Le Complexe de Frankenstein - Alexandre Poncet et Gilles Penso (2015)

Respectivement producteur et réalisateur du documentaire Ray Harryhausen : Le Titan des effets spéciaux (2012), Alexandre Poncet et Gilles Penso, anciens collaborateurs aux magazines Mad Movies et L'Écran fantastique, sont allés pour leur projet suivant, Le Complexe de Frankenstein, à la rencontre des artistes qui se cachent derrière les monstres qui marquèrent l'histoire du cinéma fantastique des quarante dernières années, ceux que les premiers intéressés nomment l'âge d'or des effets spéciaux, situé entre Star Wars (1977) et Jurassic Park (1994).

Des premiers entretiens de Phil Tippett et Steven Chiodo, datant de février à mars 2013 [1], à la dernière entrevue donnée en 2015 par Rick Baker, Le Complexe de Frankenstein offre ainsi à ses créateurs d'exception, et à quelques réalisateurs emblématiques tels Joe Dante, John Landis et Guillermo Del Toro, la parole et le soin de décrire leur métier, des premiers essais en costumes aux effets spéciaux de maquillage, de l'animatronique aux images de synthèse. En Blu-ray et DVD à partir du 27 septembre. 

Face à un sujet aussi vaste, les deux réalisateurs prennent le parti du didactisme. En guise de préambule, le documentaire introduit ainsi la place des monstres dans l'histoire de l'humanité, ces derniers incarnant dès leurs origines autant la représentation du Mal que le reflet des peurs primales de des premiers hommes, avant d'évoquer une autre naissance, celle provenant de l'imaginaire de ces créateurs, du dessin à la sculpture ou maquette. A travers plusieurs images de tournage inédites, dont celles de La mouche de David Cronenberg, Steve Abyss Johnson rappelle que le « maquillage spécial » date des années 70-80, dans le sillage du père des maquillages modernes, Dick The Exorcist Smith (il fut à l'époque le premier à utiliser par exemple des lentilles de contact), bien après les pionniers nommés Lon Chaney Sr (Le Fantôme de l'Opéra) et Jack Pierce (Frankenstein) qui furent les premiers à faire le pont entre la performance de l'acteur et l'art du maquilleur.

 

Retraçant les grandes étapes des effets spéciaux modernes, de l'invention de la Stop-motion dans les années 20 par Willis O'Brien et son chef d'œuvre King Kong en 1933, à l'essor de sa version actualisée, l'animatronique, dans les années 70 dans par exemple Les dents de la mer, le documentaire souligne l'apogée que connurent ces effets spéciaux au tournant de cette dernière décennie. Trois films marquèrent dès lors cette étape importante. Star Wars synthétisa les différentes techniques de l'époque (avec tous les futurs grands noms des effets spéciaux : de Phil Tippett à Dennis Muren en passant par Rick Baker). Les deux films suivants, Hurlements et Le Loup-garou de Londres, ouvrirent, quant à eux, une nouvelle ère avec le concept des « têtes changeantes » créés par Rick Baker, qui sera amélioré par son ancien assistant Rob Bottin [2] (qui avait signé les effets du long métrage de Joe Dante) dans le chef d'œuvre de John Carpenter The Thing (1982).

Dernière révolution technologique, les images de synthèses popularisées au début des années 80 par les films Tron (1982) et The Last Starfighter (1984) montrèrent véritablement leur potentiel avec Abyss (1988), pour la scène du tentacule (composé de 18 plans pour une durée de 72 secondes, il fallut un an pour la concevoir avec les moyens de l'époque), puis la réalisation suivante de James Cameron, Terminator 2 (1991), et son cyborg en métal liquide T-1000, qui à l'instar de Star Wars, mobilisa le meilleur de l'animatronique et des effets numériques. Témoin privilégié de cette révolution, Dennis Muren au sein d'Industrial Light & Magic (ILM) en fut l'un des grands artisans, l'utilisation des images de synthèses dans Jurassic Park sonnant bien malgré elles le glas, sinon la fin d'une période dorée, pour les maitres de la Stop-motion, tel Phil Tippett, devenant par voie de fait de ses propres mots une « espèce en voie d'extinction ». Ne pouvant rivaliser par exemple avec les mouvements de caméra inédits que pouvaient offrir les effets numériques, les studios d'effets spéciaux « traditionnels » durent dès lors évoluer, à l'instar des Tippett Studio qui se mirent à partir de 1994 aux images de synthèse. La révolution numérique était dès lors en marche, pour le meilleur, Starship Troopers, ou l'alliance complémentaire entre les deux techniques, et pour le pire, le remplacement pur et simple de l'animatronique par des effets spécieux numériques à moindre coût [3].

 

Sans être passéiste, le propos des deux réalisateurs n'en demeure pas moins en conclusion alarmant quant au devenir de ces artistes. De leur statut de quasi rock star dans les années 80 (Rick Baker et Rob Bottin), leur désormais statut de prestataire anonyme est également devenu synonyme d'un cruel manque de respect des grands studios qui les emploient, les délais de plus en plus serrés ajoutant à cette déconsidération paradoxale tant le fantastique reste encore aujourd'hui un des genres les plus lucratifs à Hollywood.

Un documentaire idéal, avec un luxueux casting, destiné au grand public qui voudrait connaitre un peu plus l'envers du décor. Et pour les initiés qui goûteraient moins à cette impression de déjà-vu [4], l'édition DVD et Blu-Ray, en plus d'un making of, regorge d'un nombre conséquent de suppléments. 





Crédit photos : LE COMPLEXE DE FRANKENSTEIN © 2015 FRENETIC ARTS. Tous droits réservés.


Le Complexe de Frankenstein | 2015 | 102 min | 1.78
Réalisation : Alexandre Poncet et Gilles Penso
Production : Frenetic Arts
Avec : Guillermo Del Toro, John Landis, Joe Dante, Kevin Smith, Rick Baker, Phil Tippett, Steve Johnson, Dennis Muren, Alex Gillis, Tom Woodruff Jr., Chris Walas, Matt Winston, Mike Elizade, Les Frères Chiodo
Musique : Alexandre Poncet
Mixage : Lionel Guenoun
Montage : Gilles Penso
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[1] Quand Alexandre Poncet présenta le documentaire consacré à Ray Harryhausen aux différents studios qui aidèrent le duo de producteur/réalisateur à mettre en œuvre leur hommage.

[2] Grands absents de ce documentaire, Rob Bottin a quitté le métier depuis quinze ans en gardant une certaine amertume (les raisons étant évoqués dans l'avant dernier paragraphe), quant au génial Tom Savini, ce dernier ne fut pas choisi par Poncet & Penso, ce dernier étant davantage reconnu pour ses effets gore que pour ses créations monstrueuses.

[3] Les effets en animatroniques de Tom Woodruff Jr. et Alec Gillis ont été remplacés en post-production, alors qu'ils avaient été filmés, par des effets numériques dans la préquelle de The Thing sorti en 2011.

[4] Par exemple aux chanceux qui connurent les fameuses fiches Maquillages et Effets spéciaux que publièrent Mad Movies au cours des années 80.

[5] Dont Dans l'antre de Rock Baker, Dans l'antre de Tom Woodruff Jr. et Alex Gillis, Vivre parmi les monstres : l'art de Kevin Yagher, Papier Monsters : l'art de Charlie Chiodo, Conversation avec Steve Johnson et John Vulich, Conversation avec Joe Dante et John Landis, etc.


1 commentaire:

  1. En évoquant Tom Savini et ses SPFX très gore, Alexandre Poncet et Gilles Penso ont voulu (il me semble) "ménager" leurs propres enfants afin que ces derniers puissent voir le documentaire de leur papa respectif... Mignon n'est-ce pas !

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