L'ultimatum des trois mercenaires - Robert Aldrich (1977)

Tiré des paroles de l'hymne américain et de ses « dernières lueurs du crépuscule », Twilight's Last Gleaming [1] s'inscrit de prime abord dans un genre sinon propre, tout du moins lié aux années 70 (Les trois jours du Condor, Conversation secrète), celui de la remise en cause de la sacralisation du pouvoir exécutif étasunien, après les scandales du Watergate et les révélations des Pentagon Papers par Daniel Ellsberg [2]. Librement adapté du roman de Walter Wager, Vipère 3, connu également pour ses romans Telephon et 58 minutes qui furent adaptés en 1977 par Don Siegel (Un espion de Trop) et base de la deuxième séquelle des aventures de John McClane par Renny Harlin en 1990, L'ultimatum des trois mercenaires aura longtemps traîné derrière lui une réputation d'œuvre polémique. Avec comme toile de fond l'intervention au Vietnam, que Lancaster contesta publiquement, cette quatrième et dernière collaboration avec le cinéaste Robert Aldrich ne tarda pas à être taxé, par certains conservateurs, comme étant le « produit idéologique » de son acteur principal. Accueilli fraîchement lors de sa sortie aux États-Unis, le film fut rapidement amputé d'une heure, gommant pour l'occasion la part controversée de politique-fiction du récit, pour se recentrer sur les seules scènes d'action [3]. C'est avec une nouvelle restauration en numérique que Carlotta nous propose en salles, le 1er mai prochain, la version intégrale d'origine et inédite en France de ce thriller d'anticipation « anti-hollywoodien ». 

Dimanche 16 novembre 1981, mené par un ancien général de l'US Air Force condamné pour meurtre, Lawrence Dell (Burt Lancaster), quatre évadés de prison s'infiltrent dans une base militaire du Montana, afin de prendre le contrôle de neuf missiles nucléaires. Déterminé à faire éclater la vérité sur les véritables raisons de l'intervention étasunienne en Asie du Sud-Est, Dell aidé de Garvas (Burt Young), Powell (Paul Winfield) et Hoxey (William Smith [4]), s'introduit avec succès dans le silo 3. Il contacte l'état-major en imposant ses conditions : de l'argent pour ses compagnons ainsi qu’une extradition à bord d’Air Force One, et la révélation télévisuelle par le président David Stevens (Charles Durning) du document confidentiel 9759 portant sur la guerre du Vietnam. En cas de refus, Dell promet d'envoyer les neuf missiles Titan vers l'Union Soviétique.

 

Sorti deux années après la chute de Saïgon, et en attendant d'autres longs métrages à charge (la trilogie d'Oliver Stone et son séminal Platoon au hasard), ce récit d'anticipation prend le contre pied de la vision patriotique, pour offrir aux spectateurs un examen de conscience de l'Amérique, avec en guise de révélateur un antihéros contestataire joué par Burt Lancaster [5], symbole du traumatisme des vétérans du Vietnam. A la mise en œuvre, l'aguerri Aldrich imbrique de manière judicieuse thriller politique, teinté de scandales présidentiels, et film d'espionnage, sous la menace d'un apocalypse nucléaire. Filmé en temps réel avec découpage des plans en split screen, le réalisateur d'En quatrième vitesse use avec suffisamment de virtuosité et de modernité [6] cette technique lors des scènes de tractation ou d'attente, pour en faire un véritable instrument narratif au service d'un climat anxiogène (les scènes d'action étant au contraire celles accusant un sérieux coup de mou plus de trois décennies après). Source d'inspiration pour jeunes cinéastes (on pense inévitablement à Stephen Hopkins et 24 heures chrono), Aldrich adresse un huis-clos efficace, ou plutôt trois huis-clos, la majeure partie de l'action se déroulant : dans la base secrète, la base de contrôle de l'état-major et le bureau ovale de la Maison-Blanche.

Enrichi d'un casting prestigieux : Richard Widmark, Melvyn Douglas ou Joseph Cotten dans le rôle du secrétaire d'État, L'ultimatum des trois mercenaires est à l'image de son cinéaste : critique vis à vis des rouages politiques, avec en point de mire les vieux conseillers du président adeptes de la plus froide realpolitik. Enfin, l'apparente analogie entre l'humaniste président Stevens incarné par Charles Durning, avec le président Jimmy Carter, entré en fonction quelques mois plus tôt, apporte un éclairage prémonitoire.

 

Coproduit par le studio allemand Bavaria et tourné en grande partie non loin de Munich, le métrage s'illustre enfin par le soin apporté par ses décorateurs : de la base militaire située au Montana, en passant par le bureau ovale. Film méconnu décrivant un monde au bord de l'implosion, Twilight's Last Gleaming, en acceptant son postulat de départ, soit la crédibilité de la prise de contrôle de la base secrète par quatre hommes, mérite d'être redécouvert comme un essai réussi de politique-fiction.





L'ultimatum des trois mercenaires (Twilight's Last Gleaming) | 1977 | 144 min
Réalisation : Robert Aldrich
Producteur : Merv Adelson
Scénario : Ronald M. Cohen, Edward Huebsch d'après le roman "Vipère 3" de Walter Wager
Avec : Burt Lancaster, Joseph Cotten, Melvyn Douglas, Charles Durning, Richard Widmark, Burt Young
Musique : Jerry Goldsmith
Directeur de la photographie : Robert B. Hauser
Montage : Michael Luciano, William Martin, Maury Winetrobe
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[1] Traduit par un maladroit L'ultimatum des trois mercenaires... car de soldats de fortune, il n'en est nullement question.

[2] Un téléfilm retraçant l'histoire de ses « papiers » réalisé par le vétéran Rob Holcomb avec James Spader dans le rôle d'Ellsberg et avec Claire Forlani et Paul Giamatti a été produit en 2003.

[3] Alors que justement l'originalité et la réussite du film provient des scènes de politique-fiction.

[4] LE William Smith de L'invasion des femmes-abeilles.

[5] Et en attendant son rôle l'année suivante dans Le merdier (Go Tell the Spartans) de Ted Post, film de guerre narrant les débuts de la guerre du Vietnam.

[6] L'utilisation des écrans multiples ayant perdu son pouvoir d'attraction pour devenir finalement une technique éculée en 1977 sauf quand celle-ci

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