Sacco et Vanzetti - Giuliano Montaldo (1971)

Ancien assistant de l'engagé Gillo Pontecorvo pour Kapò et La bataille d'Alger, le cinéaste et scénariste italien Giuliano Montaldo s'attela à mettre en scène pour son sixième long métrage un sujet controversé, en échos aux sinistres « années de plomb » que traversèrent la péninsule italienne à l'orée des années 70 : la controverse judiciaire qui vit condamner à mort pour meurtres et vol à mains armées, cinq décennies plus tôt, deux anarchistes italiens en raison de leurs convictions politiques. Incarnés par Riccardo Cucciolla, qui remporta le prix d'interprétation au Festival de Cannes en 1971, et par la figure du cinéma politique italien des années 70, Gian Maria Volontè [1]Sacco et Vanzetti retrace le destin tragique de ces deux hommes. A redécouvrir en salle ce mercredi en copie restaurée. 

Avril 1920, Massachusetts. Deux employés d'une manufacture de chaussures située à South Braintree perdent la vie suite à un braquage. La police trouve rapidement une piste du côté d'un réseau d'anarchistes italiens. Nicola Sacco (Riccardo Cucciolla) et Bartolomeo Vanzetti (Gian Maria Volontè), respectivement cordonnier et marchand de poissons ambulant, deviennent les principaux suspects de ce double meurtre. Soupçonnés sans aucune preuve de leur implication directe, les deux hommes assistent impuissants à leur procès. Il sont condamnés à la peine capitale. Or les nouvelles de preuves et les approximations des témoins découvertes par leurs avocats pourraient basculer leur prochain appel en leur faveur...

 

Drame pointant les dysfonctionnements flagrants et l'injustice dont furent victimes ces deux immigrés italiens (naturalisés américains en 1917), Giuliano Montaldo décrit minutieusement le climat hystérique et réactionnaire dans lequel baignaient les Etats-Unis de cette époque contre les nouveaux immigrants [2]. Trois décennies avant le maccarthysme, le pays était déjà en proie à une crise de paranoïa aiguë en vers quiconque remettait en cause le courant de pensée WASP. De ce procès, miroir des tensions sociétales et de la politique conservatrice et xénophobe de ces White Anglo-Saxon Protestants, la destinée de ces deux anarchistes était terminée, et ceci en dépit des nombreuses manifestations de soutien à travers le monde.

Entre flash-backs et documents d'archive (coupures de journaux, actualités d’époque), le cinéaste transalpin dénonce le manque d'équité et l'entreprise de diabolisation mise en oeuvre par le juge Thayer et le procureur Frederick Katzmann, sans omettre l'humanisme et l'empathie qui se dégagèrent autour de cette affaire. Quant à l'interprétation de ses deux acteurs principaux, celle-ci est sans faille et complémentaire à l'instar du duo qu'ils incarnent : Cucciolla y joue un Sacco résigné, tandis que Volonté est un Vanzetti combatif, réalisant la portée symbolique de son combat pour la liberté : " Jamais de la vie nous n'aurions pu espérer de faire autant en faveur de la tolérance, de la justice, de l'entente entre les hommes. Vous avez donné un sens à la vie de deux pauvres exploités". Les deux derniers discours de Vanzetti, avant sa condamnation à mort puis devant le gouverneur Fuller [3] sont à ce titre d'une cruelle modernité encore de nos jours [4].

 

Porté davantage par son sujet, que par la réalisation plutôt terne de Montaldo [5]Sacco et Vanzetti fut mis en musique, par une autre figure incontournable du cinéma transalpin, le compositeur Ennio Morricone, et en chanson par l'artiste folk Joan Baez, dont le succès planétaire de la chanson Here's to You, permit de faire connaitre aux nouvelles générations cette triste page d'histoire.

Nicola Sacco et Bartolomeo Vanzetti furent réhabilités, cinquante ans après leur exécution, par le gouverneur  démocrate du Massachusetts, Michael Dukakis. 

Crédits photographiques © 1971 UNIDIS. © 2004 UNIDIS JOLLY FILM Srl. Tous droits réservés.





Sacco e Vanzetti (Sacco et Vanzetti) | 1971 | 124 min
Réalisation : Giuliano Montaldo
Production : Arrigo Colombo & Giorgio Papi
Scénario : Giuliano Montaldo, Fabrizio Onofri, Mino Roli, Ottavio Jemma
Avec : Gian Maria Volontè, Riccardo Cucciolla, Cyril Cusack, Rosanna Fratello, Geoffrey Keen, Milo O'Shea
Musique : Ennio Morricone
Directeur de la photographie : Silvano Ippoliti
Montage : Nino Baragli
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[1] Le second film de Volonté sorti en 1971 étant La classe ouvrière va au paradis (1971) d'Elio PetriPalme d'or à Cannes l'année suivante.

[2] Le sujet du film évoque également le racisme d'état dont furent victimes les immigrants à la fin du XIXème siècle dans La porte du Paradis de Michael Cimino.

[3] " Cette société dans laquelle on nous oblige à vivre et que nous voulons détruire est entièrement bâtie sur la violence. Mendier un peu de pain pour survivre est violence. La misère, la faim que subissent des millions d'homme est violence. L'argent est violence. La guerre. La peur de mourir aussi que nous avons tous, chaque jour. C'est aussi de la violence. "

[4] "Et moi, je vous répète que la société dans laquelle vous nous enfermez et que nous voulons détruire, est entièrement bâtie sur la violence. Mendier du pain, c'est de la violence. La misère, la faim dans le monde, c'est de la violence. L'argent, c'est de la violence. Même la peur de mourir... qu'on a tous, chaque jour. Y réfléchir, c'est de la violence."

[5] C'est également le défaut de son film suivant, de nouveau avec Gian Maria Volontè et Ennio Morricone, un sujet fort, bien écrit, limité par une morne réalisation : Giordano Bruno (1973).

6 commentaires:

  1. Très belle référence, Doc. Ce cinéma engagé et lucide me manque...En tout cas, "Sacco et Vanzetti" est un film à voir absolument, ne serait-ce que pour le grand Gian Maria Volonté et la collaboration musicale entre le dieu Morricone et Joan Baez.

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    1. Merci. Oui un tel cinéma manque aujourd'hui, mais le public pour de tels films également il me semble :-(

      Par contre pour la participation à Baez, si Here's to You est un classique (il faudra attendre par contre le générique de fin), j'avoue avoir un peu fait la grimace à l'écoute de La Ballade de Sacco et Vanzetti, la voix de Baez étant loin d'être supportable par moment... Disons datée. Très. Trop.

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    2. oui c'est vrai, dr frankNfurter, la voix de Baez peut sembler très datée (en fait elle a... toujours eu, quelque chose d'un peu daté, et qu'elle-même cultivait) mais le film, lui, a comme une nouvelle jeunesse -dont il n'y a pas lieu de se réjouir. Celles et ceux qui allaient le voir après 1971 le prenaient pour une vieille histoire (bien racontée) de l'Amérique des années vingt, sur fond de racisme anti-Italiens et anti-anarchistes, lui-même daté : tout au plus étaient-ils vaguement conscients de ce que cette histoire est celle de l'éternelle réaction. Ensuite il y eut en 1977 la courageuse décision du gouverneur du Massachusetts Michal Dukakis, invalidant le verdict, qui laissait croire que la page était tournée. Mais... aujourd'hui -le monde étant ce qu'il est : le langage ici tenu par l'accusation "sonne" souvent, comme si c'était hier.

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    3. Ce qui est intéressant c'est de constater qu'à l'époque le Massachusetts était un des états les plus conservateurs, alors qu'il est devenu l'un des plus progressistes aujourd'hui. De même, le gouverneur qui fut à l'initiative de cette réhabilitation n'est autre que Dukakis. Or le candidat pour le parti démocrate lors de l'élection présidentielle en 1988 eut droit lui aussi à une campagne des plus nauséabondes de la part de ses adversaires, ses origines grecques n'étant pas du goût des WASP républicains. Comme vous soulignez "le langage ici tenu par l'accusation "sonne" souvent, comme si c'était hier."

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    4. oui, dr frankNfurter. Et je crois même me rappeler que ce fut à l'occasion de cette campagne présidentielle que l'adversaire républicain de Dukakis, qui n'était autre que George Bush père (sorte de clone manqué de son fils) donna durablement au mot "liberals", destiné à désigner les progressistes, le sens d'une insulte...

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