Repo Men - Miguel Sapochnik (2010) / Cypher - Vincenzo Natali (2002)

Question : est-il paradoxalement obsolète de réaliser des films traitant de cyberpunk et d'anticipation aujourd'hui ?  A la vision des deux films qui nous intéresse, l'interrogation est loin d'être totalement superflues, ces derniers s'inscrivant dans la catégorie des longs-métrages manquant cruellement d'ambition scénaristique ou, pire, d'originalité, juste bon à compiler sans imagination les bonnes vieilles recettes du passé...
 
A ce titre, le premier long-métrage de Miguel Sapochnik, Repo Men (2010), fait figure d'exemple parfait en matière de recyclage piochant aussi bien du côté d'un K. Dick que d'un Terry Gilliam.

L'histoire inspirée par le roman Repossession Mambo d'un des scénaristes, Eric Garcia, retrace les aventures en 2025 de Remy (Jude Law) et Jake (Forest Whitaker), amis d'enfance travaillant pour la toute puissante compagnie Union. Cette société devenue une multinationale omnipotente par la mise au point d'organes bio-mécaniques détient ainsi un marché fort lucratif en proposant à des prix prohibitifs, à prix coûtant ou à crédit, ses services "humanistes". Or si au bout d'un trimestre le client ne règle pas sa dette contractée, les repo(ssession) men s'acquittent de leur mission en prélevant directement sur le désormais ancien client le bien appartenant à leur employeur. La mort de l'intéressé selon l'importance vitale de l'organe est par conséquent considéré comme secondaire et cet acte chirurgical primaire signé par le premier boucher venu adepte de belles mécaniques est bien évidemment légal.

Remy est perçu comme l'un des meilleurs éléments de l'Union, et forme avec Jake un duo efficace dans la chasse aux resquilleurs vivant désormais dans la clandestinité (une traque des plus aisées, chaque organe bio-mécanique est en effet pourvu d'un émetteur permettant aux repo men de retrouver leur gibier). Lors de sa dernière mission en tant qu'agent de terrain avant de devenir vendeur pour l'Union, reconversion incitée par le départ de madame, Remy effectue une reprise chez un célèbre producteur de musique (RZA). Mais l'opération tourne court, le défibrillateur devant arrêter le cœur de notre producteur à court de liquidité projette Remy à plusieurs mètres, inconscient. Le lendemain dans une chambre d'hôpital à son réveil, Jake et son supérieur Frank (Liev Schreiber) lui apprennent que sa seule chance de survie est d'accepter la pause d'un cœur artificiel, un changement qui va s'avérer radical pour notre repo man...

Repo Men ne manque pas de qualités, tel le soin apporté à cette ambiance futuriste. Toutefois à force de trop vouloir en montrer, Sapochnik rend un plat, certes, roboratif, mais aussi indigeste et finalement bancal. Durant la très longue première partie, nous suivons ainsi la paire Remy/Jake dans leurs aventures mécanico-sanglantes avec son lot d'humour potache, ou comment deux adulescents attardés deviennent le bras armé d'un capitalisme... décomplexé. Au-delà du renversement de situation prévisible, la phase pseudo-jouissive à dégommer du dossier en souffrance n'allant qu'un temps, notre héros fuit contre toute attente (?!) le système qui l'a pourtant nourri grassement... Ajoutez à cela que Remy redécouvre l'amour aux côtés d'une dissidente, si la greffe bio-mécanique d'un nouveau cœur n'oppose aucun rejet de la part du patient, le spectateur n'en dira pas autant devant tant de grosses ficelles. Et si la bienveillance de ce dernier est d'ores et déjà mise à rude épreuve durant tout le long métrage, le réalisateur confondant allègrement référence et copier-coller pour combler les vides de sa mise en scène [1], la conclusion ou pirouette finale pourra à l'évidence être considérée comme le dernier pied de nez d'un film misant au besoin sur l'inculture de son public [2].



Transition sinon idéale, en tout cas complémentaire pour introduire le deuxième film de Vincenzo Natali, Cypher (2002) ou comment après un premier long métrage prometteur, son auteur frise le ridicule à vouloir trop se prendre au sérieux.

Cypher ou les affres du terne Morgan Sullivan (Jeremy Northam), petit comptable de banlieue au chômage qui décide du jour au lendemain de pimenter sa vie en travaillant pour la Digicorp en tant qu'espion industriel [3]. Contre l'avis de sa chère et tendre castratrice, celle-ci lui offrant sur un plateau un poste gratifiant au sein de l'entreprise familiale, notre représentant en morne séduction s'émancipe en empruntant l'identité factice d'un certain Jack Thursby avec pour mission d'infiltrer différentes conventions.

Cette nouvelle vie exaltante lui offre la possibilité de faire briller sa nouvelle personnalité de ville en ville, d'hôtel en hôtel, de congrès en congrès, faisant l'admiration de tous les VRP qui croisent son inexpressif charisme chatoyant. Mais chaque médaille a son revers, et si Sullivan fuit lâchement ses obligations matrimoniales, le premier souci de notre espion reste celui d'être hanté par de multiples cauchemars et des maux de tête de plus en plus persistants. Un soir, Sullivan rencontre la dénommée Rita (Lucy Liu), une demoiselle au service du non moins mystérieux Sebastian Rooks qui très rapidement va lui faire découvrir les véritables desseins de Digicorp...

En dépit du fait que le scénario n'apporte pas une once d'originalité, et encore moins un recul salutaire (et nécessaire) permettant de faire avaler un peu mieux cette déconvenue (un antihéros falot guidé par une belle mystérieuse devient, bien malgré lui, le personnage principal d'une intrigue faussement complexe), le film pouvait donner lieu à un thriller futuriste potentiellement intéressant. Las. Si son traitement évite l'erreur de la narration brouillonne, Cypher n'en reste pas moins raté, handicapé par un rythme lent où le suspense n'a pas sa place, une esthétique proche du téléfilm, et, pire, par des situations à la limite du grotesque, où l'on en vient à s'interroger si le plus boiteux dans l'histoire n'est pas l'interprétation de Jeremy Northam, sa présence enfonçant encore un peu plus le film dans le risible [4]. Paradoxalement, il aurait sans doute été plus judicieux de s'inspirer davantage du personnage de Sam Lowry (Brazil), quitte à faire du sous-Gilliam... [5].

Le deuxième long métrage de Natali s'adresserait alors avant tout à un public, dénué d'humour, attiré par les retournements de situation éculés, et les faux semblants tellement réchauffés que le twist final en devient d'une prévisibilité stupéfiante ? A la différence de Sapochnik qui pourrait être taxé par les plus virulents d'escroc, celui-ci copiant sans vergogne les plans de ses pairs, le réalisateur de Cube joue, quant à lui, la carte de la boursouflure niaise. A chacun son camp.

En somme, Cypher ne serait-il pas qu'un hommage à K. Dick mis en scène par un NERD de quinze ans d'âge mental ? Pas loin. Cependant, la conclusion de ce condensé de prétention adulescente [6] tend vers un nouveau genre, le film d'anticipation fleur bleue. Dont acte.



A l'heure du bilan, les deux films critiqués à des degrés divers plombent l'idée que l'on peut se faire d'une retranscription cinématographique réussie de l'univers de K. Dick. Fort heureusement, il existe encore quelques exceptions, à l'image de Sleep Dealer (2008) du mexicain Alex Rivera.

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[1] Manquait plus que notre Remy joue du marteau et le copier-coller d'Old Boy était parfait.

[2] On sentait venir une fin à la Brazil... et ce fut le cas.

[3] Il faut croire que le thème de l'espionnage industriel était dans l'ère du temps en 2002, la sortie de Cypher coïncidant avec une autre baudruche ratée, Demonlover d'Olivier Assayas.

[4] Un potentiel comique dès lors nullement exploité, dommage car étant donné l'absence de crédibilité du personnage...

[5] Ce qui donne encore un aperçu de la purge, on en vient à regretter que Natali ne fasse pas comme Sapochnik...

[6] Alors de savoir que Natali s'attelle à l'adaptation du classique de Gibson Neuromancer...
 

3 commentaires:

  1. quand je pense qu'un temps on avait avancé le Nom de Chris Cunningham pour la réalisation de Neuromancer... après la molesse et l'eau de boudin de Cypher et Splice (quoique là la technique et la direction photo tiennent la route) Natali devrait apprendre le rythme et pas toujours tirer un concept sur 2h sans intrigue. Parce que de Cube à Splice en passant par Cypher on a un pitch, des rebondissements plus ou moins efficaces et un twist (même pas à saint-tropez)

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  2. à Diane: tu veux dire qu'au départ Natali part souvent d'une bonne idée et qu'il foire à chaque fois ce qu'il entreprend? ^^
    A ce propos, la plupart de ses derniers films furent des bouillons commercialement, et il arrive toujours à trouver des producteurs, c'est beau l'art... :-P

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  3. faudra un jour que je t'explique le montage financier d'un flim c'est un art en soi

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