. 

New Jersey. Mariée depuis une dizaine d'années à Dick (Jon DeVries), un professeur d'université, et mère de deux enfants, Lianna (Linda Griffiths) suit des cours du soir en psychologie de l'enfance avec son amie Sandy (Jo Henderson). En rentrant d'un cours auprès de l'enseignante Ruth Brennan (Jane Hallaren), Lianna découvre une nouvelle infidélité de son époux avec une étudiante. Elle se confie à Ruth lors de leur première soirée ensemble, où la jeune femme se remémore son premier amour refoulé... 
 
Au cours d'une décennie où le cinéma hollywoodien évoquait encore peu ou mal le thème de l'homosexualité [2], Lianna fait figure d'OFNI. Le statut indépendant de cette production est sans doute à prendre en compte, mais, cela ne remet nullement en cause la singularité du deuxième long métrage de John Sayles. Lianna se démarque de l'usuelle représentation hétéronormée qui était encore d'usage. Dont acte.

Chassée du domicile conjugal, accusée par son époux homophobe d'avoir pratiqué un acte contre nature, Lianna se retrouve seule et séparée de ses enfants. Celle qui avait abandonnée l'université pour se marier doit désormais trouver un logement et un travail. Or, jamais le récit ne verse, comme c'était à craindre, dans le mélodrame ou ne cherche à dépeindre son héroïne en victime. Nullement. Lianna se définit avant tout comme le portrait intime d'une renaissance. 

 

De la (re)découverte à la (ré)affirmation de soi, le scénario s'applique davantage à décrire sans pathos l'émancipation de cette jeune trentenaire. Mieux, le regard empathique de Sayles s'écarte de tout fétichisme malaisant, la romance entre Lianna et Ruth est dépeinte avec pudeur et sans voyeurisme [3]. Déterminée à vivre son nouvel amour, Lianna se retrouve toutefois vite confrontée à la réalité homophobe. Les lesbiennes n'ont pas d'autres choix que de cacher leurs vies sentimentales aux yeux de la population hétéronormée. Les sorties dans le club lesbien de la ville deviennent dès lors pour Lianna autant libératrices que révélatrices.  

Du parti pris didactique souhaité par le cinéaste, le film n'élude pas les conséquences du coming out. Entre rejet, incompréhension et soutien, Lianna fait l'expérience douce-amère de la perception de son homosexualité auprès d'autrui, dont ses enfants, ses ami.e.s ou ses voisines. Sans dramatiser le propos, le film ne fait pas ombrage des contraintes sociétales, à l'image de celles qui pèsent sur Ruth, qui craint de perdre son poste d'universitaire si un jour sa sexualité venait à être découverte.

 

Lucide sur la situation de l'époque, la fiction écrite par John Sayles, sans verser dans le mélodrame comme évoqué précédemment, ne gomme pas les réelles difficultés auxquelles se heurte son héroïne, à la fois femme et lesbienne. D'une romance émancipatrice condamnée à une durée éphémère, le film ne peut cependant pas être accusé de pessimisme, sa conclusion réconciliatrice est au contraire porteuse d'espoir. 

Filmé en 16 mm, le long métrage se distingue enfin par l'interprétation de ses deux actrices principales, qui aurait méritées d'avoir une carrière autre que télévisuelle par la suite. 

Recommandé. 



Lianna | 1983 | 110 min | 1.85 : 1 | Couleurs 
Réalisation : John Sayles
Production : Jeffrey Nelson, Maggie Renzi
Scénario : John Sayles
Avec : Linda Griffiths, Jane Hallaren, Jon DeVries, Jo Henderson, John Sayles
Musique : Mason Daring
Directeur de la photographie : Austin De Besche
Montage : John Sayles
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[1] Crainte justifiée tant l'histoire du cinéma aura démontré que la vision hétéronormée s'accompagne quasiment toujours de lieux communs, clichés voire pire dès qu'un sujet aborde de près ou de loin la communauté LGBTQIA+. 

[2] Le documentaire The Celluloid Closet (1995) de Rob Epstein and Jeffrey Friedman, adaptation du livre du livre éponyme de Vito Russo, a pour sujet la représentation de l'homosexualité à Hollywood.

[3] La scène d'amour entre les deux femmes pourrait à juste titre paraitre gentiment cliché (quid de ses murmures susurrés en français dans le texte ?!). Or, rien n'indique qu'une même scène hétérosexuelle n'aurait pas eu droit à un tel traitement, comme c'est souvent le cas lorsqu'une scène d'amour est filmée. 

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