Talk Radio - Oliver Stone (1988)

Situé entre Wall Street (1987) et Né un 4 Juillet (1989), Talk Radio d’Oliver Stone est loin d'être l’un de ses longs métrages les plus populaires et la raison en est des plus simples, il s’agit sans doute de son film le plus méconnu et sans conteste le plus insolite. Entre les années yuppies et les années (post-)Vietnam, ce Talk Radio apparaissait dès lors comme un OFNI. Mais l'intérêt suscité par sa sortie inédite en DVD par Carlotta Films pouvait désormais se nourrir paradoxalement de son ancienne confidentialité, car c’était mal connaitre le réalisateur de Salvador ou le scénariste de Scarface, et en dépit de l'accueil timide qu'il connut à sa sortie aux États-Unis, fin 1988 [1], Talk Radio provient bien du même moule : une satire crue et féroce du monde des médias.

A la nuit tombée, Barry Champlain (Eric Bogosian) anime l'émission de radio intitulée Night Talk, émission de libre antenne pour KGAB, radio locale située à Dallas. Une émission populaire ou plutôt un véritable déversoir de la frustration humaine et réceptacle de la haine ordinaire, dont le cynique animateur vedette n'est autre que le catalyseur. Barry y provoque ainsi chaque soir son auditoire de ses multiples saillies verbales au risque de voir s'accroitre les menaces antisémites dont il devient de plus en plus la cible. Or ce rendez-vous nocturne des paumés, racistes, junkies et pervers si affinités venus jouer les faire-valoir et autres bouffons pathétiques pour le maître des ondes, doit désormais être diffusé à l'échelle nationale. Venue à la demande expresse de son ex-mari pour fêter cette consécration, Ellen (Ellen Greene) devient bien malgré elle la témoin impuissante de la solitude et de la mégalomanie de Barry...

Adapté de la pièce de théâtre écrite par l'acteur Eric Bogosian et librement inspiré de la biographie Talked to Death sur la vie et le meurtre d'Alan Berg, animateur radio assassiné par un groupe d'extrême droite en 1984, Talk Radio s'inscrit comme une réflexion sur le pouvoir des médias et en particulier les dérives que peuvent engendrer la liberté de parole, quand celle-ci est utilisée à mauvaise escient, sacrifiée sur l'autel de la sacrosainte paire audimat/vedettariat.  


Premier défi pour Oliver Stone, mettre en scène un film centré sur un personnage qui ne fait qu'une seule chose : parler, parler et encore parler, car Barry Champlain monopolise autant l'attention du spectateur que de celle de l'auditeur : aussi honnête qu'excessif, aussi haïssable qu'autodestructeur. Mais si Stone se concentre au départ sur l'enfermement et la paranoïa grandissante du personnage, le réalisateur de JFK en guise de contrepoint, et pour marquer davantage ce point de non-retour, insère également des flashbacks (de manière plus ou moins convaincantes, ceux-ci ayant le désavantage de diluer et de ralentir le récit). Ou comment ce vendeur de vêtements [2], au départ vulnérable, est devenu l'animateur de radio plein d'assurance, d'aplomb et de provocation qu'il est devenu. Seconde difficulté, tourner dans un seul lieu, à savoir une station de radio et en particulier un studio en évitant le piège du théâtre filmé. On soulignera de ce fait la création de ce studio factice, laboratoire et lieu propice à la maestria des mouvements de caméra, quasiment aucune steadycam n'ayant été utilisée, aux techniques optiques ainsi qu'à la photographie de Robert Richardson [3].

Au-delà de la performance d'Eric Bogosian, qui lui valut un Ours d'Argent au festival de Berlin en 1989, les seconds rôles de Talk Radio ont autant une place importante : Ellen Greene, Alec Baldwin, John C. McGinley (le fameux dr Perry Cox de Scrubs), Michael Wincott (qui reprend son rôle de Kent qu'il interprétait déjà pour la pièce de théâtre de Bogosian) et bien évidemment les innombrables voix off qui donnent le change au monstre Champlain.

 

Talk Radio ou un film à petit budget légèrement inégal [4], tourné en cinq semaines [5], sans tête d'affiche pour un budget d'environ quatre millions de dollars qui tend à prouver que Stone n'est que meilleur quand il ne s'embourbe pas dans une mise en scène aussi lourdingue que ses sujets.  

Un film [6] à (re)découvrir.





Conversations nocturnes (Talk Radio) | 1988 | 110 min
Réalisation : Oliver Stone
Scénario : Eric Bogosian et Oliver Stone
Avec : Eric Bogosian, Ellen Greene, Leslie Hope, John C. McGinley, Alec Baldwin
Musique : Stewart Copeland
Directeur de la photographie : Robert Richardson
Montage : David Brenner et Joe Hutshing
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[1] Le film est sorti en avril 1989 en France sous le titre : Conversations nocturnes.

[2] Trait tiré de la biographie d'Alan Berg comme le signale Oliver Stone dans les bonus du DVD : Filmer la colère où il revient sur le tournage de son film avec de très intéressantes anecdotes et précisions.

[3] Directeur de la photo pour pratiquement tous les films de Stone mais aussi les récents Scorsese ou les derniers Tarantino.

[4] La forme provocatrice du personnage principal et de ses auditeurs prennent un peu trop le dessus sur un fond qui aurait mérité à gagner en épaisseur. Quant à la fin, si celle-ci n'était pas inspirée de celle d'Alan Berg, on serait en droit de la trouver péniblement lourde et prévisible.

[5] Pour la petite histoire, Talk Radio fut tourné pendant la préparation de Né un 4 juillet en attendant la disponibilité de Tom Cruise (celui-ci bien qu'ayant donné son accord à Oliver Stone, devait tourner en premier lieu le film de Barry Levinson, Rain Man).

[6] On ne s'étonnera pas non plus d'apprendre que les Revolting Cocks d'Al Jourgensen & co ont samplé Barry Champlain sur leur chanson culte Beers, Steers, and Queers.

3 commentaires:

  1. Fruit indiscutable de deux pans de la psyché entertaineuse de l'Amérique que sont le film deejayesque d'un côté et le biopic de sulfureux stand-upers de l'autre*. Ainsi le shaker se verra ici rempli principalement de Play Misty For Me et de Lenny mais ne fera pas oublier quelques autres titres qu'il rejoint ou préfigure (Fog, Fisher King, Man on the Moon, Franc-Parler, Parties Intimes, Pontypool...).
    Quoique brillamment mis en forme et solidement interprété, le titre demeurera, en plus qu'inégal (un tiers central flashbackeux assez faible), bien sûr moralement, éthiquement confus.
    Ainsi si le portrait d'un homme qui se noie dans son désenchantement, sa colère, sa misanthropie et son incapacité à vraiment communiquer semble fonctionner, les résonances sociétales dont Stone et Bogosian font par ailleurs un bruyant étalage (pour peu qu'elles soient exactes et un juste reflet de la redneckerie US) n'est que provocation facile et vaine, faute de point de vue et de perspective.
    Si l'animateur radio est cohérent avec son nihilisme, qu'en est-il en effet de son entourage ? Pourquoi son patron se satisfait-il de ces émissions putassières* (Baldwin répète sans cesse de ne pas "trop" en faire mais se rengorge à coups de "great !" du "trop" commis chaque soir) et une major souhaite-t-elle le diffuser à grande échelle ? Qu'est-ce que cela nous dit des médias ? du monde ? Rien que les auteurs ne supposent, n'ambitionnent sans doute, ivres de leur propre et noire virtuosité et fascinés par le (facile) gueuloir radiophonique qu'ils ont engendré...


    * il en est littéralement la fusion puisqu'inspiré d'un spectacle de stand-up d'Eric Bogosian
    et de la bio de l'animateur Alan Berg, assassiné par un auditeur en 1984 !

    ** alors que l'alibi Lelay-sien de la publicité est ici littéralement absent.

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  2. L'acteur Eric Bogosian est totalement habité par son personnage, ce qui donne envie de redécouvrir ses films. C'est un film atypique dans l'oeuvre d'Oliver Stone, et c'est donc une bonne idée d'avoir voulu le faire connaître. Le huit clos est très bien rendu dans une mise en scène bien maîtrisée. Un seul bémol (ou deux : la prestation de Michael Wincott me laisse assez dubitative), les flashback rappelant les comédies romantiques pour "teenagers"... contrastant beaucoup trop, il me semble, avec l'atmosphère borderline présente dès les premières minutes du film.

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  3. @ Mariaque : Oui c'est vrai qu'on est en droit d'en demander plus devant tant de virtuosité véhémente, la forme au détriment du fond, un film à moitié réussi au final.

    @ La dame dans le radiateur : Les flashbacks rappelant les comédies romantiques pour "teenagers"? Pour ados je ne sais pas, mais c'est vrai que la perruque dont est affublé Eric Bogosian détonne elle-aussi! :-D

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