Insiang - Lino Brocka (1976)

Premier long métrage philippin sélectionné au Festival de Cannes lors de la Quinzaine des réalisateurs en 1978 [1], Insiang poursuit la peinture sans concession par Lino Brocka de la société philippine sous la dictature de Ferdinand Marcos. Nouvelle plongée dans les bas-fonds de Manille, ce réquisitoire à charge, envers la situation désastreuse qui existe dans les quartiers pauvres de la capitale, prend la forme d'un mélodrame familiale et de l'affrontement entre une mère tyrannique et sa fille. Présenté pour la première fois dans les salles dans sa version restaurée 4K en juin 2016, Insiang est désormais édité en Blu-ray et dans un coffret consacré à Lino Brocka incluant son chef d'œuvre Manille et un documentaire, Retour à Manille : le cinéma philippin, signé par Hubert Niogret.

Habitante d'un bidonville de Manille, Insiang (Hilda Koronel) vit avec sa mère, la tyrannique Tonya (Mona Lisa). Les deux femmes hébergent la famille du père, parti du domicile conjugal avec sa maîtresse. Dans un quartier livré au chômage et à l'alcoolisme, la jeune femme tente de subsister malgré les brimades et les humiliations de Tonya. Un jour, les accusant de vivre à ses crochets, sa mère chasse sa belle-famille de chez elle. Le lendemain, Tonya invite son jeune amant, Dado (Ruel Vernal), le caïd du quartier, à emménager chez elle...
  

Portrait d'une jeune femme en lutte pour sa survie au cœur d'un quartier défavorisé, Insiang décrit un monde régit par la violence physique et sociale. Lino Brocka marque les esprits par sa volonté de montrer la perte d'humanité de ces hommes et de ces femmes dans cet environnement surpeuplé et extrêmement pauvre. Filmé sans misérabilisme, tourné en seulement onze jours, le cinéaste livre un long métrage dont la forme s'inspire irrémédiablement de l'urgence du néoréalisme italien. A l'instar d'un Akira Kurosawa qui dans Chien enragé (1949) posait un regard critique sur la société japonaise d'après-guerre, le cinéaste pose sa caméra dans les quartiers insalubres de Manille. Sous le canevas mélodramatique traditionnel philippin, Insiang s'inscrit dès lors comme un brûlot sans concession, une tragique histoire de famille dont les protagonistes finiront brisés par ce bidonville abattoir des âmes (le film s'ouvre sur les images d'un véritable abattoir en guise d'avertissement).
   
Récit pessimiste où les espoirs d'émancipation de son héroïne se retrouvent confronter à la bassesse des hommes, de la lâcheté de son petit ami Bebot à l'ignominie de Dado, Insiang se caractérise par son amère conclusion. Tandis que le sort du jeune Júlio dans Manille se terminait tragiquement dans une allée de la capitale, Insiang n'a d'autres solutions pour survivre que de remettre en cause sa moralité afin de se venger, au risque de perdre le reste de son humanité. Sans surprise, cette histoire immorale révélatrice de la misère sociale des habitants des bidonvilles fut censurée par le pouvoir philippin.


Interprétée par la muse de Lino Brocka, la belle et émouvante Hilda Koronel, Insiang confortait en 1976 la position engagée du cinéaste, lui ouvrant deux ans plus tard les portes d'une reconnaissance mondiale méritée.

A découvrir désormais le 7 juin en Blu-Ray et DVD dans sa version restaurée 4K avec comme suppléments en plus de la présentation de Pierre Rissient, le documentaire Signé : Lino Brocka produit et réalisé par Christian Blackwood.


 
Crédit photos : © 1976 THE FILM FOUNDATION / THE FILM DEVELOPMENT COUNCIL OF THE PHILIPPINES. Tous droits réservés.


Insiang | 1976 | 95 min
Réalisation : Lino Brocka
Production : Miguel de Leon, Severino Manotok
Scénario : Mario O’Hara et Lamberto Antonio, d’après le roman de Mario O’Hara 
Avec : Hilda Koronel, Mona Lisa, Ruel Vernal, Rez Cortez, Marlon Ramirez
Musique : Max Jocson
Directeur de la photographie : Conrado Baltazar
Montage : Augusto Salvado
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[1] A l'instar d'A Touch of Zen, le film fut découvert et proposé au Festival grâce à Pierre Rissient.
 

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