La vengeance aux deux visages (One-Eyed Jacks) - Marlon Brando (1961)

En marge des productions sorties en 1961 [1], La vengeance aux deux visages, première et dernière réalisation de Marlon Brando, est un western unique en son genre. Le long métrage est l'adaptation du roman de Charles Neider, The Authentic Death of Hendry, publié cinq ans plus tôt, lui-même inspiré par la vie de Billy the Kid, à la demande du producteur Frank P. Rosenberg. D'un scénario confié à l'origine à Rod Serling (La quatrième dimension), le projet fut également proposé au jeune Stanley Kubrick, avant que son acteur principal ne s'occupe finalement de la mise en scène. Film réputé pour sa production difficile et chaotique, One-Eyed Jacks n'en demeure pas moins aujourd'hui un classique du western, annonçant de quelques années le courant révisionniste porté par le Nouvel Hollywood. Disponible en Édition prestige limitée et DVD depuis le 11 juillet en version restaurée.

Trois truands américains braquent une banque dans un village mexicain avant d'être pourchassés par la police locale. Le premier est abattu, tandis que les deux autres, Rio (Marlon Brandon) et Dad Longworth (Karl Malden), parviennent à s'enfuir avec deux sacs remplis d'or. Acculés par les fédéraux mexicains au sommet d'une colline, Longworth, parti chercher de l'aide, abandonne son camarade et s'échappe avec le magot. Cerné de toutes parts, Rio est arrêté. Cinq plus tard, Rio s'évade de prison et n'a qu'une seule idée en tête : se venger de son ancien acolyte. Dans un bar mexicain, Rio fait la connaissance du braqueur de banque Bob Amory (Ben Johnson). Il lui apprend que Dad est désormais shérif à Monterey...
  

Dernier film produit par la Paramount en VistaVision, procédé lancé par le studio en 1954 [2], La Vengeance aux deux visages passa entre les mains de plusieurs scénaristes, avant que Guy Troper et Marlon Brando n'en finalisent la dernière version. Auteurs de précédents scénarios, Sam Peckinpah et Calder Willingham furent ainsi remerciés par Brando, ce dernier appréciant peu le portrait âpre de Rio / Billy the Kid brossé par celui qui réalisa, plus de dix ans plus tard, sa propre vision crépusculaire du mythe dans Pat Garrett & Billy the Kid (1973).

Animé par la trinité Traitrise, Vengeance, Rédemption, One-Eyed Jacks se distingue en premier lieu par son ton introspectif imprégné de masochisme et de tragédie œdipienne. Trahi, fouetté, mutilé par Dad, Rio tombe, bien malgré lui, amoureux de la belle-fille son ex-partenaire, Louisa (Pina Pellicer). A mesure que le récit se dévoile, Marlon Brando s'écarte des codes du genre et livre ici un western atypique, loin de la confrontation virile attendue. Marquée par le perfectionnisme de son metteur en scène, La vengeance aux deux visages associe ainsi autant son goût prononcé pour l'improvisation des acteurs, que sa passion pour la nature et les paysages. Photographié par Charles Land, lauréat de l'Oscar [3] en 1932 pour L'adieu au drapeau, le désert mexicain, qui ouvre l'histoire, et la côte pacifique, où se situe l'action principale du récit, se trouvent dès lors sublimés.


Du montage initial de cinq heures livré par Marlon Brando, le film fut remonté et écourté [4], sans surprise, par la Paramount. Coupable aux yeux du studio des nombreux retards de production et du dépassement du budget, Brando renia le film à sa sortie, une expérience douloureuse expliquant sans aucun doute son refus de mettre en scène un deuxième long métrage par la suite. Tombé dans le domaine public au mitan des années 80, La vengeance aux deux visages fut finalement restaurée en 2016 avec le soutien de Martin Scorsese et de Steven Spielberg.

Un classique à (re)découvrir. 



One-Eyed Jacks (La vengeance aux deux visages) | 1961 | 142 min | 1.85 : 1 | Couleurs
Réalisation : Marlon Brando
Production : Frank P. Rosenberg
Scénario : Guy Trosper, Calder Willingham d'après le roman de Charles Neider
Avec : Marlon Brando, Karl Malden, Katy Jurado, Ben Johnson, Slim Pickens,
Musique : Hugo Friedhofer
Directeur de la photographie : Charles Lang
Montage : Archie Marshek
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[1] Liste non exhaustive des westerns étasuniens sortis cette même année : Les Deux Cavaliers de John Ford, New Mexico de Sam Peckinpah, Tonnerre apache de Joseph M. Newman et El Perdido de Robert Aldrich.

[2] Le procédé utilisait un défilement horizontal et fut utilisé pour Les dix commandements et plusieurs films réalisés par Alfred Hitchock dont La mort aux trousses et Sueurs froides.

[3] Charles Lang fut également nominé en 1961 pour l'Oscar de la meilleure photographie pour La vengeance aux deux visages.

[4] La fin d'origine fut changée, comme le laisse imaginer la fuite des deux amants après le duel final entre Rio et Dad, Louisa devait mourir, tuée dans le dos accidentellement par son beau-père.
 

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