L'année du Dragon - Michael Cimino (1985)

Dans le cadre de leur nouvelle collection des coffrets Ultra Collector [1], et après la version intégrale du précédent long métrage de Michael Cimino, La porte du Paradis, Carlotta poursuit son hommage au réalisateur new-yorkais avec la sortie en version restaurée de son quatrième film, L'année du dragon, le 9 mars 2016 [2]. Cinq ans après son controversé western révisionniste, le cinéaste retourne aux affaires, avec l'aide du producteur italien Dino De Laurentiis. Or loin d'être assagi, Cimino délivre, sous la forme d'un polar situé en plein cœur du Chinatown new-yorkais, une nouvelle « métaphore des États-Unis », ou le dernier volet, du propre aveu du réalisateur, d'une trilogie initiée sept ans plus tôt avec Voyage au bout de l'enfer [3].

Vétéran du Vietnam, le capitaine Stanley White (Mickey Rourke) est muté dans le quartier de Chinatown à New-York, suite à l'assassinat de Jackie Wong, représentant de la communauté chinoise, et feu à la tête d'une Triade secrète. Déterminé, revanchard et traumatisé par l'échec américain au Vietnam, l'officier de police part en guerre contre la corruption et le crime organisé, malgré les mises en garde de ses supérieurs hiérarchiques, dont son ami Louis Bukowski (Raymond J. Barry), qui nient l'existence d'une telle organisation au sein de Chinatown. Désormais parti en croisade, brisant la fragile trêve qui existait entre les Triades et les forces de l'ordre, et tandis que la guerre des gangs fait rage dans le quartier, Stanley White met tout en œuvre pour faire tomber Joey Tai (John Lone), le nouveau chef de la mafia chinoise.

Librement inspiré du livre éponyme de Robert Daley, le scénario écrit à quatre mains par Michael Cimino et Oliver Stone ne garde de la trame originelle que le lieu et le duo formé par un policier et une journaliste. Derrière ce canevas policier classique, L'année du Dragon est avant tout l'histoire d'une obsession, d'un héros au bord de la folie, à la recherche d'un idéal qu'il a vu disparaître dix ans plus tôt. A l'encontre des règles du système auquel il appartient, Stanley White est autant aveuglé par sa soif de justice, que témoin impuissant de l'effondrement de son rêve américain : "Je poursuis un truc qui n'existe pas". Fruit d'une longue recherche de la part de Cimino sur les lois sur l'immigration auxquelles les chinois furent la cible [4] et les méthodes de la police de New-York, le récit décrit un personnage principal en perdition à mesure qu'il s'enfonce dans les méandres de cette communauté chinoise qu'il méprise. Négligeant son mariage depuis, on l'imagine, de nombreuses années, Stanley White rencontre au cours de son enquête deux personnages dont il partage paradoxalement plusieurs similitudes en la personne de sa future maîtresse, Tracy Tzu (Ariane), journaliste pour la chaîne de télévision locale WKXT, et l'arriviste mafieux Joey Tai. Polonais d'origine, White, comme son nom l'indique, changea son patronyme pour faire plus américain (ce que ne manque pas de lui reprocher son ami et supérieur Bukowski), il n'est dès lors pas étonnant, en sus de l'attirance physique et du rôle qu'il souhaite lui faire jouer, que White soit attiré par cette jeune chinoise d'origine qui vit à l'écart de sa communauté. A l'opposé, Tai est autant le frère ennemi de White, qu'ils sont semblables et indissociables par leur radicalité.

 

Nourri par l'expérience personnelle de Stone, et avant qu'il ne réalise sa trilogie Vietnamienne, L'année du Dragon prolonge donc cette métaphore étasunienne chère à Cimino, fil conducteur de ses deux précédents longs métrages, en jouant toutefois cette fois-ci la carte de l'efficacité et de l'action, au risque d'être taxé, ce qu'il fut, de simplisme. Accusé de racisme à sa sortie aux USA, le film est bien plus complexe que pouvaient le laisser entendre les critiques étasuniennes de l'époque (et en dépit d'une dernière scène, avouons-le, totalement ratée, faisant tendre le film vers une apparentée happy-end des plus paradoxales et ridicules). Car si le racisme est au cœur du sujet, en premier lieu celui de White, le film ne l'est pas. Au contraire, Cimino fut davantage la cible d'un procès d'intention [5], payant encore sa critique du mythe fondateur américain de La porte (ce qui lui valut d'être taxé de communiste à l'époque), ou cette fois-ci la remise en cause d'un autre mythe US, celui du melting pot et de son échec, du moins de ses ambiguïtés.

Réalisé après plusieurs projets tombés à l'eau, dont Yellow Jersey sur le Tour de France, ou encore plus étrange la commande Footloose, L'année du Dragon permit également à Michael Cimino de revoir le scénariste Oliver Stone, après qu'ils se soient rencontrés lors de la pré-production de Midnight Express, puis plus tard sur le projet avorté, puis finalement reporté, Né un 4 juillet d'après la biographie de Ron Kovic [6]. Autre rencontre du passé, Mickey Rourke, l'ex-Motorcycle Boy de Coppola, alors en plein ascension depuis Rusty James, retrouve le metteur en scène après lors dernière collaboration sur La porte du paradis, où il jouait Nick Ray, l'un des amis de Nathan D. Champion (Christopher Walken). Incarnant cette fois-ci le premier rôle, Rourke entame avec ce film une de ses interprétations les plus marquantes, à l'instar de l'acteur de théâtre John Lone qui trouve enfin un véritable rôle sur grand écran [7], après son succès critique sur les planches (les pièces FOB et Dance and the Railroad lui valurent chacune un Obie Award, récompense attribuée à une pièce jouée Off-Broadway).

 

Entouré de techniciens de premier ordre, à l'instar du chef opérateur Alex Thomson (Excalibur de John Boorman), ou du compositeur David Mansfield, Michael Cimino peut également compter sur le chef décorateur Wolf Kroeger, dont la gageure fut de construire méticuleusement en studio (ceux de de la North Carolina Film Corporation à Wilmington), une version alternative de la rue principale de Chinatown, Mott Street, la reproduction devant à la fois copier l'irrégularité des trottoirs et l'inclinaison de la rue originale, tout en y ajoutant des particularités provenant de Hong-Kong, ou des quartiers chinois de Vancouver, San Francisco et Toronto.

Proposé pour la première fois en Haute Définition, L'année du Dragon dans sa version Collector se voit enrichi, en sus de la préface de Jean-Baptiste Thoret et d'un entretien audio du réalisateur, d'un livre, L'ordre et le chaos, regroupant le scénario, des analyses et entretiens avec Michael Cimino, Mickey Rourke et Robert Daley parus dans la presse française de l'époque, ainsi que les notes de production et 50 photos inédites.

 

Plongée fascinante et anxiogène dans le Chinatown new-yorkais, Michael Cimino réalise en 1985 le second grand film policier étasunien de cette année, aux côtés d'un autre cinéaste maudit, William Friedkin et son Police fédérale, Los Angeles (To Live and Die in LA).



Crédits photos : © 1985 ORION PICTURES CORPORATION. Tous droits réservés.


Year of the Dragon (L'année du Dragon) | 1985 | 134 min
Réalisation : Michael Cimino
Production : Dino de Laurentiis
Scénario : Michael Cimino & Oliver Stone d'après le livre de Robert Daley
Avec : Mickey Rourke, John Lone, Ariane, Leonard Termo
Musique : David Mansfield
Directeur de la photographie : Alex Thomson
Montage : Noëlle Boisson, Françoise Bonnot
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[1] Pour rappel, le premier coffret était consacré à Body Double de Brian De Palma, tandis que le prochain sera consacré Panique à Needle Park de Jerry Schatzberg (le 22 juin prochain).

[2] Carlotta profite de cette occasion pour sortir également son sixième long métrage, Desperate Hours (1990), remake de La maison des otages (1955), avec Mickey Rourke dans le rôle précédemment tenu par Humphrey Bogart dans le film de William Wyler.

[3] Cimino considère d'une certaine façon L'année du Dragon comme une suite potentielle de Voyage au bout de l'enfer, le personnage de Stanley White étant une variation de Michael Vronsky (Robert de Niro) dix ans après.

[4] Tandis qu'au XIXème siècle des milliers de chinois immigrèrent pour construire les chemins de fer reliant l'Est à l'Ouest, l'Exclusion Act interdisait aux hommes de faire venir leurs épouses, la seule issue : mourir anonymement ou repartir en Chine.

[5] Le film fut ainsi nominé au Razzie award en 1986 dans cinq catégories, dont celle du pire réalisateur et pire scénario !

[6] A noter que le film fut également proposé à William Friedkin, avant que Stone ne reprenne le projet plusieurs années plus tard avec le bankable Tom Cruise à la fin des années 80.

[7] Après son interprétation néandertalienne dans Iceman l'année précédente et avant celles dans Le dernier empereur de Bernardo Bertolucci et M. Butterfly de David Cronenberg.

4 commentaires:

  1. Revu récemment, énorme chef d'oeuvre !

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  2. On s'en rapproche, c'est certain !
    Par contre, je m'interroge quant à la dernière scène, inutile, imposée par De Laurentiis ?, qui va à l'inverse de l'ambiance générale et efface d'un revers de main les traumas du film (meurtres, viol).

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  3. Belle occasion de revoir ce film car étant trop jeune à l'époque pour bien saisir toute la substantifique moelle, en particulier la critique subtile de ce p... de mythe fondateur US. Belle occasion aussi de rappeler le fauve Mickey Rourke, à l'heure où l'on oscarise des Leonardo bien aseptisés :-P A noter aussi la reconstitution saisissante de Chinatown.

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    1. oui Rourke qui allait enquiller Angel Heart, 9 semaines et demi, Barfly... avant de sombrer rapidement (Ah ah ah L'orchidée sauvage)

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