Arrête de ramer, t'attaques la falaise ! - Michel Caputo (1979)

Faut-il être né à Rouen comme Pierre Corneille pour subir un tel outrage à la vision de la première comédie du pornocrate Michel Caputo Qu'il est joli garçon l'assassin de papa [1], ou la libre adaptation du Cid par le cinéaste du non moins fameux (?!) Embrochez-moi par les deux trous et par le producteur de La chatte sur un doigt brûlant [2] ? Réputez comme étant l'un des pires films que la comédie franchouillarde ait pu produire ces quarante dernières années, Arrête de ramer, t'attaques la falaise ! [3], le long de ses 70 minutes, demeure, aujourd'hui encore, une agression perpétuelle pour la santé mentale de ses victimes consentantes. Un film dont le pouvoir de nuisance pourra évoquer par moment aux plus résistants les meilleures pages cinématographiques d'un Philippe Clair, mais n'allons pas trop vite... 

12 juillet 1083, l'Espagne est envahie par les Maures. La situation est grave. Le roi de Castille commence à maigrir. Ça lui fait des oreilles immenses sous sa casquette. On dirait des ailerons. Bref il a la trouille. Il s'est retranché dans son palais avec Rodrigue, le Cid, le héros, pour attendre les hordes de Moctadir. 
Pendant ce temps là, l'infante d'Espagne, qui a une araignée au plafond et de la surchauffe dans la crinoline tellement elle est amoureuse du Cid, se consacre à son sport favori qui consiste à réciter des vers dans le supermarché voisin...

 
 La folie douce par Dominique Erlanger

Un texte introductif décalé, narré d'une voix goguenard, juste après un générique porté par une musique des plus nocives [4] et animé par l'amicale des marionnettes en chiffon, Caputo aura donc su faire illusion le temps d'admirer une infante d'Espagne d'opérette déambulant, elle et son cadis, dans le rayon des produits frais, la main gauche dans un camembert pasteurisé et les vers de Corneille en guise de récital. User des plus beaux effets pour appâter le chaland venu réclamer sa pitance déviante, le préposé n'en attendait pas moins de la part d'un des plus prolixes réalisateurs de films porno de la fin des 70's. Corriger à grands coups de triques anachroniques le classique de Corneille pouvait partir d'une louable et savoureuse intention, encore fallait-il s'offrir les moyens d'un tel détournement et tenir la distance en gardant une vigueur satisfaisante.

Chimène (Bernadette Lafont) et Rodrigue (Patrick Messe: « Mariés, pas mariés, du moment qu'on baise... »

A défaut de comique délirant ou de satire burlesque, Caputo offre aux plus valeureux un menu plutôt roboratif (mais gare à l'indigestion). Car notre néo-champion de la gaudriole offre un joli numéro de portnawak qui pourrait bien en laisser quelques-uns sur le bas côté devant tant de vulgarité molle et de fausse grandiloquence. Une direction d'acteurs proche du néant et une mise en scène brouillonne guidée par des acteurs en roue libre laisse à penser, rapidement, que notre homme dirige mieux son petit monde, dès qu'il porte les noms de Michel Baudricourt ou Michel Anthony [5].

Don Gomez (Daniel Gélin) : « Arrête les frais ou j'vais te casser la gueule, que j'tenfonce ma barrette dans le cul ! »
Don Diègue (François Maistre: « Ta barrette... Je la mets sur la pointe de mon noeud ! »

Les quelques déviants restants devraient-ils dès lors penser à quitter la dite barque ? Pas forcément si ceux-ci se gargarisent de numéros d'acteurs frôlant l'art délicat et subtil du passage inter-dimensionnel. La comédie avec de tels spécimens apporte en effet son lot de stupéfactions, un voyage vers l'absurde au-delà des limites et de la consternation, une expérience extra-sensorielle en quelque sorte pour trompe-la-mort nanar, en conclusion, un défi à la santé mentale du spectateur. Si la prestation en préambule de Dominique Erlanger annonçait la couleur, la suite avec Micha Bayard / Elvire en servante version nounou pour sales mioches fait monter d'un cran un Nanarotron qui n'en demandait pas tant, avant les performances et montée en puissance de la paire Gélin/Maistre, Bernard Haller en curé, et bien évidemment notre champion du monde des poids lourds (toutes catégories) : Michel Galabru en Colonel Don Fernand... laissant aux oubliettes nos deux fades « jeunes premiers » dans l'ombre des maîtres précités.

 Le Bernard Haller show

Michel Caputo livre donc un exemple parfait du film foutraque : les comédiens improvisent, en font volontairement des tonnes (et dès qu'ils récitent Corneille...), et cachent difficilement leurs fous rire durant les prises. Produit par Jean-François Davy, autre pornocrate célèbre et responsable d'une autre comédie restée dans la postérité déviante (Ça va faire mal !), Arrête de ramer, t'attaques la falaise ! par sa salvatrice absence de retenue tend également à évoquer les premiers méfaits de Philippe Clair (Le führer en folie, La grande maffia), soit un tourbillon où la cohérence n'a plus sa place. Pour l'anecdote, le même Clair réalisera aussi sa version du Cid l'année suivante sous le titre : Rodriguez au pays des merguez. CQFD.

Verdict du Nanarotron :


Le Bernard Haller show live


Arrête de ramer, t'attaques la falaise ! (Qu'il est joli garçon l'assassin de papa) | 1979 | 71 min
Réalisation : Michel Caputo
Scénario : Pierre Corneille et Michel Caputo
Avec : Bernadette Lafont, Patrick Messe, Michel Galabru, François Maistre, Daniel Gélin, Bernard Haller, Micha Bayard
Musique : Daniel Longuein
Directeur de la photographie : Dominique Brabant (assisté d'Alain Brevard)
Montage : Renée Richard (assistée de Guy Lecorne)
Producteur délégué : Jean-François Davy
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[1] Rapidement renommé Arrête de ramer, t'attaques la falaise dans le but de « profiter » du succès français (?) du film d'Ivan Reitman Arrête de ramer, t'es sur le sable ! (VO: Meatballs).

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2] Ou le préposé tente sans vergogne d’attraper quelques pornophiles de passage en citant deux films au hasard parmi la filmographie de Michel Caputo et Jean-François Davy.

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3] Les intégristes du Bescherelle et les disciples du regretté Maître Capello apprécieront (ou pas) la faute de conjugaison (Arrêtes...) apparaissant lors du générique.

[4] Composée par Daniel Longuein, à qui l'on doit à ses débuts quelques scores aux titres évocateurs (Doubles pénétrations, Tendres souvenirs (d'une bouche gourmande)) ; ce dernier étant aussi responsable de la musique du non moins fameux Ça va faire mal ! de Davy.

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5] Disons que le doute reste de mise.

7 commentaires:

  1. ah je vais ressortir mon dictionnaire des films français pornographiques et erotiques 16 & 35 mm (ptits engins ça pouf pouf) et chasser du caputo ou du baudricourt. bon je l'ai regardé aussi et j'ai du m'accrocher, je crois que pour ce genre de truc faut être plusieurs et partager bière et pizza ou sake et sushi ou pizza sushi pastis

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    1. N'empêche pour saisir la quintessence du film, le regarder en solo, c'est pas mal non plus... et quand tu écris une chronique dessus, tu te repasses des extraits du film plusieurs fois. Arf!

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  2. ouais finalement c'est comme un porno tu le regardes en solo, mano a mano

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    1. Autant le nanar, il m'arrive de le faire en solo, autant le second en mode vintage, c'est toujours en duo

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  3. Redoutable celui-ci, je ne crois pas que j'aurais eu le courage d'en revoir des morceaux (quoique le numéro des croissants...) pour écrire quelque chose sur la bête. Mais 70 minutes, j'aurais juré que c'était plus long.

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    1. Oui c'est drôle, on croirait que ça dure beaucoup plus de temps!
      Et sinon depuis le générique me trotte dans la tête... comme celui de Ça va faire mal! Il est fort ce bougre de Longuein! :-D

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    2. j'ai cru que toute mon apres-midi etait passée ... ça me rappelle mes cours d'analyse ciné, quand on a vu les Rapaces en version restaurée 239minutes de film naturaliste, muet en noir et blanc... enfin ça aide pour tenir devant ce genre d'absurdité

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