Lone Wolf McQuade (Œil pour œil) - Steve Carver (1983)

N'en déplaise aux (anciens jeunes) mécréants ne retenant de lui que ses anciennes aventures digestivo-dominicales, ses jeans moulants et son omnipotence (toutefois maintes fois démontrée), il fut un temps où les mots Chuck et Norris faisaient frémir d'effroi les cuistres, la racaille communiste et les terroristes barbus en tout genre. Rappelons nous, Chuck Norris était le dernier rempart du monde libre "combattant la haine... par passion de la vie" [1]. Soit un temps béni et révolu évoquant, aux aficionados de l'époque, la supériorité manifeste de notre rouquin barbu préféré. Or, si la formule parait (aisément) exagérée, le cinéphile déviant, fan des productions eighties de la sacro-sainte Cannon, pourra toutefois revoir sa copie, et mettre un temps en veille ses quelques rires sardoniques, après le visionnage de cet estimable Lone Wolf McQuade (Œil pour œil)... étonnant, non ?

Ce film signé Steve Carver, à qui l'on devait déjà deux années plus tôt An Eye for an Eye (Dent pour dent) toujours avec Chuck Norris [2], est en effet loin d'être la plante potagère que laissait trivialement supposer l'affiche de cette, finalement, divertissante série B. Sorti une année avant l'exploitation golano-globussienne [3], le film apparaît comme un véritable mélange des genres où se croiseront des influences hétéroclites provenant aussi bien du western spaghetti, du policier et bien évidemment du film d'arts martiaux... ajoutez à cela une femme fatale avec romance en option, Oeil pour œil s'affirme comme un véritable fourre-tout où la présence de Chuck Norris devient finalement assez surprenante.

L'omnipotence de Chuck Norris en image

McQuade est Texas ranger [4]. Un homme de loi solitaire, efficacement rugueux mais rugueusement efficace. Un mâle, un vrai, un barbu aux méthodes parfois radicales mais qui ont su porter leur fruit quand il s'agit, par exemple, de sauver des chevaux sauvages aux prises avec des gredins mexicains. Et si ce loup solitaire aux allures faussement rustre n'a cure des réprimandes de son supérieur, notre héros devra tout de même entendre le sermon de ce dernier: "un ranger, ça se limite pas à battre des records d'arrestation, faut y mettre les formes... et de la classe! On arrive à rien sans la classe!" lui rappelle ainsi en guise de conclusion son capitaine... qui sort des toilettes, remontant d'un geste noble sa braguette sous les yeux d'un McQuade quelque peu dubitatif. A charge pour notre Texas ranger de jouer les chaperons et de collaborer dès lors avec les autorités locales en la personne du dénommé Kayo Ramos (Robert Beltran). Un collègue de fortune qui aura toutes les peines du monde à suivre les traces, au sens propre comme au sens figuré, du légendaire McQuade, mais qui apportera une aide judicieuse et appréciable pour retrouver ceux qui ont osé toucher à la fille de notre héros... celle-ci étant le témoin gênant d'un trafic d'armes et de matériels militaires.
Si Lone Wolf McQuade surprend de prime abord, ce n'est pas par sa subtilité, le film de Steve Carver ne s’embarrasse pas de ce genre d'artifices. Carver, tel son premier rôle Chuck Norris, chantre du pied dans la gueule, va droit au but. Le métrage suit dès lors un cahier des charges bien précis, celui de la série B efficace, une psychologie réduite à sa plus simple expression et des personnages à la limite de la caricature. Pourtant, force est d'admettre que ces limites n'enrayent nullement la mécanique du film, ce dernier offrant peu de temps mort. Certes, le réalisateur joue les piques-assiettes, et à défaut d'une once de personnalité, Carver emprunte ici ou là des p(l)ans entiers appartenant à ses pairs, en premier lieu au western de Sergio Leone [5], au Dirty Harry de Don Siegel mais aussi quelques références-hommages plutôt sympathiques comme le personnage de Falcon, version moderne et capitaliste d'un Dr Loveless (Les mystères de l'ouest), et d'autres plus étonnantes comme Mad Max.


Quant à Chuck Norris me direz-vous, il trouve un rôle à sa mesure, le film et son traitement binaire s'accordant parfaitement avec le jeu limité de notre baroudeur au pied vengeur. Et contrairement au reste de sa filmographie, l'ex-champion de karaté est plutôt bien entouré, comprendre que l'édifice ne repose pas entièrement sur son personnage et ses talents primaires. De par la présence du bad guy de service, joué par un perfide David Carradine (semble t-il fâché avec la préposée aux costumes), et celle de la petite amie amourachée cinq minutes montre en main (la très belle Barbara Carrera), Œil pour œil réussit, haut la main, à être le film le plus recommandable de Chuck Norris. En acceptant le postulat de départ de regarder une série B des plus basiques, on s'étonnera d'avoir passé globalement un bon moment, se souvenant même de quelques scènes désormais gravées dans la mémoire du préposé à la chronique : Chuck et Barbara s'amusant avec le jet d'eau du tuyau d'arrosage, le trio amoureux Chuck, la bière et Barbara, et enfin le combat final entre Norris et Carradine où ce dernier s'amuse à reprendre quelques gimmicks de Bruce Lee [6].

 Deux visions d'horreur: Chuck à terre... et le pull de David

Lone Wolf McQuade aurait, sans aucun doute, gagné à incorporer plus d'humour (voire, vœu pieux, plusieurs niveaux de lecture, ou une once de second degré), mais eu égard à la filmographie de Chuck Norris, celui-ci demeure une agréable surprise, bien loin de la bêtise crasse d'un Portés disparus par exemple (d'où cette note légèrement surévaluée).



Lone Wolf McQuade (Œil pour œil) | 1983 | 107 min
Réalisation : Steve Carver
Scénario : B.J. Nelson
Avec : Chuck Norris, David Carradine, Barbara Carrera, Leon Isaac Kennedy, Robert Beltran, L.Q. Jones
Musique : Francesco De Masi
Directeur de la photographie : Roger Shearman
Montage : Anthony Redman
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[1] Enfin si on en croit l'affiche française d'Invasion USA (1986).

[2] Chuck Norris y partageait l'affiche avec Christopher Lee. Notons la subtilité des distributeurs français quant aux titres choisis pour les deux films précités: Dent pour dent, Œil pour œil...

[3] Missing in Action (Portés disparus), la première production Cannon avec Norris est sortie en 1984.

[4] Et oui, nous tenons fébrilement dans nos mains le premier rôle de texas ranger de Chuck Norris. Si des problèmes de droit n'avaient pas contrarié son entreprise, la série aurait probablement eut le patronyme de McQuade au passage.

[5] Encore que la référence ou le plagiat le plus manifeste concerne la bande-originale écrite par l'italien Francesco De Masi, Ennio Morricone aurait très bien pu lui demander des comptes...

[6] Savoureux quand on se rappelle que les producteurs de l'époque ont préféré Carradine à Lee pour jouer dans la série Kung-Fu.

4 commentaires:

  1. Que voilà un bon papier, dites-moi !
    Sans charre: un bel équilibre entre l'ironie goguenarde, l'authentique tendresse et l'appréhension "cinéphile"... bravo !

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  2. @ Mariaque: merci, oui j'ai tenté cet équilibre périlleux, je vois que je ne me suis pas trop planté :-)

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  3. Non, non, c'est très bien... la blogosphère de Genre manque cruellement de gens comme vous, mon petit bonhomme !
    Je pense que ma fréquentation de votre colonne ira croissant si les choses sont ainsi, par ici...

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