Mes funérailles à Berlin (Funeral in Berlin) - Guy Hamilton (1966)

Personnage créé à l'origine sans nom par Len Deighton, puis prénommé pour le cinéma Harry Palmer, celui-ci fut présenté il y a cinq décennies comme la version antagoniste du héros de Ian Fleming. Moins fantaisiste que Fleming, et plus proche d'un Le Carré, Deighton a dépeint à travers ses quatre romans publiés dans les années 1960 (dont trois furent adaptés pour le grand écran durant la même décennie) un espion aux antipodes de son célèbre homologue. Pourtant Palmer n'en demeure pas moins, par divers aspects, liés au matricule 007. A l'époque où l'espionnage à caractère sexotique était dans l'air du temps, l'apparition sur papier de cet anti-héros, la même année que les exploits de James Bond contre Dr No dans les salles, passe difficilement pour être une simple coïncidence. Une vision plus réaliste du métier qui paradoxalement intéressera également le producteur de la franchise à double zéro, Harry Saltzman. Trois ans après la publication de The Ipcress FileMichael Caine incarne le rôle d'Harry Palmer sur grand écran. Le réalisateur Sidney J. Furie en signe l'adaptation, accompagné du monteur de la franchise et du compositeur John Barry. L'année suivante, Saltzman enchaîne avec Funeral in Berlin avec aux commandes, rien de moins, que le metteur en scène de Goldfinger, Guy Hamilton [1] !

Berlin dans les années 1960 après l'édification du Mur. L'agent secret Harry Palmer (Michael Caine) est chargé par son supérieur, le colonel Ross (Guy Doleman), de confirmer les renseignements "équivoques" fournis par son collègue berlinois Johnny Vulkan (Paul Hubschmid). Le colonel Stock, chef du contre-espionnage à Berlin-Est, et responsable d'empêcher les personnes de s'évader à l'Ouest, songerait justement à déserter et rejoindre le camp britannique. Envoyé sur les lieux, Palmer devra ainsi, le cas échéant, arranger son exfiltration. Méfiant, Palmer rencontre l'éventuel futur dissident dans la zone soviétique. Stock demande peu de choses en retour : une faible rente et une petite maison de campagne. Mais l'opération doit être mené par un professionnel : Otto Kreutzmann (Günter Meisner), l'homme qui a perpétré les évasions les plus spectaculaires et responsable selon Stock de ses "embêtements présents". Le soir de retour dans un club de la ville, Palmer est accosté par une dénommée Samantha Steel (Eva Renzi), qui l'invite chez elle, pour boire un verre...

 
 - J'adore les mauvaises herbes
- Oui c'est facile à entretenir

Figure contraire de l'écossais amateur d'action, de Dry Martini et de jeunes femmes à la cuisse légère, Harry Palmer n'a rien d'un espion glamour au service de sa Majesté. Affublé d'un accent cockney, doublé d'épaisses lunettes et d'un imperméable bon marché, cet ancien escroc devenu agent secret par la force des choses [2], évite autant les combats, qu'il se méfie des demoiselles trop entreprenantes. Doué d'une intelligence supérieure, cachée sous des airs débonnaires, Palmer n'est pas le fonctionnaire bureaucrate dilettante qu'il prétend être. Armé d'un féroce humour sarcastique, le personnage prend un plaisir certain à laisser les autres le sous-estimer.

Loin d'être une parodie, Mes funérailles à Berlin tend au contraire à dépeindre une réalité du Berlin-Est des années 1960. Véritable nid d'espions, la ville, devient le temple des faux semblants où personne n'est dupe du double, voire triple, jeu des protagonistes et forces en présence. Dans cette partie d'échecs, Harry Palmer est à la fois le cavalier et le fou, celui qui est en première ligne pour défendre les intérêts du camp occidental, tout en ayant parfaitement conscience de l'absurdité de la situation. Il suffit d'être le témoin de ses réparties cinglantes envers son entourage professionnel, et les maîtres espions qui gravitent autour de lui, pour constater son froid détachement. Parfait dans ce rôle d'espion "prolétaire", difficile de ne pas faire un lien entre les origines modestes de Michael Caine, de cet enfant originaire de Camberwell et Elephant & Castle [3], et Harry Palmer, agent secret marginal face à l'aristocratie du MI6.

 
 - Dommage que vous ne soyez pas chinois. On a déjà beaucoup de Russes chez nous.

Avec ses dialogues ciselés au cordeau et son ambiance de guerre froide (le film fut tourné en grande partie à Berlin), ce film de Guy Hamilton s'éloigne de l'espionnage fantaisiste auquel on pouvait le rattacher depuis Goldfinger. Moins simple et plus sombre qu'il n'y parait, l'histoire glisse lentement vers un récit complexe aux multiples jeu de miroirs où seront conviés en plus des services soviétiques, le Mossad et d'anciens officiers nazis. Tout juste peut regretter le préposé que ce glissement ne se fasse pas au profit d'un humour des plus noirs, en guise d'évolution à l'humour plus british des cinquante premières minutes.

Personnage récurrent, les aventures d'Harry Palmer connaîtront un troisième volet l'année suivante réalisé par un Ken Russell (Les diables, Tommy) débutant au grand écran, avec toujours Michael Caine [4], et accompagné cette fois-ci de Karl Malden dans Billion Dollar Brain, d'après un autre roman de Len Deighton.

Recommandé.





Funeral in Berlin (Mes funérailles à Berlin) | 1966 | 102 min
Réalisation : Guy Hamilton
Production : Harry Saltzman
Scénario : Evan Jones, d'après le roman de Len Deighton
Avec : Michael Caine, Paul Hubschmid, Oskar Homolka, Eva Renzi, Guy Doleman
Musique : Konrad Elfers
Directeur de la photographie : Otto Heller
Montage : John Bloom
____________________________________________________________________________________________________

[1Guy Hamilton, metteur en scène de l'estimable Goldfinger et des moins estimables : Les diamants sont éternels, Vivre et laisser mourir et L'homme au pistolet d'or.

[2] Après avoir été appréhendé pour marché noir, seul deux choix lui ont été proposés : la prison ou travailler pour Ross.

[3] Deux quartiers populaires du sud de Londres.

[4] En attendant les deux autres films deux décennies plus tard, Bullet to Beijing et Midnight in Saint Petersburg, respectivement en 1995 et 1996.

2 commentaires:

  1. Peter Falk en incarnant l'inspecteur Columbo s'est-il inspiré du personnage de cet agent secret à "l’imperméable bon marché et doué d'une intelligence supérieure, cachée sous des airs débonnaires" ? Qui sait... :-)

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Remarque pertinente ! Inspiré je ne sais pas, en sachant que la série a commencé en 1968, mais il est certain qu'il y a des points communs entre les deux personnages !

      Supprimer