Vlad Tepes - Doru Nastase (1979)

Le cinéma utilisé à des fins de propagande, les régimes communistes eurent à loisir le temps d'expérimenter et de perfectionner cet art délicat de l'endoctrinement. A l'image du grand frère soviétique, la Roumanie ne faisait aucunement exception à la règle, et se devait elle aussi de promouvoir les grandes figures historiques : Etienne Le Grand, Alexandre 1er le Bon ou dans le cas qui nous intéresse l'inévitable Vlad Tepes. Tous occupaient ainsi une place de choix dans la politique (faussement) identitaire du Danube de la pensée, dit le génie des Carpates ou plus simplement le Conducator, bref le tristement célèbre Nicolae Ceausescu.

Commander des films historiques à la gloire du dirigeant communiste afin de promouvoir la fierté nationale roumaine, en voilà une bonne idée, qui plus est lorsque cette demande s'inscrit dans une période où le régime commence à connaitre diverses crises, en particulier économique. Les politiques d'austérité ayant de tout temps inspiré peu d'enthousiasme de la part du vil peuple, il convenait de rappeler à la plèbe individualiste le courage de ses dirigeants, et par voie de fait la légitimité du pouvoir de l'autoproclamé Conducator. Que penser dès lors du film Vlad Tepes de Doru Nastase ? Film historique à but propagandiste ? Pas seulement...

L'histoire est connue, tout du moins la libre adaptation qu'a pu en faire Bram Stoker et son célèbre Dracula. Du reste, faut-il être mormon et amateur de bluette fantastique pour croire une seule seconde que Vlad III, fils de Vlad Dracul, était le monstre sanguinaire originel des récits vampiriques, du roman gothique jusqu'à nos jours ? Car c'est là, l'un des points les plus appréciables du film de Nastase, décrire les six brèves années de règne [1] du voïvode roumain, mais également l'origine des horreurs fantasmatiques qui firent la sinistre et involontaire renommée de Vlad l’Empaleur à travers toute l'Europe et ceci dès le XVème.

Les films historiques n'ayant jamais été réputés pour leurs audaces formelle ou narrative [2], Vlad Tepes est scindé en deux parties distinctes, l'une consacrée à l'ascension de Vlad III en 1456, la seconde à l'affrontement et la résistance contre l'empire ottoman mené par le Conquérant Mehmet II. Une première heure où nous est donc décrit la prise de pouvoir du prince au dépend de Vladislav II, la mort de ce dernier permettant de rétablir sur le trône les Draculea, descendants de Vlad II chevalier de l'ordre du Dragon (Dracul). Un assassinat qui met en lumière l'un des traits de caractère de Vlad, véritable ligne de conduite inflexible (sinon psychorigide) de son futur règne où le moindre écart moral peut être puni de mort : lors de l'attaque Vladislav II fut en fait assassiné par un traître, un homme qui lui avait juré fidélité, dès lors ce "régicide" mérite la mort du fait de sa traîtrise selon le nouveau prince de Valachie. 


Le portrait du prince valaque en corrélation avec la droiture du personnage et sa stature d'icône nationale est par conséquent irréprochable : un homme dur mais juste. Un portait à mettre en parallèle avec les griefs qui lui vaudront de nombreuses représailles et par extension la perte de son trône en 1462. Vlad III comme nombre de monarques, par exemple en France Philippe-Auguste ou Louis XI à cette même époque, veut renforcer et centraliser le pouvoir et son autorité au détriment de la noblesse (certains boyards furent à l'origine de la mort de son père et d'autres comploteront en demandant l'aide des turcs) usant de tous les moyens de terreur, dont le célèbre supplice du pal.

Or pour avoir réprimé les marchands saxons de Transylvanie [3], ces derniers appréciant modérément l'augmentation des droits de douane et tenté de le renverser au profit du frère de Vladislav II, l'image du prince va considérablement se ternir en dehors de la Valachie grâce aux soutiens des boyards rebelles et du nouveau roi de Hongrie, Matthias Corvin. Une politique de désinformation efficace qui fera passer Vlad pour un sanguinaire empaleur fou... et un vampire

Sans pitié et craint par les nobles (le pouvoir dissuasif du pal n'étant plus à prouver), et au contraire soutenu par la population paysanne, le prince est confronté à la fois aux dangers de l'ennemi intérieur, mais également à ses puissants voisins, tiraillé entre la Hongrie dont la Valachie reste toujours le vassal (et ce malgré les réticences libertaires de Vlad), et l'ogre turc dont l'appétit va grandissant depuis la chute de Constantinople en 1453. Car Vlad III est principalement connu pour sa guerre menée contre les turcs et son désir d'indépendance vis à vis de l'empire ottoman, bien décidé à n'être ni un nouveau vassal, ni un allié passif, dernière position qui aurait la fâcheuse conséquence à faire passer son pays à "une île dans une mer ottomane" si les turcs envahissaient la Hongrie.

  
Vlad, Mehmet II... et quelques centaines d'empalés turcs au centre

Si le film de Doru Nastase, pour des raisons évidentes de moyens, est loin d'être aussi spectaculaire [4] que les films hollywoodien d'antan (Les Vikings de Richard Fleischer au hasard), il peut malgré tout s'appuyer sur la solide interprétation (quoique renfrognée) de Stefan Sileanu et une reconstitution des plus fidèles. En dépit des craintes énoncées en préambule, les motivations politiques en matière de récupération étant indiscutables, le film évite néanmoins les caricatures faciles (envers les turcs par exemple), et n'apparaît nullement comme une hagiographie simpliste du prince valaque. On s'amusera cela dit à faire quelques comparaisons audacieuses mais flagrantes connaissant le caractère propagandiste du régime roumain : Vlad/Ceausescu et la Hongrie/l'URSS [5]



Vlad Tepes | 1979 | 134 min
Réalisation : Doru Nastase
Scénario : Mircea Mohor
Avec : Stefan Sileanu, Alexandru Repan, Ferenc Fábián, Adrian Mihai, Emanoil Petrut
Musique : Tiberiu Olah
Directeur de la photographie : Aurel Kostrachievici
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[1] Dans les faits, il s'agit du deuxième règne du prince de Vlad III, celui-ci régnant également sur la Valachie quelques mois en 1448 et en 1476 avant sa mort.

[2] Au contraire Des diables du désormais regretté Ken Russell ou bien sûr les œuvres du grand Einsentein, qui lui devait composer avec un commanditaire nommé Joseph Staline...

[3] Il existe en effet depuis le XIIème une forte communauté germanophone en Transylvanie.

[4] Ajoutons que pour un film de la fin des années 70, la pellicule ressemble étrangement à un film des années 60.

[5] Aux yeux de l'occident, pendant très longtemps, Ceausescu est passé pour une sorte d'électron libre, un des rares dirigeants de l'Est a s'ouvrir à l'Ouest... à la différence que ses supposés désirs d'autonomie ne l'ont jamais poussé à suivre les traces d'un Tito. Le régime roumain était bien trop dépendant du grand frère soviétique.

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