L'abîme des morts-vivants - A.M. Frank (1981)

L'histoire nous avait appris que pour une querelle (d'argent ?) avec Eurociné, le réalisateur espagnol Jess Franco s'était désisté de la mise en scène du désormais culte Lac des morts-vivants, cédant sa place à un mystérieux J.A. Lazer (qui cachait en fait Jean Rollin). Rapidement réconcilié avec la famille Lesoeur, dont la société reste indissociable de la filmographie du madrilène, pour le meilleur, L'horrible docteur Orlof, et pour le pire, au hasard Mondo cannibale, le réalisateur ibérique accepta cette nouvelle commande, pour le bonheur des amateurs de friandises miteuses sur pelloches. De cette production au nom fleurant bon l'effroi made in France, L’abîme des morts-vivants aura toutefois davantage marqué l'inconscient collectif international avec un titre anglophone avant-gardiste, osant mêler l'horreur et l'exotisme le plus échevelé : Oasis of the zombies / Living-Dead [1].

1943, en pleine seconde Guerre Mondiale, un commando allemand transportant un chargement de 6 milliards or en plein désert saharien est intercepté par les alliés dans une oasis. De cette bataille d'une rare violence, un seul homme survit, le capitaine Blabert (Javier Maiza). Cet officier de la couronne britannique est très rapidement recueilli par l'une de ses anciennes connaissances, le cheikh local (Antonio Mayans) régnant sur cette contrée aussi belle qu'hostile. Soigné, Blabert profite comme il se doit de l'hospitalité des hommes du désert en tombant amoureux (et plus si affinités) d'Aisha, la fille du cheikh. Puis la guerre enfin terminée, Blalbert rejoint finalement celle qui lui a donné son cœur et par extension sa vie, car Aisha est morte en couche, laissant seul et désemparé son père le cheikh et désormais captain Blabert...

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Les années passent, et le capitaine rencontre Kurt (Henri Lambert), ancien chef du commando nazi : "c'était les meilleurs de mes hommes, des tueurs parfaits". Il lui propose de retrouver ce trésor de guerre à jamais perdu, Blabert étant le seul à connaitre l'emplacement de cette oasis. Mais une fois révélé le lieu, prêtant peu d'attention à la légende "qui veut que les morts défendent sauvagement le trésor que vous leur avez confié", Kurt tue Blabert, bien décidé à ne pas partager les 6 milliards qui se cachent en plein désert.

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A Londres, Robert Blabert (Manuel Gélin), le fils du capitaine, apprend par lettre : la mort de son père, le secret entourant ses origines et l'existence du dit trésor. Plus intéressé par l'or qu'à faire la rencontre de son aïeul, celui-ci décide avec ses amis de rejoindre le Sahara et cette oasis synonyme de richesse... ignorant les dangers et l'horreur qui règnent en ce lieu maudiiiiit car comme l'évoquera plus tard papy cheikh : "il se peut que cette oasis soit ton destin, Robert!" [2].

Fort du succès surprise du Lac, Eurociné se lança immédiatement dans une relecture de ce spécimen hybride de zombie nazisploitation [3]. Ajoutant cette fois-ci une pointe d'exotisme en quittant la campagne française pour les paysages désertiques d'Afrique du Nord, L'abîme remettait également le couvert de la malédiction, cette fois-ci, en milieu aride. De ce constat, l'initié eut le plaisir de constater que le cahier des charges n'avait nulle vocation à s'écarter du modèle original (des soldats vert de gris massacrés revenus d'entre les morts qui sèment la mort), au même titre que les maigres moyens financiers dévolus à cette fausse-suite.

Cet instant de pur romantisme vous était proposé par A.M. Frank [4]

Passé une introduction qui glacera sans nul doute le sang de l'imprudent qui espérait débusquer naïvement une scène lesbienne, une analyse pointue de la situation indique rapidement que cet Abîme offre paradoxalement moins d'érotisme que son cousin promizoulinien, avec un quota de poitrine dénudée bien inférieur à la moyenne. Un choix surprenant tant les producteurs étaient loin d'être réputés pour leur pudibonderie. Doit-on, dès lors, nourrir une certaine frustration si vous ajoutez la présence sous-exploitée de l'actrice France Lomay, connue pour ses rôles dans Body-body à Bangkok [5], Pénétrez-moi par le petit trou et autre Grande mouille ? En d'autres mots, ne pas s'attendre à une pelletée de donzelles venues se faire boulotter par une poignée de zombies desséchés. Dont acte.

Classique dans sa forme, le scénario débridé signé A.L. Mariaux est scindé en deux parties distinctes de 40 minutes environ, la première autour des exploits sentimentalo-guerrier et de la chute de Blabert senior, puis, la suivante, autour des vacances au Maghreb dudit junior, interprété, faut-il le rappeler, par le charismatico-anémié Manuel Gélin. Au jeu des points communs entre les deux films précités, on notera également la propension d'Eurociné à se déjouer des éléments temporels dans leur narration. D'une seconde partie qui se déroule durant les 60's, rien n'est en effet fait pour dissuader le spectateur que l'action se passe dans les faits vingt ans plus tard ! Ajoutons ce talent pour dégoter des bruitages incongrus tout droit sortis du Lac, L'abîme des morts-vivants confirme, au besoin, l'amateurisme bon enfant de ce singulier studio français.

Des effets-spéciaux à la pointe chez Eurociné !

A l'heure du bilan, cet Abîme des morts-vivants est pourtant loin d'atteindre les objectifs que le spectateur déviant s'était plus ou moins fixé avant de s'engager dans cette aventure sableuse. Confirmant au besoin l'adage qui veut qu'une suite ou assimilée soit forcément inférieure à son modèle, les maquillages cheapo-roots, l'interprétation et le casting, les faux raccords [6] et la lenteur cache misère pourront cependant combler les admirateurs du genre. Dommage que le potentiel zombie soit si faiblement exploité, les morts-vivants se comportant plus comme des cannibales que des zombies [7]. En attendant pour le préposé docteur de tomber sur la version espagnole signée officiellement par Jess Franco, La tumba de los muertos vivientes, avec Lina Romay et Jesus Franco dans le rôle de mort-vivant !

Concluons cette chronique par les derniers mots du sage cheikh et de son petit-fils Robert :
- As-tu trouvé ce que tu cherchais ?
- J'me suis retrouvé moi-même...

RIDEAU!

En bonus : Quelques gifs du film sur notre tumblr.

Verdict du Nanarotron:





L'abîme des morts-vivants (Oasis of the zombies) | 1983 | 88 min
Réalisation : A.M. Frank (Jesús Franco - Marius Lesoeur)
Production : Daniel Lesoeur
Scénario : A.L. Mariaux (Jesús Franco)
Avec : Manuel Gélin, Javier Maiza, Antonio Mayans, Henri Lambert, France Lomay
Musique : Pablo Villa (Jesús Franco)
Directeur de la photographie : Juan Soler
Montage : Jesús Franco
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[1] Film connu également sous d'autres patronymes tous plus évocateurs les uns que les autres: The Treasure of the Living Dead, Le trésor des morts-vivants et the last but not the least Bloodsucking Nazi Zombies !!!

[2] Car l'autochtone aime user de phrases énigmatiques tel que: "Il a rencontré la mort qui marche, [...], il faut brûler les corps des hommes maudits, ils avaient rencontré les sentinelles du grand secret, il le garde après la mort".

[3] Sous-sous genre qui a l'avantage d'être tout de même plus ringard et bon enfant que la dite nazisploitation...

[4] Selon les propos de Daniel Lesoeur, fils de, dans le documentaire de Christophe Bier, Eurociné 33 Champs-Elysées, A.M. Frank serait en fait le pseudonyme caché de Marius (cf. La cage dorée). 

[5] Les deux films se partageant au passage le même directeur de la photographie... Max Monteillet qu'on retrouve également dans le Lac des morts-vivants, la boucle est bouclée !

[6] Dans le Lac, il s'agissait en particulier des saisons hiver/été qui cohabitaient le temps deux plans successifs; cette fois-ci la frontière entre le jour et la nuit laisse de nouveau perplexe... un hommage au génie d'Ed Wood et à ses montages à l'arrache ?

[7] Une des raisons étant que Franco était ouvertement peu réceptif à ce genre.

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