Avenue B - Iggy Pop (1999)

S'il apparaît simpliste et facile d'écrire que cet iguane a la peau épaisse, force est de constater qu'au gré d'une discographie post-Stoogiennes [1] des plus inégales et dans son ensemble anecdotique à deux trois exceptions , l'animal James Osterberg, plus connu sous le pseudonyme Iggy Pop, aura néanmoins démontré au fil du temps une véritable propension à la conservation ; increvable, inoxydable, sont les premiers mots qui viennent à l'esprit, quitte à endosser à terme le costume alimentaire de l’auto-parodie ? Or sortie de sa double collaboration 70's avec Bowie, The Idiot / Lust For Life, l'homme aura pourtant enregistré dans le meilleur des cas une poignée d'albums attachants, à défaut de marquer durablement un paysage et un public rock des plus versatiles. Loser magnifiquement suicidaire dans le foutraque Zombie Birdhouse (1982) après l'anonyme Party, la plupart des disques d'Iggy Pop, à partir des années 80 jusqu'au début des années 2000, suivent en général la même loi d'action-réaction, où chaque nouvel opus répond au précédent de manière antagoniste.

Après le contractuel Naughty Little Doggie, qui pouvait véritablement guetter un sursaut de la part du chanteur, du moins un dernier soubresaut avant un oubli embarrassant ? Surprise, Avenue B est son disque le plus singulier, voire personnel. Disque automnale (à quelques jours près) et introspectif, Iggy Pop aura finalement attendu la cinquantaine et la fin du millénaire pour opérer une nouvelle mue complète, en marge de ses précédentes productions : celui du crooner. Toutefois le crime était-il prémédité ? En quelque sorte, mais n'allons pas trop vite.

Comme annoncé plus haut, l'iguane multiplia au cours de sa carrière solo les pirouettes : apôtre new wave (Soldier, New Values), chanteur pop calculateur (Blah Blah Blah) ou icône punk (Instinct), pour un succès somme tout relatif. Nouvelle décennie, nouvelle donne. En sus du carton de l'album Brick by Brick en 1990 et du matraque de la chanson Candy sur MTV, Iggy signe la même année ses véritables débuts sur grand écran en interprétant l'oncle de Johnny Depp dans la comédie musicale délirante de John Waters, sélectionnée pour le Festival de Cannes, Cry Baby, et en prêtant également sa voix à l'animateur radio Angry Bob dans le cyberpunk Hardware de Richard Stanley. Désormais un pied dans le cinéma [2], l'iguane participe à la bande originale trois années plus tard au film d'Emir Kusturica, Arizona Dream. Co-auteur avec le compositeur Goran Bregović de plusieurs chansons, le single In The Deathcar fait découvrir au grand public un registre vocal inédit. Certes, des traces subsistaient dans un passé plus ou moins lointain, à l'instar du décharné Platonic sur Zombie, mais jamais le bel organe de l'iguane n'avait connu un tel traitement. Loin d'être un simple égarement ou récréation, l'écoute de Social Life ou de Girls of N.Y. qui conclut le solide American Caesar sorti la même année confirme cette versatilité et cet appel vers plus de sobriété. Alors cette Avenue B si déstabilisante ? Plutôt le prolongement et l'affirmation d'une tendance qui mûrissait depuis quelques temps.

Produit par Don Was (Brick by Brick), le disque indique clairement l'ambition affichée de son auteur sans céder cependant (cette fois-ci) aux sirènes du consensuel. Sous couvert de respectabilité et de sagesse, Iggy n'aura ainsi jamais été aussi impudique, son exhibitionnisme corporel cédant la place à celui du cœur. Textes aux contours autobiographiques, le triptyque No Shit / Afraid to Get Close / She Called Me Daddy [3] devient le fil conducteur d'un album foncièrement cru, l'iguane apparaissant désireux de faire voler en éclat les faux semblants (à l'image du titre final Facade). Intimiste, souvent acoustique, Avenue B détonne sur la durée, quand il ne distille pas une poésie beat sous la baguette du trio jazz funky new-yorkais Medeski, Martin and Wood sur I Felt the Luxury ou un groove électriquement toxique sur Corruption. Seul bémol, la fameuse reprise de Johnny Kid, Shakin' All Over, apporte peu, tant en restant suffisamment convenable contrairement au sous-Santana Español.

Épilogue. Lors de sa sortie Avenue B ne convainquit pas grand monde, la critique française étant l'une des rares à saluer l'effort [4]. Nul n'est prophète en son pays dit l'adage. Soit. Dommage car il s'agit au final d'un bien bel album.


Titres
01. No Shit / 02. Nazi Girlfriend / 03. Avenue B / 04. Miss Argentina / 05. Afraid To Get Closer / 06. Shakin' All Over / 07. Long Distance / 08. Corruption / 09. She Called Me Daddy / 10. I Felt the Luxury / 11. Español / 12. Motorcycle / 13. Facade


 
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[1] En faisant donc abstraction poliment de The Weirdness (2007) et autre Ready to Die (2013)...

[2] Après quelques figurations erratiques dans Sid & Nancy et La couleur de l'argent de Scorsese.

[3] Titres dont la musique est tirée d'extraits qu'Iggy Pop a composé pour la bande originale du long métrage réalisé par Johnny Depp, The Brave (1997).

[4] Album du mois Rock&Folk, Manoeuvre déclarait à l'époque, dans son rôle de marchand du temple rock, à qui voulait l'entendre, qu'il s'agissait de son meilleur album post-Stoogien. Rien de moins.

3 commentaires:

  1. mais mais mais.... Party n'est pas une purge !

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    1. Oui et Tonight de David Bowie non plus. Bien sûr ! :-P

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  2. Tonight est une grosse merde! mais "Pumping for Jill", quand même...

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