Dead of Night (Le mort-vivant) - Bob Clark (1974)

En attendant de sévir la décennie suivante avec la comédie familiale Christmas Story, les navrants Porky's (I & II) ou le musical Rhinestone et son duo improbable Dolly Parton / Sylvester Stallone en 1984 [1], le réalisateur Bob Clark se fit connaitre du public bisseux au début des années 70 en signant trois films d'horreur désormais réévalués : le culte Black Christmas [2] avec Margot Kidder, Children Shouldn't Play with Dead Things, et le second volet de cette trilogie : Dead of Night. Librement inspiré de la nouvelle The Monkey's Paw de William Wymark Jacobs, le long métrage s'éloigne pourtant du film d'épouvante basique pour se rapprocher de la dimension sociale d'un George Romero en centrant son sujet sur la famille et les traumas provoqués par la guerre du Vietnam. Ajoutons à cela qu'il s'agit, rien de moins, du premier film officiel où Tom Savini fut chargé des maquillages, et vous comprendrez aisément que ce Mort-vivant mérite un visionnage en bonne et due forme.

Guerre du Vietnam. Le soldat Andy Brooks (Richard Backus) est abattu au cours d'une mission dans la jungle. Peu de temps après, un officier de l'armée frappe à la porte de la demeure familiale, et informe les Brooks du décès du jeune homme. Si le père (John Marley) et la sœur (Anya Ormsby) accusent le coup, la mère (Lynn Carlin) refuse de croire à la mort de son fils chéri. Recluse, niant l'évidence du deuil, la mère de famille prie pour le retour d'Andy le soir même de la funeste nouvelle. Or son fils apparait en plein milieu de la nuit. Mais le comportement d'Andy soulève rapidement les interrogations du père : il ne mange pas, ne parle pas, et passe le plus clair de son temps dans son rocking-chair. Irritable, refusant de voir quiconque et submergé par des accès de violence non retenue, Andy s'absente mystérieusement la nuit venue. Les soupçons du père s'aggravent quand il apprend que la police enquête sur le meurtre d'un routier qui s'est produit le soir même du retour de son fils...


Écrit par Alan Ormsby, ami d'université de Clark qui collabora également au scénario de Children Shouldn't Play With Dead Things (et plus tard au remake de Cat people - La féline par Paul Schrader) et futur réalisateur / scénariste de Deranged, un des nombreux films inspirés du tueur en série Ed Gein, dit le boucher [3], Dead of Night débute par la chronique dépressive d'une famille de la classe moyenne étasunienne. Avec en toile de fond la morne existence des grandes banlieues et le traumatisme de la guerre du Vietnam, Ormsby introduit le caractère fantastique comme le révélateur du désagrégement de la famille. La morne désintégration de cette dernière était en marche depuis le départ d'Andy, à son retour, celle-ci s'accélère au rythme de la dégradation mentale et physique du fils « perdu » : le père boit, la mère est dans le déni, et la sœur cherche un passé disparu à jamais. 

Bien que le film n'ait pas vocation première à être un réquisitoire contre l'absurdité de la guerre, la sortie du film en plein Vietnam (un an avant les Accords de paix de Paris et trois avant la chute de Saïgon) en fait, toutefois, le témoin précieux de la fracture que connait la société américaine des 70's, en résonance à l'actualité et aux mouvements pacifistes de l'époque. La rencontre entre le postier, ancien combattant de la Seconde Guerre mondiale, et le jeune homme est à ce titre un bel exemple d'incompréhension entre les générations.

 

Comme énoncé plus haut, le fantastique devient le symptôme et la métaphore de la déshumanisation d'Andy Brooks. Dès lors, ne pas s'étonner qu'il faille finalement attendre les dix dernières minutes pour verser (enfin !) dans l'horreur pure. Clark et Ormsby, du fait en partie des maigres moyens de production mis à leur disposition, ont privilégié la tension aux effets gore, la dramaturgie du récit permettant aussi et surtout ce minimalisme. Fruit des prières maternelles et de l'enseignement militaire qui l'a fait devenir une machine à tuer, le jeune non-mort apparait vite comme un zombie fort peu orthodoxe, sa phase de « zombification » le faisant prendre qui plus est pleinement conscience de son état mortifère (lors d'une nuit d'errance, il gravera de ses mains une pierre tombale de son nom).

Film d'ambiance morbide, Dead of Night souffre néanmoins par moment de son budget limité ou du manque d'expérience de son metteur en scène : les éclairages ou la direction d'acteur laissent par exemple à désirer. Et la prestation de madame Ormsby ne restera également pas dans les annales. Les plus cinéphiles reconnaîtront par contre la présence du couple Lynn Carlin et John Marley [4] du Faces de Cassavetes, l'acteur étant connu du grand public pour avoir incarné le fameux producteur hollywoodien Jack Woltz dans Le parrain de Coppola.

Film rare à découvrir.



Dead of Night | Deathdream (Le mort-vivant) | 1974 | 88 min
Réalisation : Bob Clark
Scénario : Alan Ormsby
Avec : John Marley, Lynn Carlin, Richard Backus, Henderson Forsythe, Anya Ormsby
Musique : Carl Zittrer 
Directeur de la photographie : Jack McGowan 
Montage : Ronald Sinclair  ____________________________________________________________________________________________________

(1) Voir Sly chanter de la country n'a pas de prix. Un bouillon au box office qui prouve que le co-scénariste de ce film (et oui !) n'aura pas attendu le début des années 1990 pour verser dans la comédie ringarde.

(2) Black Christmas est considéré, quelques années avant Halloween de John Carpenter, comme un des premiers slashers modernes et le premier succès public de Clark.
 
(3) Les films les plus connus s'inspirant de la vie du sinistre Gein étant Psychose d'Alfred Hitchcock, Massacre à la tronçonneuse de Tobe Hooper et Maniac de William Lustig.

(4) Marley fut pour Faces lauréat du prix d’interprétation masculine à la Mostra de Venise.

2 commentaires:

  1. Excellente prescription Doc ! Pas de doute, Dead of night est une œuvre forte à découvrir d'urgence. Un très bel exemple de cette horreur sociale si chère aux 70's.

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    1. Merci !
      Film qui fut programmé à la Cinémathèque lors des soirées Bis le 11 Avril 2003 (soit il y a quasiment onze ans !), accompagné du culte White Zombie d'Halperin ;-)

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