Feral Songs For The Epic Decline - Bruce Lamont (2011)

Doit-on avouer non sans une certaine gêne que le dernier album des chicagoiens Yakuza, nommé Of Seismic Consequence et sorti en 2010, n'aura laissé que peu de souvenirs au préposé, à tel point qu'il ne sait plus si ce nouvel opus eut droit au moins à une écoute ou non [1]. Un oubli de prime abord quasi injuste tant le souvenir de leur disque Samsara (2006) avait mis en lumière le potentiel de cette formation, mais aussi, par la suite, un anonymat fruit d'un tassement avéré de leur part, les espoirs passés s'étant vite dissipés... Soit le moment propice pour le frontman de Yakuza de publier son premier album solo ?

Le réflexe premier serait de jouer la carte de la suspicion dès que le chanteur d'un groupe de rock lambda enregistre un album solo [2]. La jurisprudence (et les nombreux exemples qui en découlent) s'accorde en effet à minimiser l'intérêt qualitatif de ces disques, et par conséquent à les ignorer (voire à les railler quand l'anecdotique se mue par exemple en création prétentieuse). Alors s'agissant d'un groupe à consonance métallique, et sa cohorte de clichés lui collant aux basques tel le premier Phtirius inguinalis, peut-on blâmer le préposé ou l'auditeur innocent à remettre en cause son droit à l'information, et à vouloir ignorer tout disque solo provenant de n'importe quel brailleur [3] ?

Si le nom de Bruce Lamont ne dit pas grand chose à la majorité, et son passé récent de metalfreak encore moins, ce Feral Songs For The Epic Decline pourrait bien surprendre les plus curieux, pour le pire ou le meilleur selon les affinités, et/ou selon les attentes (mineures) que pourraient générer le premier disque solo signé par le chanteur de Yakuza. Avec Samsara, le groupe avait déjà prouvé sa versatilité, passant efficacement à des moments de fureur typée hardcore, à des plages planantes où le saxophone de Lamont avait déjà une place primordiale. La facilité aurait été de croire à une version alternative de cette description, le saxophone prenant cette fois-ci une importance bien plus envahissante. Or c'est loin d'être le cas.

Feral Songs apparaît comme une surprise tant Lamont évite les pièges grossiers du metalleux aventurier [4]. Le disque s'ouvre par un One Who Stands on The Earth habité, douze minutes d'une musique à la croisée d'un Brendan Perry grave qui aurait côtoyé de prêt le leader des Swans, Michael Gira. Chanson incarnée où la guitare folk et le discret saxophone du musicien flirtent avec le chamanisme amérindien et quelques parasites bruitistes. A l'image de la première chanson, Lamont tisse une toile aux atmosphères riches, et néanmoins subtiles, proche des musiques du monde et de l'ambient sans céder aux pièges des sons synthétiques et trop artificiels (The Epic Decline et ses mélodies orientales).

Lamont offre ainsi une variation intéressante avec ses ambiances et leur différente modulation, à l'image de sa voix, tour à tour mélodique puis menaçante, syndrome d'une colère intérieure, avant son explosion finale et industrielle (Deconstructing Self Destruct). Si l'album surprend, quand bien même Lamont avait montré auparavant l'aperçu de son éventail et sa capacité d'ouverture via son groupe et ses diverses collaborations, Feral Songs confirme un talent de songwriter dont on ignorait la réelle portée, les chansons s'articulant autour de la guitare acoustique étant probablement les plus belles réussites de l'album. Les amateurs de saxophone estampillé yakuza trip se contenteront alors de l'hypnotique Disgruntled Employer et de l'onirique 2 then the 3. De quoi se plaindre ? Pas vraiment. Lamont a composé un premier album déstabilisant et beau, loin des réflexes et attitudes premières que lui conférait son rang de metalfreak, un album solo à faire ravaler les propos du préposé.

Premier coup de cœur musical de l'année 2011.


Titres :
01. One Who Stands On The Earth / 02. The Epic Decline / 03. Year Without Summer / 04. The Book Of The Low / 05. Disgruntled Employer / 06. Deconstructing Self Destruction / 07. 2 Then The 3

   
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[1] A priori, écoute il y eut, mais on en recherche encore une quelconque trace, mémorable ou non, c’est dire l'embarras.

[2] A ces mots, l'agent comptable qu'on croyait disparu se lève, brandit un poing vengeur et crie "Phil Colliiiiiiiiiiiins" en entonnant le début de In the Air Tonight.

[3] Par exemple, est-il raisonnable de chroniquer le dernier album de la diva LaBrie, James de son prénom ?

[4] Les disques solo de la tête pensante de Nile, Karl Sanders, par exemple.

5 commentaires:

  1. si tout l'album est de la qualité du morceau que tu as mis en écoute, je suis ultra preneur !

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  2. @ Nyko: j'étais au départ sceptique, je dois avouer, en partie à cause des derniers albums de Yakuza. Mais après un mois d'écoute, je trouve cet album au dessus du lot finalement, et très réfléchi en plus (et est en écoute intégrale sur Stereogum (j'ai ajouté le lien pour rappel ;-) )).

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  3. Ah ben au moins c'est clair. Je vais checker ça, ça a l'air "intressant"

    Syst

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  4. Dahu Clipperton14/03/2011 11:47

    Bah dis donc, merci de la découverte, il va tourner encore quelques fois cet album, vraiment fascinant... Rien que ce morceau en ouverture, diantre O_x

    J'avais déjà noté "Samsara" sur mon calepin, je vais m'y pencher d'autant plus vite, ma foi.

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  5. @ Dahu: Ah oui, ce titre d'ouverture... fascinant est le mot :-)

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