Fedora - Billy Wilder (1978)

« Le sujet de ce film, ce n'est pas la mort, c'est le désir de finir sa vie en beauté : toute légende est faite pour se perpétuer » confiait le réalisateur Billy Wilder à propos de son avant-dernier long métrage Fedora. Entre deux comédies avec son compère Jack Lemon, et le retour du duo formé avec Walter Matthau [1], l'auteur de Sunset Boulevard revenait, vingt-huit ans après, aux sources du mythe hollywoodien, et concluait, entre nostalgie et irrévérence, sa déconstruction d'un cinéma désormais révolu. Prochainement dans les salles le 21 août, Carlotta nous propose en copie restaurée ce film méconnu du grand public et longtemps resté invisible au cinéma.

La grande star hollywoodienne Fedora (Marthe Keller), qui vivait depuis de nombreuses années non loin de Corfou, met mystérieusement fin à ses jours à la gare de Mortcerf en France, après s'être jetée sous un train. Le producteur Barry 'Dutch' Detweiler (William Holden), présent lors des funérailles à Paris, se remémore sa dernière rencontre et les raisons qui ont pu causer un tel drame. Deux semaines auparavant, il avait traversé l'Atlantique dans le but de lui confier le rôle titre de son adaptation d'Anna Karénine. Mais l'entreprise s’avéra des plus difficiles. Fedora vivait recluse dans la villa Calypso de de la comtesse Sobryanski (Hildegard Knef), accompagnée du docteur Vando (José Ferrer) et de son assistante Miss Balfour (Frances Sternhagen), depuis qu'elle avait abandonné le tournage d'un film à Londres avec l'acteur Michael York. Par un concours de circonstances, Dutch réussit à la croiser sur l'île. Or si le temps ne semblait pas avoir de prise sur la star, celle-ci apparaissait extrêmement perturbée et paranoïaque...


Coécrit avec I.A.L. Diamond, son scénariste attitré depuis Certains l'aiment chaud en 1959, d'après une histoire de Thomas Tryon, Fedora s'inscrit, comme énoncé précédemment, dans la continuité du chef d'œuvre de 1950 en suivant les pas d'une star déchue. A l'instar du personnage de Gloria Swanson, les deux héroïnes sont obsédées par la dualité de leur propre image : la peur de vieillir et l'aspiration vers l'éternité [2]. Basé également sur l'utilisation de flashbacks et cameos (Henry Fonda et Michael York), cet avant-dernier film de Billy Wilder se veut toutefois moins sombre que son aîné, une chronique douce-amère où le Nouvel et l'Ancien Hollywood deviennent la cible du semi-désabusé et semi-nostalgique septuagénaire. 

Déjà critique trois décennies auparavant, Wilder affûte son réquisitoire contre le star system hollywoodien en mettant en scène cette fois-ci une histoire de famille, au sens propre, dans le cadre privée d'une relation mère et fille, et au sens figuré, à travers les souvenirs d'un temps révolu où les stars s'appelaient Robert Taylor, Marlène Dietrich ou Greta Garbo. L'ombre de ces deux actrices planent tout le long du métrage, la première ayant été pressentie pour interpréter le rôle de la comtesse, tandis que la seconde, son statut d'actrice mythique, sa filmographie et sa retraite anticipée au début des années 40, évoque largement la destinée fictive de la dénommée Fedora.


Fedora est aussi l'occasion pour le réalisateur de renouer avec son passé en invitant l'acteur William Holden et le compositeur Miklós Rózsa d'Assurance sur la mort. Wilder retrouve ainsi pour la quatrième fois l'interprète principal de Sunset Boulevard [3], dont Barry Detweiler pourrait suggérer une variation vieillissante de Joe Gillis, les balles de Norma Desmond en moins. Ce personnage de producteur désargenté ayant toutes les difficultés à mettre en œuvre son projet « anachronique » n'est pas sans rappeler Wilder lui-même. Démarrée chez Universal dans un premier temps, avant d'être abandonnée, son entreprise de déconstruction sera finalement financée en Europe par une petite maison de production allemande Geria Films avec le soutien de la SFP française. De cette mésaventure, Wilder par le personnage d'Holden règle en quelque sorte ses comptes, du moins pointe du doigt [4] le jeunisme qui règne à Hollywood symbolisé par les succès des « gamins barbus » [5] dans les années 70.

Sans illusion envers les monstres sacrés d'Hollywood (doux et avenant en apparence mais froid et carnassier à l'intérieur), Billy Wilder tisse un conte cruel à l'humour pince sans rire, à la fois pertinent et agréable. Avec le désavantage d'avoir été tourné au crépuscule de sa carrière, Fedora garde, certes une élégance propre à son auteur, mais souffre malheureusement, n'en déplaise à ce dernier, d'une mise en scène datée. La présence de Faye Dunaway dans le rôle titre, tel que l'avait imaginé initialement Wilder, aurait sans aucun doute pimenté un récit un peu trop classique.

Un beau film de vieux.

A (re)découvrir.





Crédits Photos : © BAVARIA MEDIA GmbH / GERRY FISHER. Tous droits réservés.


Fedora | 1978 | 114 min
Réalisation : Billy Wilder
Production : Billy Wilder
Scénario : Billy Wilder et I.A.L Diamond, d'après la nouvelle de Thomas Tryon
Avec : William Holden, Marthe Keller, José Ferrer, Frances Sternhagen, Hildegard Knef, Mario Adorf, Henry Fonda, Michael York, Stephen Collins
Musique : Miklós Rózsa
Directeur de la photographie : Gerry Fisher
Montage : Fredric Steinkamp
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[1] Le duo Lemon/Matthau chez Billy Wilder ayant été constitué une première fois en 1966 dans The Fortune Cookie (La grande combine), en 1974 dans The Front Page (Spéciale première) et enfin en 1981 dans le remake étasunien de L'emmerdeur de Francis Veber intitulé Buddy Buddy (Victor la gaffe).

[2] On pense inévitablement au Portrait de Dorian Gray d'Oscar Wilde.

[3] Holden aura joué pour Wilder dans deux autres films : Stalag 17 en 1953 et Sabrina l'année suivante.

[4] Avec en supplément un autre pic à l'égard du cinéma vérité ou « l'esthétique de la laideur » selon Barry Detweiler.

[5] De manière non moins savoureuse, quand on sait que de nos jours l'un des barbus, Steven Spielberg, met en cause, quarante ans après son aîné, les choix du Hollywood des années 2010's...

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