Le temps de mourir - André Farwagi (1970)

L'affaire est entendue. Le cinéma français et le film de genre ont rarement fait bon ménage. Entre le film d'auteur hérité de la Nouvelle Vague [1] et les productions populaires à gros budget, le constat est amer : le cinéma fantastique n'a pas eu le soutien financier et artistique qu'il méritait. Le made in France a ainsi toujours eu du mal à trouver sa place dans ce paysage hexagonal passablement cartésien. Et hormis les fruits de quelques franc-tireurs (Alain Jessua, George Franju, Jean Rollin, Jean-Pierre Mocky) et grands noms (Jean Cocteau, Jean Renoir) voulant se frotter de près ou de loin au surnaturel, rares auront été les cinéastes français à aborder frontalement le Fantastique. Et si l'idée première du RHCS n'est pas de chroniquer en particulier ces films français, force est de constater que la découverte du film d'André Farwagi, Le temps de mourir, vient enrichir de nouveau une liste de longs métrages [2] pour l'amateur de curiosité.

Une jeune femme (Anna Karina) à cheval fuit un danger. Échappant à une menace sans nom, sa course effrénée s'achève brutalement devant un curieux arbre pétrifié. La boîte circulaire qu'elle tenait précieusement dans sa main tombe alors au sol, et roule jusqu'à un homme qui dort dans la clairière d'une forêt voisine. Ce dernier, un dénommé Marco (Daniel Moosmann), travaille pour l'énigmatique et puissant Max Topfer (Bruno Cremer). Les deux hommes découvrent une bobine de film dans cette boîte apparue d'on ne sait où. Il s'agit du meurtre de Topfer, assassiné à l'arme à feu par un inconnu (Jean Rochefort). Frappée d'amnésie, la jeune femme est recueillie par l'homme d'affaire, tandis que les premiers éléments de l'enquête épaississent davantage l'origine de ce film : la référence de la bobine indique que la bande n'a jamais existé...


Premier long métrage du réalisateur, Le temps de mourir étonne et surprend par sa maîtrise. S'inscrivant dans une thématique riche, basée sur la danse macabre entre le destin et la mort, le récit propose, d'une certaine manière, une voie alternative au classique de Chris Marker, La jetée. Le personnage d'Anna Karina se remémore à mesure du récit les souvenirs d'avant la mort de Topfer, sans pouvoir toutefois influer sur le cours du destin funeste de son amant. Faux suspense guidé par un rythme lancinant et une fin inéluctable, la mise en scène du débutant André Farwagi fait également preuve d'une économie de moyens salutaire. Seule la présence d'un super ordinateur évoquant le HAL de 2001, l'Odyssée de l'espace de Kubrick sorti deux années auparavant « trahit » un aspect science-fictionnel sinon daté, tout du moins apportant finalement peu à cette histoire en ruban de Möbius.
Étrange, troublant sont ainsi les premiers adjectifs qui définissent au mieux cet OFNI. Réunissant à la fois le tragique au romantique, avec en toile de fond une stricte ligne fantastique, Le temps de mourir explore une voie peu commune du cinéma français. Des personnages principaux interprétés par le toujours impeccable et regretté Bruno Cremer, l'ambigu Jean Rochefort [3] et la charmante Anna Karina, additionnés à une photographie signée par le talentueux Willy Kurant [4], ce premier film semblait annoncer un avenir prometteur à son auteur, comme le soulignaient les critiques de l'époque. Et si la filmographie de Farwagi contredit malheureusement ce potentiel [5], Le temps de mourir reste, quatre décennies après, un réussi et inquiétant essai cinématographique de fatalisme fantastique.

A (re)découvrir.


En bonus : Quelques gifs du film sur notre tumblr.




Le temps de mourir | 1970 | 80 min
Réalisation : André Farwagi
Scénario : André Farwagi, d'après une idée originale d'Alain Morineau
Avec : Anna Karina, Bruno Cremer, Jean Rochefort, Billy Kearns, Daniel Moosmann, Jacques Debary
Musique : Karel Trow
Directeur de la photographie : Willy Kurant
Montage : Claudine Merlin
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[1] Alors que les auteurs de la Nouvelle Vague étaient plutôt réceptifs au genre, Truffaut et Godard ayant réalisé deux classiques de l'anticipation : l’adaptation de Fahrenheit 451 de Ray Bradbury en 1966 et Alphaville en 1965.

[2] A l'instar de Malevil, Alice ou la dernière fugue, Traitement de choc, ou encore le méconnu Morgane et ses nymphes.

[3] Lors d'une récente interview, Rochefort rappelait combien sa moustache avait le précieux avantage de gommer un aspect louche voire malsain que son visage glabre pouvait évoquer. 

[4] La Cinémathèque française lui a rendu un hommage à travers une rétrospective éclectique du 2 mai au 3 juin dernier. 

[5] Il aura ainsi fallu attendre pas moins de huit années pour voir apparaître sur les écrans son second film, une production allemande avec Nastassja Kinski,  Deux heures de colle... pour un baiser (Leidenschaftliche Blümchen). Un complot ou une vengeance ourdie par une certaine famille du cinéma français ouvertement hostile au Fantastique ? Hum...

3 commentaires:

  1. J'ai vu ce film à la télévision à l'âge de 8 ou 9 ans, j'en garde un souvenir très fort. Je viens de retrouver ce film grâce à votre article. Merci.

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    1. Bonjour Franck,
      Oui j'imagine le choc de découvrir ce film à 8-9 ans.
      Merci pour l'information également, j'ignorais qu'il était déjà passé à la télévision :-)

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    2. Bonjour, est-il disponible sous une forme ou une autre ?

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