Satan Worshipping Doom - Bongripper (2010)

Si l'année qui s'achève fut relativement morose quant aux sorties dites novatrices, 2010 fut au contraire un bon cru concernant l'un des styles parangon d'une certaine intemporalité rock, celui auquel le terme monolithique revient (trop rapidement) en guise de raccourci, le doom metal  [1].

Selon l'adage rockeur, le genre musical aurait la caractéristique de mal s'accorder avec le mot évolution, voire tout simplement d'être indifférent à toute forme d'innovation sonique (et sonore). A tort. Car si le doomster par nature se méfie des modes et reste attaché à une utopique authenticité, il n'en reste pas moins ouvert aux autres musiques... saturées de préférence.

Formé en 2005 à Chicago, suite à leur précédent split Meat Ditch sorti en 2009 avec la formation nippone Winters in Osaka, le quartette Bongripper signe cette année leur 5ème LP, Satan Worshipping Doom, et écrivons le tout de go, sans doute leur meilleur album et l'un des plus pertinents albums de doom instrumental depuis Eve d'Ufomammut.

En dépit d'une pochette dont les plus malintentionnés s'empresseront de railler les lieux communs satanico-métalliques, laissant présager une musique grossière et caricaturale, à la croisée d'un brutal death metal de seconde zone et d'un black metal ultra primaire, il convient dès à présent de rassurer le lecteur en manque d'humour. Il n'en est rien. A l'image du nouvel album des italiens précités, le nouveau Bongripper se veut davantage massif et moins enclin à suivre directement leur passé et la rugosité sludge qui les caractérisait, tant sur le fond que sur la forme. Habitué aux chansons fleuves décomposées en plusieurs parties, sur leur projet Heroin  [2] en 2007 ou Hate Ashbury l'année suivante, le groupe étasunien délimite davantage sa musique avec cette fois-ci quatre longs instrumentaux distincts (un par face sur l'édition double vinyle), se répondant toutefois chacun (les quatre titres formant la phrase occulte Hail Satan Worship Doom).

Après s'être aventuré dans le drone/noise sur le conceptuel Heroin, avant de revenir à une formule plus groovy avec Hate Ashbury, Bongripper joue cette fois-ci les compilateurs de luxe en synthétisant nombre d'influences issues de l'extrême, mais avec un détachement et recul salutaire qui les empêchent de sombrer dans l'hommage stérile. Satan Worshipping Doom ouvre le bal par les biens nommés Hail et Satan, ou pour la glorieuse première plage, la mise en bouche idéale pour tout adorateur de lourdeurs hypnotiques. Une entrée classique en matière de coup de massue sonore qui dénote instantanément avec le désir des musiciens d'aller à l'encontre des idées reçues, car si l'ombre d'un stoner metal plane sur cette ouverture martelante, c'est indubitablement le groove inhérent au genre qui marque les esprits. Jamais le groupe n'avait autant paru aussi soudé.

Autre pièce maitresse du disque, Satan est la preuve qu'on peut faire référence aux 80's sans jouer forcément les passéistes et autres nécrophages. Une introduction dissonante évoquant leurs premiers amours drone/noise  [3], voici les premiers éléments à l'écoute de la plage gloire au bouc... avant la horde sauvage au bon souvenir des débuts du metal extrême, lorsque le balbutiant death metal américain côtoyait le black metal scandinave ; une furie primaire rapidement écourtée cédant sa place à une ambiance funéraire anxiogène. Satan ou l'un des plus beaux hommages qu'on puisse faire au genre, Bongripper réussissant à faire le lien entre les jeunes années d'un Bathory, le stoner metal et le doom death.

Le deuxième vinyle avec les morceaux Worship et Doom se veut plus classique dans l'approche, ou la quintessence du savoir faire des chicagoans en matière de musique instrumentale s'étalant sur près d'un quart d'heure alternant riffs cataclysmiques et transe sonore. Passé un Doom post-apocalyptique, Satan Worshipping Doom se clôt avec le sentiment que le doom metal n'a certes pas vocation à devenir un jour un genre populaire, mais qu'il pourra toujours compter sur une poignée d'adeptes inspirés, grands ordonnateurs de musique d'ambiance... monolithique.

Album en écoute intégrale sur Bandcamp.



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[1] Une fin d'année qui devrait en effet rimer en ces pages avec d'autres chroniques du genre, 2010 étant de mon point de vue une année riche, entre bonnes surprises et retour de figure tutélaire inspirée: Eletric Wizard.

[2] En plus de sa toxicité sonore, on retiendra l'humour et le soin particulier dont fit preuve le groupe en créant un packaging unique et... bon enfant.

[3] Mais aussi dès les premières secondes le Slayer de Disintegration sur Undisputed Attitude (1996).

5 commentaires:

  1. Rien que pour le nom je vais l'écouter. Satan et Doom dans le même disque, ça peut que être bon.

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  2. Euh, UFOMAMMUT m'a laissé un peu de marbre (de Carrare), alors bon, je vais pas insister avec ceux-là...

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  3. @ Nathan: oui, c'est assez émoustillant comme mot clef :-D

    @ Syst: Pourtant, c'est deux albums sont différents, Eve est par certains aspects plus "krautrock", alors que celui-ci est plus stoner.

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  4. Je suis dessus là, comme prévu ça bastonne sec ! Heureusement que t'es là pour prendre le temps d’écrire sur de tels disques...

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  5. @ Benjamin: A ce propos comme annoncé sur FB, si je n'ai pas le temps de chroniquer tout le doom que je veux, je me lancerai en fin d'année dans une liste des albums doom et apparenté qui sont à souligner cette année ;-)

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