La servante (Hanyo) - Kim Ki-young (1960)

Restaurée par le Korean Film Archive et avec le soutien de la World Cinema Foundation de Martin Scorsese, Carlotta propose le mercredi 15 août la ressortie en numérique de La servante de Kim Ki-Young. Connu seulement en Occident par une frange d'initiés, Hanyo fut rangé originellement dans la case film de genre. Considéré désormais comme l'un des véritables classiques du cinéma d'auteur sud-coréen, ce long métrage réalisé en 1960 est à l'image de son auteur : indépendant, inédit, provocateur, en un mot un film choc, fondateur et influent, pour la génération des Park Chan-wook (Old BoyLady Vengeance) ou Bong Joon-ho (The Host).

Dong-sik, un père de famille, est professeur de musique [1] dans une usine pour femmes. Lui et sa famille emménagent dans une grande maison neuve. Afin de soulager son épouse, celle-ci travaillant à la machine à coudre pour subvenir aux nouveaux besoins familiaux, ce dernier engage une servante sur les recommandations d'une ouvrière à qui il donne des cours particuliers. La jeune femme simplette révèle rapidement un comportement ambigu. Elle espionne le père, avant de le séduire et d'entamer une relation adultère avec lui. Tombée enceinte, la servante n'est pas décidée à partager son amant avec quiconque...


Inspiré d'un fait divers, celui du meurtre d'un garçon de cinq ans par une servante jalouse de son patron, ce thriller domestique regroupe divers thèmes mettant à mal la bienveillante morale petite-bourgeoise, jusqu'à sa destruction par l'introduction dans le cercle familial d'une femme prédatrice, prenant les traits d'une servante perverse. Du suicide à l'adultère, du chantage au meurtre, la famille bourgeoise est littéralement saccagée par Ki-young, ce dernier usant d'un humour noir féroce et dévastateur. La cruauté jubilatoire du réalisateur n'épargne personne, pas même les enfants. Un seul dénouement n'est possible pour ces reflets de la pensée conformiste parentale : l'humiliation ou la mort. Ki-young organise ainsi devant l'objectif acéré de sa caméra une entreprise de démolition, où la jalousie sexuelle et sociale des personnages fait voler en éclat toutes les apparences de la (bonne) société coréenne de l'époque.

Délaissant le cinéma réaliste en vogue à cette période en Corée du sud, La servante opère une rupture dans la forme chez le cinéaste. Composé de plans aiguisés et de mouvements de caméra virtuose, ces effets permettent au réalisateur d'observer sadiquement l'intrusion de ce corps extérieur et ses conséquences [2] néfastes dans ce petit monde fermé bourgeois. Jeu de massacre corrosif où le désir des femmes pour cet homme lâche éveille les instincts les plus violents et (auto-)destructeurs, La servante n'a rien perdu de sa force et de son modernisme cinquante après.

La servante et la mise en garde finale du personnage principal devant la tentation : 
« Et vous qui faites "non" de la tête. Vous êtes pareils ! » 

Kim Ki-Young réalisera deux relectures de son film,  La femme de feu (1972) et La femme de feu, 82 (1982), chacune ancrée dans une décennie successive et témoin des évolutions de la société coréenne, à l'image du film originel, à l'orée du coup d'Etat du général Park Chung-Hee, conséquence de la crise économique et sociale dans laquelle était plongée le pays.

Un vrai classique à (re)découvrir.

   



La servante (Hanyo) | 1960 | 110 min
Réalisation : Kim Ki-young
Scénario : Kim Ki-young
Avec : Lee Eun-shim, Kim Jin-kyu, Ju Jeung-nyeo, Eon Aeng-ran
Musique : Han Sang-gi
Directeur de la photographie : Kim Deok-jin
Montage : Oh Young-geun
____________________________________________________________________________________________________

[1] Oui, un enseignant de musique dans une usine, ça peut surprendre.

[2] Tel ces autres longs métrages critiques de la bourgeoisie : le grivois 
Boudu sauvé des eaux (1932) de Jean Renoir ou le mystique Théorème (1968) de Pier Paolo Pasolini.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire